Sport

Football. L’Arabie saoudite aiguise ses ambitions mondiales

Après le succès de la Coupe du monde au Qatar, l’évènement sportif du côté de Riyad était en ce début 2023 l’arrivée tant attendue dans un club saoudien du footballeur portugais star Cristiano Ronaldo. Son contrat doré sur tranche symbolise une stratégie saoudienne qui s’aiguise, en vue de décrocher la Coupe du monde en 2030.

Le nouvel attaquant d’Al-Nassr, Cristiano Ronaldo, sa compagne et ses enfants au stade Mrsool Park à Riyad, le 3 janvier 2023
AFP

Dans la tribune princière du stade Al-Beyt, Mohamed Ben Salman Al-Saoud (MBS) assiste ce 20 novembre 2022 à la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de football. Le prince héritier d’Arabie saoudite se tient aux côtés de l’émir du Qatar. Les deux personnalités profitent de ce moment pour se mettre en scène et orchestrer leur communication respective. Si Tamim Ben Hamad Al-Thani revêt les habits de leader arabe, le prince héritier saoudien prépare le coup d’après. Plus qu’un simple rapprochement avec Doha, il s’agit surtout pour Riyad de se concentrer sur sa propre partition politique. Et si l’émirat du Qatar a obtenu l’organisation de la première Coupe du monde arabe, l’Arabie saoudite prépare dans l’ombre la sienne. C’est ainsi qu’il faut comprendre la présence de MBS à Al-Khor, puis le défilé à Doha de plusieurs personnalités saoudiennes de haut rang tout au long de la compétition. Pour les Saoudiens la rancœur est mise de côté, le Qatar a remporté son bras de fer, il s’agit maintenant de se concentrer sur ses propres objectifs. Dans les travées du stade d’Al-Khor s’esquisse une sorte de passage de relais. Riyad s’inscrit désormais dans les pas du Qatar pour en sortir grandi.

« Saint » Cristiano Ronaldo

Et en plein Mondial, les réseaux sociaux saoudiens s’emballent autour du hashtag #KristianoAl-nasrawy. La rumeur de l’arrivée de Cristiano Ronaldo dans l’équipe du club Al-Nassr enfle. Le quotidien saoudien de référence Al-Charq Al-Awsat évoque les sommes astronomiques qui seraient au centre du jeu. À l’été 2022, l’autre grand club de la capitale saoudienne, Al-Hilal, s’était vu opposer un refus, mais en ce mois de novembre la situation a changé. La Coupe du monde touche à sa fin et le Portugais est désormais libre de tout contrat. La voie est libre.

Cristiano Ronaldo est accueilli en rock star. Sur la pelouse du Mrsool Park, l’enceinte flambant neuve d’Al-Nassr, l’année 2023 s’ouvre sur les images du qintuple ballon d’or fêté sous ses nouvelles couleurs. Pour son premier acte, le Portugais prend les rênes d’une équipe inédite, les Riyad Season, et l’adversaire d’un jour n’est autre que le PSG (par ailleurs propriété du Qatar) de Lionel Messi. Le duel Ronaldo-Messi est ainsi ravivé, comme le remake d’un âge d’or du Clásico. Le 19 janvier, le show est au rendez-vous, le PSG l’emporte sur un score fleuve de 5 à 4. Au-delà du résultat, le match ouvre une année qui va marquer un tournant dans la stratégie sportive saoudienne.

Dynamiser l’industrie du divertissement

Derrière cette signature, il faut en effet voir la volonté des autorités d’accélérer la cadence dans la structuration de leur politique sportive. Réformé en 2016, le ministère du sport avait pour mission d’investir sur le plan international. Par l’intermédiaire de son fonds souverain, le Public Investment Fund, le royaume s’était implanté, non sans difficulté en Premier League britannique avec l’achat du club des Magpies de Newcastle.

Le sport constitue un pilier central dans l’intention du pouvoir de rompre avec un système soutenu par la rente pétrolière. Il s’inscrit dans un mouvement de libéralisation économique et doit produire une nouvelle image de l’Arabie saoudite, tout en développant autour du football un écosystème dynamique visant à stimuler le marché national.

Loin des logiques qui animent les monarchies voisines, cette politique n’est pas uniquement centrée sur son agenda international. Pour Riyad, il s’agit de mettre un terme au rigorisme qui frappait sa société. L’objectif est de dynamiser un secteur du divertissement pour satisfaire les envies de sa population en mal de loisirs. Cette ouverture induit mécaniquement le développement d’un nouveau marché et favorise la construction d’une image positive vouée à susciter la confiance des milieux d’affaires étrangers.

Le socle posé, et la Coupe du monde du monde 2022 terminée, il s’agit pour Riyad de préparer la suite. C’est ainsi qu’il faut comprendre la série de faits de ces dernières semaines. De l’annonce surnaturelle — qui n’est pas passée inaperçue — de désignation du royaume comme pays organisateur de l’édition 2029 des Jeux asiatiques d’hiver à l’arrivée de Cristiano Ronaldo, l’Arabie saoudite a décidé de passer à la vitesse supérieure avant sa candidature à la Coupe du monde 2030. La stature quasi sacrée du Portugais au niveau mondial offre au royaume l’assise nécessaire pour mener un tel dessein.

Un drame en 1933

Abdelaziz Ben Fayçal Al-Saoud, la figure centrale du ministère du sport, a souhaité à Cristiano Ronaldo la bienvenue dans sa « nouvelle maison ». Ce prince, homme fort du sport saoudien, illustre les mutations en cours. Comme lieu central de la décision, l’Autorité générale du sport qu’il dirige s’est substituée à la présidence pour le bien-être de la jeunesse, marquant un changement dans la manière de penser le sport dans le logiciel du pouvoir.

Dans l’histoire du royaume, l’essor du mouvement sportif dans les années 1930 inspire avant tout la méfiance. Cette influence étrangère se développe autour des villes du Hedjaz : Djeddah, La Mecque et Médine. Elle prend forme à partir des flux commerciaux et religieux que concentre cette région stratégique de l’ouest de l’Arabie. Les locaux prennent part à des parties de football face à des groupes d’étrangers de passage. À Djeddah, un club est fondé à la fin des années 1920, Al-Ittihad, puis un deuxième au début des années 1930, Al-Bahri, et un troisième, Al-Thaghr, qui deviendra quelques années plus tard le club d’Al-Ahly.

Mais en 1933 un drame se produit sur l’un des terrains de la cité portuaire, freinant l’essor de ce sport. L’historien saoudien Amine Saati rapporte que la mort d’un joueur suite à une crise cardiaque conduit les autorités à interdire aux Saoudiens la pratique du football. La multiplication d’actes violents sur les terrains est un prétexte qui offre l’occasion au pouvoir de prohiber l’exercice de ce sport. La mobilisation des joueurs d’Al-Ittihad menée par Hamza Fitahi, l’un de ses fondateurs, conduit les autorités à faire marche arrière. En 1938, le football reprend ses droits dans le Hedjaz.

L’influence marchande du Hedjaz

Derrière la diffusion de ce sport dans l’ensemble du royaume plane la figure de Mohamed Ali Rida Zainal, riche et influent marchand de perles originaire de Djeddah. Mohamed Saleh Mohamed Salama travaillait pour lui en Inde. Avant d’être le capitaine du club d’Al-Ittihad, il y a appris au contact des Anglais les rudiments du football qu’il enseigne ensuite à Djeddah. Il quitte ensuite le Hedjaz pour l’est du royaume et travaille pour Aramco à Dharan, où il fonde le premier club de football.

Un autre homme-clé de l’histoire du football saoudien, Omar Mahmoud Chams Al-Rachidi est aussi associé à l’entreprise de Mohamed Ali Rida Zainal. Le fondateur d’Al-Ahly, l’autre club de Djeddah, sort de l’école d’Al-Falah, fondée au début du XXe siècle par l’homme d’affaires dans le but de former de jeunes hommes compétents pour construire une administration solide et les bases d’un tissu commercial compétitif.

À l’instar du fondateur du club d’Al-Ahly qui deviendra par la suite un important dirigeant de l’administration du Hedjaz, le système éducatif de cette région conçu en grande partie sous la houlette de Mohamed Ali Rida Zainal a contribué au développement de la puissance étatique dans le royaume. Ces agents ont joué un rôle essentiel dans la diffusion de cette culture dans les années 1950. En Arabie saoudite, le football se développe sous l’impulsion du Hedjaz, mais les ailes politique et religieuse du pouvoir dominent la scène sportive qui émerge. Les institutions sportives et clubs principaux passent progressivement sous la coupe de princes, mais l’essor du sport reste contraint par l’influence conservatrice du clergé.

L’arrivée du roi Salman fait bouger les lignes. Le pan religieux perd de son influence sur le cours politique du royaume et le pouvoir gagne en centralité. Le sport est ensuite mis au service de la montée en puissance du prince héritier MBS. C’est dans ce cadre que s’inscrit le contrat de Cristiano Ronaldo, avec comme principal objectif la Coupe du monde 2030.

Signe de ce changement de logiciel, Achraf Sabahi, le ministre du sport égyptien annonce à l’été 2022 qu’une candidature commune à la Coupe du monde entre Riyad, Le Caire et Athènes est en cours de réflexion. À travers le ballon rond, le royaume consolide ses clientèles régionales. Et au regard de la Fédération internationale de football (FIFA), réunir en une candidature trois confédérations apparaît plus que séduisant. Un format de Coupe du monde élargi — le tournoi passera à partir de 2026 de 32 à 48 sélections — offrira au royaume l’occasion d’aiguiser sa stratégie sportive afin de tenir son rang.

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