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Gaza année zéro

Malgré les promesses, le blocus continue · L’offensive israélienne sur Gaza de l’été 2014 restera gravée dans les mémoires comme ayant été la plus destructrice et la plus meurtrière des opérations militaires subies jusque là par les habitants de l’étroite enclave palestinienne. Le plan de reconstruction onusien négocié avec Israël se heurte à la réalité du blocus, qui subordonne toute action à la volonté de la puissance occupante. Et pendant que le monde suit le déploiement de la stratégie diplomatique adoptée par l’Autorité palestinienne, la population de Gaza campe dans les ruines et s’apprête à subir les rigueurs de l’hiver.

L'image montre une scène à l'intérieur d'un bâtiment endommagé. On aperçoit une femme vêtue d'un vêtement traditionnel, se tenant près d'une fenêtre qui donne sur des ruines. De l'autre côté, on voit des décombres de bâtiments effondrés, laissant entrevoir la désolation d'un environnement détruit. La lumière du soleil filtre à travers les rideaux, ajoutant une ambiance à la fois triste et poignante à la scène.
Dans le quartier de Chajaya, à l’est de la ville de Gaza.
© Anne Paq/Activestills, 4 septembre 2014.

Photos Anne Paq/ActiveStills

« Rien ne pouvait me préparer à ce que j’ai vu aujourd’hui. C’est indescriptible. » C’est en ces termes que le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon exprimait sa réaction devant l’ampleur de la dévastation de Gaza, lors de sa visite le 14 octobre 2014. Il était venu assurer aux Gazaouis le soutien quelque peu tardif de la « communauté internationale » et annoncer que la Conférence internationale des donateurs réunie les 4 et 5 octobre au Caire promettait 5,4 milliards de dollars d’aide à la reconstruction de leur territoire ravagé.

Ainsi se poursuit depuis des années le cycle des destructions massives et des reconstructions partielles sur l’étroite bande de terre d’environ 360 km², où survivent dans des conditions de plus en plus difficiles 1,7 million de personnes sous le blocus imposé par Israël — et auquel l’Égypte contribue de fait. Un blocus largement renforcé à partir de la prise de contrôle de Gaza par le Hamas en 2007.

Depuis la seconde Intifada en 20011 en effet, outre des dégâts matériels successifs importants, des milliers de Gazaouis — principalement des civils — sont morts ou ont été blessés du fait des opérations militaires israéliennes successives : « Bouclier défensif » en mars et avril 2002, « Pluies d’été » en juin 2006, « Plomb durci » (décembre 2008-janvier 2009) qui avait fait plus de 1400 victimes2 ou « Pilier de défense » (novembre 2012). Mais aussi, mois après mois, dans d’innombrables frappes aériennes, raids, incursions terrestres ou encore « dégâts collatéraux » d’assassinats ciblés.

18 000 logements détruits, plus de 100 000 sans-abris

« Bordure protectrice » a été la plus destructrice et la plus meurtrière de ces opérations. Entre le 8 juillet et le 26 août 2014, elle aura fait 2 192 victimes côté palestinien, dont 1 523 civils et 519 enfants, selon les chiffres du Bureau de coordination des Affaires humanitaires de l’ONU (Ocha)3, qui dénombre également 11 293 blessés. On se souvient qu’elle a été déclenchée alors que les États-Unis eux-mêmes mettaient en évidence la responsabilité des dirigeants israéliens dans l’impasse des négociations, et que la réunification nationale palestinienne était internationalement saluée, en dépit des pressions israéliennes.

Au moment du cessez-le-feu, le 26 août, environ 110 000 personnes « déplacées » à l’intérieur de l’enclave étaient réfugiées dans des centres d’hébergement ou dans d’autres familles. Nombreux sont ceux qui ont tout perdu. Plus de 18 000 logements ont été détruits ou rendus inhabitables, laissant environ 108 000 personnes sans abri, qui vivent — pour combien de temps encore ? — dans les décombres.

Plus de 200 écoles et bâtiments publics, un tiers des hôpitaux, 14 dispensaires ont été détruits ou endommagés. Des terres agricoles ont été dévastées et 350 sites industriels détruits, ainsi que des infrastructures routières. Les dommages causés aux canalisations d’eau et d’assainissement ont été immenses et en octobre, plus de la moitié des Gazaouis n’avait plus aucun accès à l’eau. La seule centrale électrique ayant été bombardée, la plus grande partie du territoire a été plongée dans le noir tandis que les hôpitaux surchargés manquaient d’électricité et de fuel pour alimenter leurs équipements.

Le coût de la reconstruction a été évalué à 6 milliards d’euros par l’Autorité palestinienne. Mais selon la déclaration officielle de la conférence internationale des donateurs, l’aide4 est en réalité destinée au « peuple palestinien », dont la moitié seulement pour la reconstruction de Gaza. Le plus grand flou entoure la répartition des sommes promises : une partie pourrait être consacrée à divers projets non directement liés à la reconstruction ou attribuée sous forme d’aide financière à l’Autorité palestinienne — et pourrait aller à la Cisjordanie5.

État de siège perpétuel

En attendant, c’est l’acheminement même des matériaux, au premier rang desquels l’indispensable ciment, qui est soumis à de fortes contraintes. Tout doit en effet passer par le territoire israélien, et la récente création, par le gouvernement d’Abdel Fattah Al-Sissi, d’une zone tampon entre les deux parties de la ville de Rafah vient conclure la dénégation égyptienne au motif que Rafah « n’est pas adapté à la circulation d’un flux important de marchandises »6. Le nouveau pouvoir égyptien a ainsi détruit 1 600 tunnels, coupant toutes les voies d’approvisionnement. L’ampleur de la dévastation et des besoins et la rareté des marchandises faisaient déjà redouter aux habitants de Gaza une envolée des prix ; le durcissement du blocus côté égyptien alourdit encore les factures. Aujourd’hui, les étals n’exposent plus que des produits israéliens, au prix initial plus élevé que les produits égyptiens, et auxquels ont été ajoutées de fortes taxes.

Israël a de fait toute latitude pour juger de l’opportunité de refuser l’entrée de marchandises par ses terminaux, en particulier celui de Kerem Shalom, sous couvert de s’assurer que l’effort de reconstruction n’est pas utilisé pour « réarmer le Hamas ». Pour Tel-Aviv, des armes ou des munitions peuvent être cachées dans chaque sac de ciment ; au-delà, tout matériau de construction à usage « duel », utilisable aussi bien pour construire des maisons que des caches d’armes, est suspecté à priori.

L’échec du plan Serry

Selon le mécanisme provisoire négocié avec Israël et proposé par Robert Serry, le coordinateur spécial de l’ONU pour le processus de paix au Proche-Orient (UNSCO), les agences onusiennes doivent superviser l’utilisation des matériaux entrants pour garantir qu’ils ne seront pas détournés à des fins militaires. Elles sont supposées collecter et mettre à disposition d’Israël des informations sur les familles palestiniennes à prendre en charge en priorité, Israël pouvant exercer à cet égard un droit de veto (notamment pour soupçon d’appartenance au Hamas). Cet « arrangement » a fait que seulement deux livraisons de matériaux avaient eu lieu fin novembre. À ce rythme, il faudra des années avant que le chantier de Gaza ne s’achève, en admettant qu’il n’y ait pas entre temps de nouvelle offensive israélienne.

L’échec du mécanisme est patent, Serry lui-même l’a reconnu indirectement, dans une déclaration en date du 21 novembre. Les Palestiniens, choqués, jugent en fait que cela ne sert en définitive qu’à conférer une légitimité internationale au blocus et à permettre à Israël d’engranger des profits supplémentaires. Voulant répondre à leur colère, le coordinateur a promis que l’ONU veillerait à éviter « l’utilisation abusive de renseignements personnels sur ceux qui souhaitent accéder au mécanisme » et réaffirmé sa confiance dans la possibilité de lever les obstacles, pour peu qu’il soit mis en œuvre « de bonne foi ».

Mercredi 17 décembre, la Jordanie a soumis au Conseil de sécurité de l’ONU la résolution pour la reconnaissance d’un État palestinien. Mais le véto américain est probable. La « nouvelle phase » de l’offensive diplomatique évoquée par Riyad Mansour, l’ambassadeur palestinien à l’ONU, sera alors la demande d’adhésion à la Cour pénale internationale (CPI), afin d’y mettre Israël en accusation pour crimes de guerre à Gaza. Verra-t-on un jour prochain la fin de l’impunité dont bénéficie la politique israélienne ? La question, posée après l’offensive israélienne de l’hiver 2008-2009 par le rapport du juge Goldstone à la demande de l’ONU, est demeurée jusqu’ici sans réponse.

Il y a le temps diplomatique et l’urgence de la situation. Dans la « prison à ciel ouvert » où la population campe dans les ruines, le désespoir va croissant tandis que la température hivernale baisse.

  • Des écolières palestiniennes traversent une partie détruite du quartier de Chajaya, situé à l’est de la ville de Gaza. Ce quartier a été particulièrement visé lors de l’offensive. Il faudra des moyens considérables pour enlever les gravats.
    © Anne Paq/[Activestills
  • Des Palestiniens dont la maison a été détruite restent sous une tente lors des fortes pluies à Chajaya.
    © Anne Paq/[Activestills
  • Hussein al Wael Najjar, 14 ans, devant l’abri de fortune où il vit avec sa famille dans le village de Khuza’a, le 16 novembre 2014. La famille de Hussein comprend huit enfants. Leur maison a été détruite lors des attaques israéliennes sur leur village.
    © Anne Paq/[Activestills
  • Les membres de la famille de Ibtisam Al Najjar devant leur maison en grande partie détruite dans le village de Khuza’a, à l’est de la bande de Gaza, le 6 novembre 2014. Le premier étage et le rez-de-chaussée sont totalement effondrés, forçant les sept membres de la famille à dormir dans le sous-sol dans des conditions très dangereuses.
    © Anne Paq/[Activestills
  • De nombreuses familles sont retournées, faute de place ailleurs ou de moyens pour louer un autre logement, dans leurs maisons à moitié détruites, pour beaucoup insalubres et instables.
    © Anne Paq/[Activestills
  • Oifa et Momem, fille et fils survivants de Mustafa Alouh. L’attentat a tué 8 membres de la famille.
    © Anne Paq/[Activestills
  • Les matériaux de construction étant pratiquement impossibles à trouver, des Palestiniens sont contraints de boucher les trous béants avec des bouts de plastiques, des couvertures ou du bois.
    © Anne Paq/[Activestills
  • Des élèves dans une salle de classe détruite de l’école élémentaire Sobhi Abou Karsh à Chajaya. Avec trois semaines de retard, l’année scolaire a commencé par des activités de jeux et de soutien psychologique pour aider les enfants à surmonter les traumatismes.
    © Anne Paq/[Activestills
  • Les Palestiniens de la famille Abou Auda descendent de l’un des étages détruits de leur maison, dans un quartier de Beit Hanoun. Ils vivent dans les ruines.
    © Anne Paq/[Activestills
  • Des Gazaouis dans un des nouveaux camps établis avec des containers pour les personnes déplacées dans le village de Khuza’a.
    © Anne Paq/[Activestills
  • Un habitant installe une arrivée d’eau à l’aide d’un téléphone portable. En général,il n’ y a que quelques heures d’électricité par jour.
    © Anne Paq/[Activestills
  • Des déplacés ont trouvé refuge dans une école de l’UNRWA à Deir al-Balah.
    © Anne Paq/[Activestills
  • Un coiffeur travaille dans son salon à moitié détruit dans le village de Khuza’a.
    © Anne Paq/[Activestills
  • Une famille dans sa maison détruite, dans le quartier At-Tuffah de la ville de Gaza.
    © Anne Paq/[Activestills

4Le Qatar a promis 1 milliard de dollars, les États-Unis une «  aide immédiate  » de 212 millions sur un total de 400 millions de dollars en un an, et l’Union européenne 550 millions de dollars. La cinquantaine d’autres pays et organisations internationales ont promis approximativement 5,4 milliards de dollars.

5Ricard Gonzalez, «  The lie behind the Gaza Reconstruction Conference  », Daily News Egypt, 15 octobre 2014.

6Kevin Connolly, «  Gaza reconstruction facing obstacles despite aid  », BBC News Middle East, 16 octobre 2014.

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