En Europe, des sanctions inédites contre Israël
Alors que plusieurs États de l’Union européenne commencent à revoir leurs accords avec Tel-Aviv et que l’Union européenne parle sans vraiment agir, des mouvements citoyens multiplient les initiatives. Dans les milieux culturels et artistiques, les formes de boycott s’intensifient créant un vrai désarroi en Israël.
« Nous sommes assez bons pour produire nos armes nous-mêmes », déclare Benyamin Nétanyahou le 15 septembre 2025 en réponse à l’interdiction prise par l’Espagne de livrer des armes à Israël via ses ports et son espace aérien. Le pays, dit-il, devra être autosuffisant en armement. Le premier ministre israélien reconnaît ainsi pour la première fois l’impact des sanctions. Et ambitionne de faire d’Israël « la nouvelle Sparte1 ».
Ses propos déclenchent le lendemain la chute de la Bourse de Tel-Aviv. Car la nervosité a gagné tous les secteurs en Israël. La politique menée par le gouvernement Nétanyahou « conduit l’État d’Israël vers un abîme économique et diplomatique dangereux et sans précédent », déclare le Forum des entreprises israéliennes.
Ancien ambassadeur d’Israël à Bruxelles, qui fut en charge des relations internationales des universités israéliennes, Emmanuel Nahshon s’inquiète devant la Knesset le 10 septembre de la multiplication des dénonciations de partenariats universitaires et de recherche. Elles sont, dit-il, une « menace stratégique » pour l’État israélien.
Suspension des partenariats universitaires
Lancé en 2024 en Europe et aux États-Unis après plusieurs mois de guerre à Gaza, le mouvement de boycott financier, commercial, sportif, mais aussi des milieux culturels et universitaires israéliens a gagné en vigueur durant l’année 2025, notamment après la rupture par Tel-Aviv de l’accord de cessez-le-feu en mars 2025. Les images de la guerre à Gaza témoignant de la famine organisée par l’armée israélienne et de la destruction systématique du territoire, ainsi que le nombre effarant de civils tués ont déclenché de vives réactions dans la société civile, auxquelles les États ne peuvent rester insensibles.
Des établissements d’enseignement supérieur aux États-Unis et partout en Europe — Espagne, Irlande, Écosse, Pays-Bas, Norvège, etc. — suspendent leurs partenariats avec Israël : financements, projets de recherche, échange d’étudiants, invitations à des séminaires ou colloques…

Ces structures communiquent rarement sur leurs actions ; à cet égard, l’université belge de Gand fait figure d’exception et a même été précurseur. Son recteur a déclaré dès le 17 mai 2024 que l’université mettait fin à trois partenariats avec des institutions israéliennes pour non-respect des droits humains.
En France, le mouvement reste timide. Sciences-Po Strasbourg, au grand dam du ministère des affaires étrangères, suspend, le 25 juin, ses partenariats avec l’université Reichman de Tel-Aviv en raison de son « engagement actif » dans la guerre à Gaza, regrettant ses positions « profondément bellicistes ». C’est à ce jour le seul.
Mais des pétitions circulent parmi les scientifiques français. Les autorités israéliennes s’alarment particulièrement de celle de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN). En septembre 2025, ils sont plus de mille scientifiques de ce centre international, à la pointe de la recherche sur les particules, à demander que la collaboration avec Israël, un des 25 États membres, soit réévaluée. Cela concerne, en Israël, plus d’une centaine de scientifiques, qui mènent des recherches dans cette spécialité.
« Si nous quittons ce domaine, l’impact sera dramatique, les dommages scientifiques seront très graves », dit Emmanuel Nahshon, toujours lors de son audition devant la Knesset. Après deux ans de guerre, Israël déplore environ mille boycotts académiques venant d’institutions américaines ou européennes. « Nous sommes dans la pire des situations, s’alarme le professeur Ariel Porat, président de l’université de Tel-Aviv. Nous espérons que la situation va s’arranger avec l’accord de cessez-le-feu, mais l’hostilité envers Israël demeure. »
La question embarrasse les universités partenaires : dans quelle mesure leur collaboration avec Israël trouve-t-elle une application militaire dans la guerre en cours ? En Israël, les secteurs universitaire et militaire sont imbriqués. Selon l’anthropologue israélienne Maya Wind2 : « Les universités sont impliquées dans le développement des armes et des technologies utilisées à Gaza. » Certaines disposent même de complexes militaires intégrés, dit-elle.
L’inquiétude israélienne est d’autant plus vive que la Commission européenne propose de suspendre partiellement Israël de son programme de recherche scientifique « Horizon Europe ». Dans ce dispositif dédié aux petites entreprises, certaines développent des technologies de pointe à double usage, civil et militaire, comme la cybersécurité, les drones ou l’intelligence artificielle. Ainsi, Xtend, une start-up israélienne, a reçu 50 000 euros pour un projet de recherche dont le but est de « combiner des drones aux technologies de réalité augmentée », pour un usage civil, dans le BTP ou la sécurité publique. C’est dans la guerre à Gaza que ses drones seront utilisés.
La valse-hésitation européenne
Dans les institutions supranationales, le ton a changé. En septembre 2025, une commission d’enquête de l’Organisation des Nations unies (ONU) accuse Israël de génocide à l’issue de ses travaux. Ce rapport et la pression des sociétés civiles vont précipiter plusieurs décisions.
Pour violation de l’article 2 de l’accord d’association de l’Union européenne (UE) avec Israël3, qui porte sur le respect des droits humains, la Commission européenne adopte le 19 septembre la proposition de la présidente Ursula von der Leyen visant à en suspendre plusieurs volets, commerciaux et de recherche.
En conséquence, les exportateurs israéliens paieraient les mêmes droits de douane que tout autre pays. Outre un surplus tarifaire de 227 millions d’euros par an, les produits israéliens ainsi renchéris seraient moins compétitifs sur le marché européen. L’application de cette mesure doit être validée à la majorité qualifiée, c’est-à-dire qu’elle doit recevoir l’approbation de 15 États et 65 % de la population de l’UE. Or, l’Allemagne et l’Italie, réticentes, temporisent, disant vouloir d’abord observer « si la fourniture d’aide alimentaire à Gaza s’améliore ».
Cédant à la préoccupation croissante face à la situation humanitaire dans l’enclave, l’Allemagne avait pourtant changé de ton, lorsqu’elle décidait, le 8 août, de suspendre certaines livraisons d’armes vers Israël, susceptibles d’être utilisées dans la guerre à Gaza. Cette mesure, certes limitée, représentait un tournant politique tant le soutien à Israël est raison d’État en Allemagne (Staatsräson) : en 2023, les licences d’exportation d’armes à Israël avaient connu un pic de 326 millions d’euros.
Les décisions vont se multiplier en Europe. Le 3 septembre, alors que les députés écossais votent la reconnaissance de l’État de Palestine, le premier ministre John Swinney annonce que son gouvernement suspend le financement des entreprises de défense vendant des armes à Israël : « Reconnaître que nous assistons aux signes d’un génocide implique une responsabilité d’agir. »
Le 9 septembre, l’Espagne annule un contrat de 700 millions d’euros d’achat de lance-roquettes de conception israélienne. Le 23, le Conseil des ministres espagnol approuve un décret-loi interdisant définitivement l’achat et la vente d’armes, de technologie à double usage et d’équipements militaires à Israël. Le survol de son espace est désormais interdit aux avions transportant des armes pour l’État israélien.
Partout, la pression d’organisations de défense des droits humains se fait forte. Elle contraint le 25 septembre Microsoft à bloquer l’accès de son programme « Azure »4 à une unité de l’armée israélienne qui l’utilisait « pour stocker des données téléphoniques interceptées à travers une surveillance massive de civils à Gaza et en Cisjordanie ». Aux Pays-Bas, cette pression amènera la Cour suprême à ordonner le 3 octobre au gouvernement de reconsidérer sa politique d’exportation d’armes vers Israël. Les ventes de pièces détachées des avions de combat F35 seront suspendues pour six semaines.
Et après le cessez-le-feu ?
Dans le monde de la culture, les appels au boycott se multiplient. Lancé en septembre 2025, le mouvement No Music for Genocide (« Pas de musique pour le génocide ») regroupe plus de quatre cents artistes d’envergure internationale, dont Massive Attack, Fontaines D.C., Kneecap, et de labels qui ne sont plus accessibles sur les plates-formes de streaming depuis Israël. Un autre appel au boycott vise Spotify, non plus en raison de ses conditions de rémunération des artistes, les plus basses du marché, mais des investissements de son président-directeur général Daniel Ek dans l’intelligence militaire et les drones de combat. L’ambiance feutrée du classique n’échappe pas à cette mobilisation, le soliste Adam Laloum interpellant la Philharmonie de Paris sur son choix de programmer l’Orchestre philharmonique d’Israël.
Du côté du cinéma, non seulement des films israéliens sont déprogrammés de festivals ou de salles de cinéma, le plus souvent sans annonce officielle, mais ils ont aussi de plus en plus de mal à trouver un débouché. « Maintenant, c’est devenu très compliqué de vendre des films, dit le réalisateur Shlomi Elkabetz, cité par Haaretz, tout le monde préfère garder ses distances avec le cinéma israélien… Il est vain d’essayer de recruter des partenaires à l’étranger. »5 D’une manière générale, les personnes touchées par ce boycott n’en font pas la publicité, espérant des jours neufs après-guerre.
Les éditeurs et écrivains rencontrent des difficultés du même ordre. « Cette année, dit Julia Fermentto-Tzaisler, la directrice du Festival international des écrivains de Jérusalem, la plupart des invitations que j’ai envoyées pour participer au festival n’ont tout simplement pas reçu de réponse. »
Cette forme de boycott à bas bruit est le cas le plus fréquent. Dans le secteur économique, par exemple : sans faire d’annonces, des chaînes de supermarchés en Europe retirent les produits israéliens de leurs rayons. Les impacts se font sentir chez les agriculteurs. « Ce que l’on craint maintenant, ce sont les sanctions des États », dit un producteur de fruits de la région de Tibériade dans un reportage d’Arte6. Une inquiétude partagée par les économistes israéliens.
Que deviendra ce mouvement de boycott ? L’accord du 9 octobre en Égypte sur la cessation des combats à Gaza suscite beaucoup d’espoirs, même si les contours en sont flous et l’avenir, incertain. Les Israéliens espèrent que la pression sur eux se fera moins forte. L’entrée des fournitures alimentaires dans l’enclave palestinienne, quoi que très limitée, fournira probablement une raison à l’Allemagne et l’Italie de ne pas voter la suspension de l’accord d’association entre l’UE et Israël. Le vote de validation n’est d’ailleurs toujours pas au calendrier de la Commission européenne.
La participation israélienne à l’Eurovision de la chanson, qui se tient du 12 au 14 mai 2026 à Vienne, devait être décidée en septembre — désormais en décembre, « à la lumière des récents développements au Proche-Orient », disent les organisateurs. L’Espagne, l’Irlande, La Slovénie, l’Islande et les Pays-Bas menacent de boycotter la fête en cas de participation d’Israël.
Quoi qu’il en soit, durcissement ou infléchissement, ce mouvement laissera des traces profondes par son ampleur. Une inquiétude semble s’être durablement installée en Israël.
1Sparte est au VIIe s. av. J.-C. la plus puissante cité-État de la Grèce antique, à la tête de la ligue du Péloponnèse. Son armée est alors la plus puissante du monde. Sa défaite face à Thèbes en 371 av. J.-C. marquera un changement d’hégémonie dans la région…
2Elle est l’autrice de Towers of Ivory and Steel : How Israeli Universities Deny Palestinian Freedom, Verso, 2024.
3En vigueur depuis 2000, l’accord d’association entre l’Union et Israël comporte plusieurs volets : économique et de libre-échange, de coopération scientifique et un volet politique, de respect des droits humains et du droit international. C’est le non respect du volet droits humains qui a motivé la proposition.
4Plateforme de cloud computing (externalisation des ressources informatiques d’une entreprise vers des centres de données distants) destinés aux particuliers, aux entreprises et aux gouvernements.
5Nirit Anderman, Gili Izikovich, Shira Naot et Ofir Hovav, « “We’re Persona Non Grata. Almost Satan” : Global Boycott of Israeli Culture Ratchets Up », Haaretz, 25 avril 2024.
6Uri Schneider et Eva Laloum, « Le boycott des produits israéliens a-t-il un impact ? », 3 min, Arte, 2025
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