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Des réformes à pas comptés pour les travailleurs au Qatar

Réformera ou ne réformera pas ? De manière régulière, le Qatar est sur la sellette en raison des conditions de vie et de travail de ses quelque 1,8 million de travailleurs étrangers dont 250 000 directement concernés par les chantiers de la Coupe du monde de 2022. Officiellement, les autorités de ce pays assurent qu’elles ont pris acte des critiques, y compris les plus virulentes, et qu’elles entendent modifier la donne. Mais la vraie réforme attendue est celle de la kafala, qui soumet le travailleur étranger au bon vouloir de son employeur.

Interrogé par Orient XXI, Abdallah Saleh Moubarak Al-Khulaifi, le ministre qatari du travail et des affaires sociales, assure que son pays « est en passe de moderniser la législation sur le travail et le séjour des travailleurs étrangers. C’est une directive et un engagement de notre souverain. Il y aura un nouvel environnement législatif en adéquation avec la transformation du Qatar. » Comme preuve, Doha met en avant l’adoption d’une loi destinée à garantir aux travailleurs immigrés qu’ils seront non seulement payés mais que leur salaire leur sera versé en temps et en heure.

Finalisé en février 2015, approuvé par l’émir, ce texte prévoit qu’un « système de protection des salaires » (Wage Protection System, WPS) contribuera à éliminer les retards de paiement subis par la main d’œuvre étrangère. Selon les statistiques régulièrement publiées par la presse du Golfe, plus du cinquième des ouvriers étrangers employés au Qatar sont confrontés à ces retards ou encore à des déductions arbitraires opérées par leurs employeurs. « Le WPS nous permettra de régler 70 % des problèmes auxquels font face les travailleurs étrangers » , prédit Al Khulaifi. Dans les faits, la loi prévoit que les entreprises qui ne respecteront pas leurs obligations seront passibles d’amendes, qu’elles seront interdites de recrutement et que leurs dirigeants pourront même se voir infliger des peines de prison.

La résistance passive des entreprises

Si Amnesty International, très engagé sur ce dossier, a salué « un pas positif dans le principe », il reste que le scepticisme demeure. Prévue pour février dernier, puis pour le 18 août, la mise en place du WPS a, selon la presse locale, encore été reportée au mois de novembre prochain. Officiellement, il s’agit de donner un délai supplémentaire aux entreprises pour qu’elles se mettent en conformité avec une législation qui impose, entre autres, le paiement des salaires par virement électronique via les circuits bancaires.

Mais ce nouveau report est, pour les détracteurs de l’émirat, la preuve que ce dernier n’a guère envie de faire bouger les choses. Un avis que ne partage pas un diplomate occidental en poste à Doha qui requiert l’anonymat. « On n’a pas idée en Occident des efforts qu’il faut déployer pour changer les choses ici. Il y plus de 50 000 entreprises dans ce pays et nombre d’entre elles étaient habituées à payer leurs travailleurs étrangers de la main à la main. Ces derniers renvoyaient par la suite une partie de leurs avoirs par les sociétés de transfert d’argent. Là, tout d’un coup, il faut que chaque employé dispose d’un compte bancaire et donc, que l’entreprise concernée consente un investissement pour informatiser la gestion de ses salaires. Les résistances et l’inertie sont énormes. »

Renforcer le contrôle de l’État

À la mi-août, Amnesty International et d’autres organisations non gouvernementales avaient mis en garde Doha contre tout report du WPS et s’étaient inquiétées de l’efficacité concrète de ce système, faute de moyens humains pour faire respecter ses dispositions. « Nous allons faire passer le nombre d’inspecteurs du travail de 294 à 400, assure le ministre du travail. Ils seront formés et accrédités par le ministère de la justice et interviendront autant sur les questions liées aux salaires qu’à celles des conditions de travail sur les chantiers. »

Interrogé, un expatrié britannique qui conseille le gouvernement qatari dans la mise en place de ses réformes met l’accent sur les limites de la machine administrative et étatique. « Le Qatar, comme les autres pays du Golfe, s’est bâti avec l’idée anglo-saxonne du minimum d’État face à l’économie. Maintenant, il s’agit pour lui de renforcer une administration qui, sans être bureaucratique, sera capable d’être efficace pour faire appliquer la loi. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. La formation sera nécessaire. Cela implique que les jeunes Qataris qui entrent dans le secteur public n’y viennent pas simplement pour y toucher un salaire faute de mieux ».

La « kafala » en question

Quoi qu’il en soit, la mise en place du WPS en novembre, même si elle se concrétise, ne suffira pas à faire taire toutes les critiques. En effet, la question de la kafala reste posée et même la Fédération internationale de football (FIFA) demande sa réforme. Ce système de parrainage de tout travailleur étranger est effectivement critiqué pour ses abus, comme par exemple le fait qu’un salarié étranger voie son passeport confisqué par son employeur et qu’il ne puisse pas changer de travail ou quitter le pays sans l’accord de ce dernier. Un texte de loi est actuellement en discussion entre le gouvernement et le majlis al-choura, le Conseil consultatif.

Sans aller à une abrogation complète de la kafala, il prévoit de multiples améliorations, dont celle d’interdire la confiscation du passeport ou la possibilité pour un étranger de quitter le Qatar au bout de 72 heures en l’absence d’opposition formelle de son employeur (à ce jour, sans accord de l’employeur, le travailleur étranger ne peut quitter l’émirat). De même, un salarié étranger pourra changer d’employeur au terme de son contrat, ce qui devrait diminuer le nombre de cas où le migrant n’a d’autres choix que de rester de manière illégale sur le territoire qatari. Pour qui connaît la situation des travailleurs étrangers au Qatar mais aussi dans les autres pays du Golfe — lesquels demeurent curieusement épargnés par les critiques de la communauté internationale sur ces sujets —, les progrès sont incontestables, d’autant que l’émirat, contrairement à ses voisins, a ouvert ses portes aux organisations humanitaires et syndicales internationales. Pour autant, il est évident qu’ils ne vont pas satisfaire les partisans d’une abrogation pure et simple de la kafala. Et ces derniers ont beau jeu de relever que sa réforme, promise pour 2015, tarde à être confirmée dans les faits.

« Nous comprenons cette impatience mais il est important que nous avancions à notre rythme », insiste Abdallah Salah Moubarak Al-Khulaifi. « La croissance économique au Qatar est importante, cela génère d’importants besoins pour les opérateurs économiques. Il nous faut sans cesse nous y adapter tout en améliorant les conditions d’accueil des travailleurs étrangers cela d’autant que nous nous attendons à un afflux record pour la période 2016-2018. Nos lois sont en passe d’être modifiées et nous allons consentir beaucoup d’efforts pour que ces travailleurs soient informés, sur place ou chez eux, de leurs droits. »

En novembre prochain, les regards seront donc de nouveau braqués sur le Qatar dans l’attente de la mise en place effective du système de protection des salaires en attendant une réforme de la kafala qui demeure incontournable.

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