Lettre ouverte

Garantir le retour des réfugiés syriens en France

Campagne « Liberté d’agir, droit de revenir ». Pour pouvoir participer à la transition en Syrie sans perdre leur droit au séjour, des membres de la société civile syrienne en France ont écrit une lettre ouverte au président Emmanuel Macron et à Jean-François Guillaume, envoyé spécial pour la Syrie.
Elle est suivie du courrier de leurs avocats, Me Raphaël Kempf et Me Romain Ruiz, adressé au président français.

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Tammam Azzam, Untitled, 2023

Monsieur le Président de la République,
Monsieur l’Envoyé spécial pour la Syrie,

Nous, membres de la société civile syrienne en France, vous adressons cette lettre pour exprimer nos préoccupations et nos aspirations concernant la situation des réfugiés syriens en France.

En ce moment crucial pour la Syrie, alors qu’une transition politique et démocratique semble enfin envisageable, il est essentiel que les réfugiés syriens puissent participer activement à la reconstruction de leur pays tout en bénéficiant de la protection internationale à laquelle ils ont droit. Après plus de cinquante-quatre ans de dictature, de barbarie et de répression, l’espoir renaît pour un avenir démocratique en Syrie. Cependant, la transition politique à venir pose de nombreux défis pour les Syriennes et les Syriens, à la fois au sein du pays et dans la diaspora.

Nous souhaitons attirer votre attention sur plusieurs points essentiels, en espérant que la France et l’Europe continueront à incarner les valeurs de justice et de solidarité.

Nos principales demandes :

Le droit au retour temporaire sans perte de protection subsidiaire ou du droit d’asile.

Les réfugiés syriens doivent pouvoir participer à la transition politique et démocratique en Syrie, y compris à travers un retour temporaire ou transitoire. Ce retour doit être sécurisé, volontaire et encadré juridiquement, avec une garantie absolue de retour en France sans risque de révocation de leur statut de réfugié ni de perte de leur protection internationale.

La participation aux processus démocratiques sans renonciation au statut de réfugié.

La participation des réfugiés syriens aux élections et aux processus démocratiques, y compris ceux organisés par des ambassades syriennes à l’étranger, est cruciale. Cette participation ne doit en aucun cas être interprétée comme une renonciation au droit d’asile ou à la protection internationale, mais plutôt comme un acte d’autodétermination et un engagement pour l’avenir démocratique de la Syrie.

Le droit garanti des Syriennes et des Syriens de faire part du futur recensement de la population.

La participation sans aucune contrainte des Syriennes et des Syriens au recensement, annoncé par le gouvernement transitoire, doit être garanti pour préserver leur identité, leur appartenance et les droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux qui en découlent. Cependant, cette participation nécessite une communication avec le bureau représentatif de la Syrie ou la future ambassade syrienne à Paris ou ailleurs.

Un cadre juridique clair et protecteur.

L’État de droit français, à ce jour, ne permet pas cette participation sans un risque de renonciation au droit d’asile ou à la protection internationale constatée par l’OFPRA. L’absence d’un cadre juridique clair permettant de protéger les droits des Syriens en exil met en danger leur dignité, leur sécurité et leurs droits fondamentaux. A cet égard, nous vous appelons à la mise en place de garanties juridiques spécifiques qui protègent les réfugiés syriens contre toute forme de discrimination ou de décision arbitraire avant l’installation d’un gouvernement représentatif des espoirs des Syriennes et des Syriens d’un État de droit digne de ce nom.

Pouvoir contribuer à la construction démocratique en Syrie

Les Syriennes et les Syriens en France et en Europe aspirent à contribuer à la reconstruction de leur pays tout en bénéficiant de la protection qui leur est due. Ils ont appris de leur séjour dans des États de droit l’importance de la démocratie et de la participation citoyenne. En les privant de la possibilité de contribuer à la transition en Syrie, nous risquons de compromettre cette transition démocratique tant espérée. La France et l’Europe, défenseurs historiques des droits humains, doivent jouer un rôle exemplaire en soutenant activement les aspirations des réfugiés syriens à choisir librement leur avenir.

Nous, membres de la campagne « Liberté d’agir, droit de revenir », représentons 14 Syriennes et Syriens issus de tous les gouvernorats, de diverses appartenances politiques, ethniques et religieuses. Nous vous soumettons cette lettre avec une profonde conviction que la France saura répondre avec humanité et pragmatisme à ces enjeux.

Nous restons à votre disposition pour toute discussion qui pourrait contribuer à renforcer la protection des réfugiés syriens, à promouvoir leurs droits et à garantir un avenir commun basé sur la justice et la paix Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, Monsieur l’Envoyé spécial pour la Syrie, l’expression de notre haute considération. 

La coordination de la Campagne Liberté d’agir, droit de revenir :

• Madame A.Hanine
Militante et féministe. Tartous.

• Madame A.Bushra
Défenseuse des droits humains, interprète. Deraa.

• Madame Kholoud SHEHADA
Chargée de coopération internationale au ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse. Damas : Palestino-syrienne.

• Monsieur Yahya Al-Abdullah
Anthropologue, chercheur-enseignant spécialisé en asile, migration et intégration. Alep.

• Monsieur Beshr ALHAWI
Journaliste (Al jisr TV, Halab today). Alep.

• Maitre Ayham SABRA
Avocat au Barreau de Paris, spécialisé en droit des affaires, droit immobilier et droit des associations. Damas.

• Monsieur Waddah SALEH
HR manager (ressources humaines) membre de plusieurs associations de défense des droits d’asile. Lattaquié.

• Monsieur S.Ahmad
Doctorant chercheur à l’EHESS, la mention des études politiques. Raqqa.

Les 14 Syriennes et Syriens représentés par la Campagne :

  • Shadi, diplômé en droit, Kuneitra.
  • Bushra, interprète, Daraa.
  • Samira, retraitée, institutrice, Lattaquié.
  • Wafaa, femme au foyer, Homs.
  • Nagham, employée de commerce, Soueïda.
  • Mahmoud, technicien informatique, Rif Dimachq.
  • Ayman, juriste, Hassaké.
  • Abd alrahman, militant des droits humains, Damas.
  • Beshr, Journaliste, Alep.
  • Zein, employer du bâtiment, Idlib.
  • Mohamad, enseignant, Hama.
  • Mohmmad, diplômé de l’INALCO, Deir ez-Zor.
  • Khaled, intéressé par les affaires politiques syriennes. Tartous.
  • Ahmad, Doctorant, Raqqa.

Protéger les droits de la diaspora syrienne en France

Demande de garanties (délivrance systématique et inconditionnelle de sauf-conduits aux réfugiés Syriens souhaitant voyager dans leur pays) permettant à la diaspora syrienne en France de participer au processus de transition démocratique en Syrie

Monsieur le Président de la République,

Nous avons l’honneur de vous écrire en notre qualité d’avocats de Syriennes et Syriens vivant en France, notamment en qualité de réfugiés, et qui se sont réunis pour créer la campagne « Liberté d’agir, droit de revenir ».

Depuis dix ans, nous avons eu comme avocats l’honneur de défendre devant la Cour nationale du droit d’asile de nombreux Syriennes et Syriens qui ont fui le régime tyrannique de Bachar Al-Assad pour trouver refuge dans notre pays. Nous avons appris, à travers leurs récits singuliers, combien ce qui était décrit par Michel Seurat comme un « État de barbarie » avait des conséquences concrètes et terribles sur les vies des habitants de Syrie.

Alors que ce régime est tombé le 8 décembre 2024, les Syriennes et Syriens que nous représentons ont célébré, comme nombre de leurs compatriotes, la fin de l’autoritarisme.

À la joie a succédé l’inquiétude : allaient-ils pouvoir voyager dans leur pays ? Retrouver leurs maisons, sûrement détruites ? Partir à la recherche de proches disparus dans l’enfer du système carcéral syrien dont la prison de Sednaya représente le symbole le plus terrifiant ? Allaient-ils pouvoir participer à l’émergence d’un espace public libre et démocratique en Syrie ? Allaient-ils pouvoir partager leur expérience des libertés et des droits humains, acquise après une décennie de vie et d’intégration à notre pays, respectueux de l’État de droit ?

Les premières déclarations des autorités françaises et européennes ont rapidement douché leurs espoirs : dès le lundi 9 décembre 2024, soit le lendemain de la chute de Bachar Al-Assad, de nombreux pays européens annonçaient la suspension de l’examen des demandes d’asile des Syriens et Syriennes. Le même jour, le ministre de l’Intérieur français décidait de s’emparer politiquement du sujet et disait travailler à une suspension de ces demandes d’asile.

Le message envoyé par ces décisions politiques françaises et européennes est que les Syriens et Syriennes ne sont plus désirables en France et en Europe. Plutôt que de souligner l’importance du rôle des réfugiés syriens de la diaspora dans la construction d’une Syrie libre et démocratique, les responsables politiques cherchent à s’en débarrasser.

Le dilemme des réfugiés syriens

Dès le 12 décembre 2024, Le Monde publiait au nom de sa rédaction un éditorial dénonçant ces annonces politiques : « Réfugiés syriens : la précipitation choquante de pays européens ».

Le 2 janvier 2025, des chercheurs, écrivains et intellectuels syriens et français, publiaient dans le même journal une tribune dénonçant le risque que constituerait la perte de leur protection internationale : « la perspective de perdre le droit au séjour en France dissuade de nombreux réfugiés à contribuer à la construction d’une Syrie qui pourrait pourtant leur ressembler ». Ses auteurs soulignaient le « dilemme » auquel les réfugiés syriens sont confrontés :

Les incertitudes politiques qui pèsent sur la situation, notamment en termes de sécurité, confrontent les réfugiés syriens à un dilemme : à leur envie brûlante, pour nombre d’entre eux, de participer à la reconstruction du pays, y compris politique, s’oppose le caractère définitif et donc très risqué d’un retour en Syrie, celui-ci impliquant la perte de la protection internationale. Cette perspective dissuade de nombreux réfugiés à contribuer sur place à la construction d’une Syrie qui pourrait pourtant leur ressembler, pour peu que la frange de la population dont ils sont issus y soit massivement représentée : une Syrie antiautoritaire, progressiste, inclusive et démocratique. 

L’un d’entre nous a eu l’occasion de se rendre en Syrie au début du mois de janvier : il y a vu la joie, l’espoir et le bonheur des Syriens célébrant la chute du régime. Mais aussi l’inquiétude quant à la perspective de constitution d’un nouveau régime autoritaire qui ne respecterait ni les libertés fondamentales ni les minorités. Il est saisissant qu’un avocat français puisse se rendre en Syrie sans difficulté, admirer la mosquée des Omeyyades et le quartier juif de Damas, écouter l’optimisme du peuple syrien, tandis que ses clients, réfugiés pour certains depuis une décennie, sont bloqués en France et dépendants de décisions politiques aussi absurdes qu’idéologiques.

Pour éviter que la Syrie redevienne un État autoritaire, nous sommes convaincus que seule la pression populaire sur les dirigeants peut éviter de telles dérives. Cela passe par la constitution d’un espace de parole où la critique du gouvernement est libre et sans risque. La participation de la diaspora syrienne à ce débat public et démocratique syrien est absolument capitale.

On a déjà pu en apprécier les effets lors de l’affaire dite des « manuels scolaires » au début du mois de janvier 2025. Le gouvernement de transition avait alors souhaité modifier les programmes scolaires dans un sens favorable à une islamisation de l’enseignement, au détriment de l’apport des minorités à l’histoire de la Syrie (cf. « Syrie : plusieurs modifications dans les manuels scolaires inquiètent, le ministère de l’Éducation essaie d’éteindre la polémique », Libération, 2 janvier 2025).

La mobilisation de la société civile en Syrie et à l’étranger, notamment sur les réseaux sociaux mais aussi dans la rue à Damas, a obligé le gouvernement de transition à reculer et à renoncer à ces modifications. Nous voyons sous nos yeux émerger un espace public : l’emploi du terme de « polémique » et l’obligation pour les dirigeants de se justifier montre combien est capitale la possibilité de s’exprimer librement.

Les Syriennes et Syriens que nous représentons ne demandent qu’une chose, très simple : pouvoir participer à ce processus sans risquer de perdre les attaches qu’ils ont pu construire avec notre pays depuis des années. Ils veulent jouer ce rôle de passeurs entre deux cultures, entre deux pays : rôle essentiel, qui ne peut qu’enrichir chacune des deux sociétés.

Nos clients écrivent dans leur lettre ouverte :

 Les Syriennes et les Syriens en France et en Europe aspirent à contribuer à la reconstruction de leur pays tout en bénéficiant de la protection qui leur est due. Ils ont appris de leur séjour dans des États de droit l’importance de la démocratie et de la participation citoyenne. En les privant de la possibilité de contribuer à la transition en Syrie, nous risquons de compromettre cette transition démocratique tant espérée. La France et l’Europe, défenseurs historiques des droits humains, doivent jouer un rôle exemplaire en soutenant activement les aspirations des réfugiés syriens à choisir librement leur avenir. 

Comme avocats, nous savons qu’il existe une solution technique à cet enjeu politique fondamental : les Syriens et Syriennes vivant en France et titulaire d’une protection internationale (statut de réfugié ou protection subsidiaire) doivent pouvoir bénéficier de façon systématique et inconditionnelle, sur leur simple demande, d’un sauf-conduit leur permettant de se rendre en Syrie et de revenir en France sans perdre leur protection et donc leur droit au séjour.

Faire cette annonce, accorder cette garantie aux réfugiés syriens qui ont choisi notre pays pour fuir la barbarie d’Al-Assad, constituerait de votre part une contribution capitale à la construction d’une Syrie libre, démocratique et non autoritaire.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, en l’assurance de notre considération la plus respectueuse.

Raphaël Kempf, Romain Ruiz.

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