En Libye, la chute sans fin du secteur pétrolier

La production libyenne de pétrole ne cesse de diminuer depuis la fin de l’ère Kadhafi, et son niveau actuel atteint péniblement le dixième de ce qu’il était en 2011. Un grave manque à gagner pour Tripoli, confronté tout à la fois à des problèmes de maintenance, des mouvements sociaux et — surtout — à la prise de contrôle des terminaux par divers groupes armés.

Oilibya à Essaouira.
Antony Stanley, 10 novembre 2010.

« Si la sécurité ne s’améliore pas et si rien n’est fait pour régler les problèmes de distribution, les exportations libyennes de pétrole risquent de s’interrompre totalement au cours des prochaines semaines. Ce serait une première depuis 2011. » Celui qui lance cette mise en garde n’est pas n’importe qui. Mustafa Sanallah est le nouveau patron de la National Oil Corp (NOC), la société pétrolière étatique. Début juin, il a succédé à Nouri Berruien dont la démission surprise et inexpliquée — il aurait subi des menaces physiques — a aggravé la confusion et les tensions qui entourent le secteur pétrolier. Une statistique permet à elle seule de comprendre l’ampleur du problème. La production actuelle d’or noir atteint péniblement 200 000 barils par jour (à Londres, certains traders estiment qu’elle a chuté en réalité à 150 000 barils depuis février 2014) contre 1,4 million de barils par jour (MBJ) en juillet 2013 et un niveau de près de 2 MBJ avant le déclenchement du conflit qui devait mener, en octobre 2011, à la chute du régime de Mouammar Kadhafi.

Le résultat immédiat de cet effondrement de la production est un sévère manque à gagner pour le pouvoir central de Tripoli qui, par ailleurs, a bien du mal à assoir son autorité politique. « Cette crise nous a coûté 30 milliards de dollars en dix mois, c’est-à-dire 3 milliards de dollars par mois », confirme Musbah Alkari, directeur de la gestion des réserves à la Banque centrale libyenne, qui rappelle que 95 % des recettes extérieures de son pays proviennent de la vente d’hydrocarbures. Du coup, et pour faire face à une situation financière de plus en plus précaire, le gouvernement de Tripoli a engagé une procédure auprès de la Cour suprême afin d’obliger le fonds souverain national à puiser dans ses réserves pour alimenter une partie du budget 2014.

Des mouvements sociaux récurrents

C’est en juillet 2013 que les perturbations déjà latentes dans le secteur pétrolier se sont aggravées au point que plusieurs sites de production ont été fermés durant plusieurs mois. L’un d’eux, celui d’El Feel, vient ainsi à peine de reprendre ses activités mais un nouveau mouvement de grève de ses travailleurs menace déjà de le perturber. De fait, c’est d’abord la revendication sociale qui a affecté les exportations de brut. Comme l’explique un cadre de la NOC qui requiert l’anonymat, « l’une des conséquences de la chute du régime de Kadhafi a été que les salariés de l’industrie pétrolière ont très vite exigé des augmentations immédiates mais aussi l’amélioration de leurs conditions de travail, ces dernières s’étant dégradées au cours des années 1990 et 2000 ». Grèves, occupations de chantiers, fermetures de pipelines, séquestration de responsables : aucun champ pétrolier libyen majeur n’a échappé à l’agitation — y compris ceux exploités par des compagnies étrangères. « N’importe qui peut bloquer un champ pétrolier y compris les gardes de sécurité dépêchés par le gouvernement et qui décident soudain qu’ils sont trop mal payés », reconnaît-t-on auprès de la NOC.

Des installations sous contrôle de groupes armés

Mais, outre des problèmes récurrents de maintenance des installations, c’est désormais la prise en otage du secteur pétrolier par tout ce que la Libye peut compter de groupes armés qui affecte la production. Milices opposées au gouvernement central, tribus ou groupes islamistes armés exigent eux aussi leur dû et empêchent les pompages quand ils ne se contentent pas de contrôler les terminaux portuaires en Cyrénaïque, région qui concentre 80 % des exportations des hydrocarbures libyens. À la tête de plusieurs groupes armés, Ibrahim Al-Jadhran est l’un des personnages clés de cette crise. Ayant proclamé l’autonomie de la Cyrénaïque en 2013, il exige une refonte totale de la répartition des revenus pétroliers ainsi qu’un audit complet des comptes de la NOC, avec la poursuite des responsables impliqués dans des actes de corruption avec des compagnies pétrolières étrangères. Malgré les pressions du gouvernement et de ses milices alliées, Jadhran contrôle aujourd’hui encore une grande partie des installations pétrolières de l’Est et a démontré sa capacité à bloquer la majeure partie de la production d’or noir. Dans cette affaire, le pouvoir de Tripoli semble incapable d’adopter une attitude claire. En mars, c’est en vain qu’il a tenté par la force de reprendre le contrôle des installations. Début juin, une source gouvernementale nous déclarait que « des négociations sont toujours en cours pour permettre un retour de la production pétrolière à ses niveaux précédents ». Pour autant, rien ne permet d’affirmer qu’un accord sera bientôt effectif.

Vers une intervention ?

Dans cette optique, des rumeurs récurrentes font état d’une possible intervention militaire occidentale pour aider Tripoli à sécuriser ses installations pétrolières. Même si peu d’observateurs estiment cette option crédible, l’arraisonnage en mars 2014 d’un pétrolier par la marine américaine a semé le trouble. Battant pavillon nord-coréen, mais visiblement affrété par un donneur d’ordre égyptien basé à Alexandrie, le Morning glory avait chargé 234 000 barils fournis directement par les milices de l’est du pays avant d’être intercepté et ramené par l’US Navy au port de Khomes (ouest du pays). Confisquée, sa cargaison a finalement alimenté la raffinerie de Zaouia, laquelle dessert en carburant l’ouest du pays et notamment Tripoli. « Les États-Unis ont envoyé un signal clair, explique un homme d’affaires algérien qui connaît bien la Libye. Ils ne vont certainement pas intervenir militairement pour libérer les installations pétrolières. Mais ils ne permettront pas que du brut soit directement exporté par les milices au détriment du gouvernement ».

Par ailleurs, le blocage des champs pétroliers a aussi des conséquences internes. Les pénuries d’essence sont de plus en plus fréquentes et les files d’attentes s’allongent au niveau des stations, notamment dans la région de Tripoli. La raffinerie de Zaouia d’une capacité de 120 000 BJ tourne au ralenti tandis que de nombreux camion-citernes sont attaqués et volés par des hommes en arme. Là aussi, le gouvernement central vient de décider la sécurisation des raffineries et des moyens de distribution d’essence en mobilisant notamment les forces spéciales. Une décision dont l’efficacité reste à démontrer…

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