France. Antisémitisme, l’impulsion vient d’en haut

Des slogans antisémites sont apparus dans certaines manifestations contre le pass sanitaire. Tout en interdisant une manifestation pour la Palestine au nom d’un supposé antisémitisme, le gouvernement français avait pourtant montré une indulgence coupable à l’égard de quelques-unes de ses figures.

Chambord, 22 juillet 2020
Ludovic Marin/POOL/AFP

Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur d’Emmanuel Macron, peut parfois se montrer intraitable. Le 8 août 2021 par exemple, après qu’une manifestante d’extrême droite avait brandi à Metz un écriteau antisémite dans un défilé contre le pass sanitaire, il a twitté : « Cette pancarte est abjecte. L’antisémitisme est un délit, en aucun cas une opinion. De tels propos ne resteront pas impunis. J’ai demandé [au préfet de la Moselle] de faire un signalement au parquet sur la base de l’article 401. Les services de police sont mobilisés pour identifier leur auteur ». Rapidement identifiée, l’intéressée — une enseignante, ex-élue du Front national — sera jugée en septembre pour provocation à la haine raciale.

Quelques mois plus tôt, le 15 mai 2021, Gérald Darmanin avait interdit, avec l’aval, bien sûr, de l’Élysée, une manifestation parisienne de soutien aux Palestiniennes, en prétextant qu’« il ne p(ouvait) pas y avoir de manifestations de haine en France », et qu’il ne « v(oulait) pas qu’on crie “mort aux juifs“ dans les rues de Paris » comme cela avait été le cas, avait-il soutenu, en 2014 . Ces déclarations s’inscrivaient dans la déjà longue histoire de la diffamation des militantes propalestiniennes, dont l’opposition à la politique coloniale et raciste du gouvernement israélien est régulièrement présentée comme un « nouvel antisémitisme ».

Célébrer Maurras et Pétain

Ces intransigeances peuvent surprendre. Car il arrive que les pouvoirs publics se montrent plus coulants.

Lorsque la République française a voulu commémorer en 2018, un an après l’élection d’Emmanuel Macron, la naissance de Charles Maurras, auteur d’innombrables appels au meurtre des juifs, Gérald Darmanin, plus accommodant avec cet accommodement qu’il ne l’est avec les dénonciateurs des guerres israéliennes est ainsi resté sans réagir. Devant le tollé, ce projet a finalement été abandonné. Quelques semaines plus tard, Le Figaro a tout de même publié, en avril 2018, dans un dossier de deux pages dédié à « Maurras le maudit » dont certains écrits venaient d’être réédités, un exposé consacré à son « œuvre abondante, variée, parfois discutable » (sic), dont l’auteur, le journaliste Sébastien Lapaque, ne mentionnait pas une seule fois l’antisémitisme rabique de l’inventeur du « nationalisme intégral »2. Et dans le même numéro, un autre article soutenait que « l’antisémitisme de Maurras », qui écrivait en 1936 que « c’était en tant que Juif qu’il fallait voir, concevoir, entendre, combattre et abattre le Blum », n’était devenu « particulièrement tragique » qu’«  à partir de 1940 »…

Quelques mois plus tard, Emmanuel Macron, dont le règne aura donc été régulièrement ponctué par des envies de célébrations déconcertantes, a voulu fêter, par-delà le détail que l’intéressé avait pris une part active dans la Shoah, la mémoire du « grand soldat » Philippe Pétain, sans que Gérald Darmanin ne s’en formalise.

Après quoi, en 2020, le chef de l’État, revenant sur la polémique provoquée deux ans plus tôt par le projet gouvernemental de commémoration de la naissance du directeur de L’Action française, a déclaré dans L’Express qu’il « combattait avec la plus grande force l’antisémitisme et le racisme », mais que pour autant, il « trouvait absurde de dire que Maurras ne devait plus exister. »

Ces propos étaient intéressants à plus d’un titre. Pour ce qu’ils révélaient, d’abord, de l’élasticité du rapport qu’Emmanuel Macron entretient avec la vérité, car dans la réalité, bien sûr, personne n’a jamais demandé que Maurras « n’existe plus » : c’est le projet de célébration de sa naissance par la République qui avait été, deux ans plus tôt, vivement contesté. Puis, pour ce qu’ils disaient ensuite de l’étendue de la tolérance d’Emmanuel Macron. Lequel considère donc que le souvenir de l’auteur d’immondes appels à préserver «  l’hérédité de naissance française contre l’hérédité de sang juif », qui vitupérait encore contre « la juiverie » dans les colonnes de L’Action française en 1944 ne doit pas être effacé pour si peu de notre mémoire collective.

De Zemmour à Napoléon

En 2020 toujours, le chef de l’État, qui peut donc faire preuve d’une certaine conséquence, a également téléphoné, pour lui apporter son soutien après qu’un passant l’avait brutalement apostrophé, à l’agitateur d’extrême droite Éric Zemmour. Celui-ci s’est fait, parmi d’autres, une spécialité de relativiser la complicité du régime de Vichy dans la Shoah en soutenant contre la vérité historique que le maréchal Pétain, dont le zèle antisémite a été amplement documenté, aurait « sauvé » les juifs français.

Au mois d’octobre 2020, c’est Gérald Darmanin lui-même qui a publiquement dit la défiance que lui inspiraient les linéaires dédiés aux produits casher et halal dans les grandes surfaces : « Ça m’a toujours choqué de rentrer dans un hypermarché et de voir qu’il y a un rayon de telle cuisine communautaire, c’est comme ça que commence le communautarisme », a-t-il posément déclaré dans le cours d’un entretien télévisé.

En mars 2021, d’autres déclarations pour le moins problématiques du ministre de l’intérieur ont été mises en lumière. En observatrice attentive, la sociologue Noémie Emmanuel a relevé dans son dernier livre paru un mois auparavant3 les lignes jusqu’alors passées inaperçues où il évoquait, pour documenter son projet d’« intégration » des musulmans, « les difficultés liées à la présence de dizaines de milliers de juifs en France » à l’époque napoléonienne, et les imputait, plutôt qu’à l’antisémitisme, au fait que « certains d’entre eux pratiquaient l’usure et faisaient naitre troubles et réclamations »

On l’aura compris : pour Emmanuel Macron et son ministre de l’intérieur, ni les abjects préjugés de Napoléon Bonaparte, qui considérait les juifs comme des « chenilles et (d)es sauterelles qui ravage(aie)nt la France », ni les incessantes provocations à la haine antisémite de Charles Maurras, ni la participation de Philippe Pétain à l’entreprise nazie d’extermination des juifs ne doivent empêcher que ces personnages soient célébrés par la République ou par l’un de ses ministres.

Les appels au meurtre des juifs, lorsqu’ils sont lancés pendant toute une vie — et jusque dans les tout derniers mois de l’occupation allemande — par un Maurras n’empêchent nullement que la France d’Emmanuel Macron planifie tout de même une manifestation commémorant sa naissance. L’envoi de dizaines de milliers de juifs vers les camps d’extermination nazis par le régime de Vichy n’empêche nullement qu’Emmanuel Macron veuille tout de même une manifestation glorifiant la mémoire du chef de guerre Pétain. Et les manifestations verbales de l’antisémitisme de Napoléon, largement documentées elles aussi, n’empêchent nullement que Gérald Darmanin le présente comme l’un de ses inspirateurs lorsqu’il prétend lutter contre ce qu’il appelle le « séparatisme » islamique.

En revanche, le souvenir que quelques cris, effectivement ignobles, ont été lancés en 2014 dans un défilé parisien justifie, selon ces mêmes dirigeants, l’interdiction pure et simple, sept ans plus tard, d’une manifestation de soutien aux victimes d’une guerre inique, et la disqualification massive de l’ensemble des militantes propalestiniennes.

Et bien sûr, cette complaisante tartufferie où l’intolérable, dorénavant, est régulièrement toléré — ou relativisé — crée un climat dans lequel les pires malveillances trouvent des encouragements.

De sorte qu’il n’est guère étonnant que des antisémites d’extrême droite se sentent désormais autorisés à brandir des pancartes abjectes où ils dénoncent crûment les difficultés liées, selon eux, à la présence de juifs en France : l’exemple de la décontraction leur vient, semble-t-il, d’assez haut.

1NDLR. Code de procédure pénale, article 40 : […] Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

2Sébastien Fontenelle, Les empoisonneurs. Antisémitisme, islamophobie, xénophobie, Lux, 2020.

3Le séparatisme islamiste. Manifeste pour la laïcité, L’observatoire Eds De, février 2021.

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