Gaza. L’« apaisement » contre la sécurité sanitaire

Depuis la mi-août on assiste à une escalade militaire contre Gaza. Elle arrive pourtant au moment où les négociations entre le Hamas et Israël, avec la participation active de l’Égypte, visent à trouver un accord d’« apaisement » impliquant pause dans les tirs de roquettes contre une assistance médicale à Gaza étouffé par le blocus. Cet accord, s’il se concrétise, pourrait contribuer à marginaliser un peu plus encore l’Autorité palestinienne.

Gaza City, 1er juillet 2020. — Yahya Sinouar (centre) participe à un rassemblement lors du « jour de colère » contre le plan israélien d’annexion de certaines parties de la Cisjordanie occupée
Mahmud Hams/AFP

« L’occupation […], le corona […] tuent nos prisonniers ». Devant le siège du comité international de la Croix-Rouge à Gaza, plusieurs manifestants, rassemblés à l’initiative du « ministère des prisonniers », instance administrée par le Hamas, demandent la libération des prisonniers palestiniens détenus en Israël, compte tenu du risque élevé de contamination dans les prisons.

En effet, dans le contexte de crise sanitaire mondiale, les négociations sur le dossier des prisonniers n’ont pas été interrompues. Au contraire, il semblerait même que la pandémie ait eu un effet de catalyse sur les échanges ; lesquels, s’ils aboutissent, ouvriraient la voie à l’adoption d’un accord d’« apaisement » (tahdi’a) entre le mouvement islamiste et Israël. Et pour cause, il s’agit de marchander une période d’accalmie, vitale pour le gouvernement israélien déstabilisé depuis les dernières élections et désormais occupé à endiguer la crise du Covid-19, contre une assistance médicale dans la bande de Gaza. Avec la découverte dans cette dernière de quatre cas d’infection le 24 août, alors qu’Israël y mène depuis plus d’une semaine une série d’offensives et empêche l’entrée de carburant entrainant des pénuries massives d’électricité, les autorités gazaouies, au pied du mur, tirent la sonnette d’alarme.

Le spectre d’une crise sanitaire

La propagation du virus dans l’enclave palestinienne, relativement épargnée jusqu’à présent, est redoutée en raison de la densité de population, une des plus élevées au monde, et de la situation humanitaire qui ne cesse de se détériorer sous l’effet du blocus israélien. À plusieurs reprises, Yahya Sinouar et Ismaïl Haniyeh, dirigeants du Hamas, se sont publiquement exprimés au sujet de la gestion de cette crise. Haniyeh, chef du bureau politique du parti, en tournée internationale depuis le mois de janvier, a notamment indiqué lors d’une interview à Doha mi-avril qu’un certain nombre de mesures avaient été prises dans la bande de Gaza.

Ainsi, un centre de quarantaine a été mis en place au niveau du point de passage de Rafah pour les ressortissants palestiniens de retour d’Égypte. Depuis la mi-mars, le poste-frontière n’a ouvert qu’à trois reprises afin de permettre aux Palestiniens bloqués en Égypte de rentrer. La plupart des cas enregistrés dans la bande de Gaza correspondent à des voyageurs en provenance d’Égypte, mais tous avaient jusqu’à présent été détectés au sein du centre de quarantaine. Début avril, une douzaine de personnes contaminées avaient été comptabilisées, et les chiffres ont, depuis, quelque peu augmenté jusqu’à atteindre environ 80 cas début août.

Au cours de son intervention, Haniyeh a précisé que les autorités à Gaza coopéraient avec le ministère de la santé à Ramallah pour faire face à la crise. Toutefois, avec un système de santé défaillant, résultat de l’occupation israélienne ou encore de la suspension du soutien financier américain, les Palestiniens se retrouvent, face à cette pandémie, dépendants d’une assistance extérieure.

Concerné par l’évolution de la crise sanitaire dans l’enclave voisine, Le Caire y a envoyé fin mars un convoi médical et alimentaire, en coordination avec les autorités israéliennes. Ce dernier événement intervenait dans un contexte de tension ; dans la foulée, des roquettes ont été tirées depuis la bande de Gaza, l’objectif étant pour le Hamas de faire pression sur Israël pour obtenir des kits médicaux.

Outre ce soutien humanitaire, l’Égypte, en particulier ses services de renseignement à la manœuvre dans les négociations d’apaisement, déploie des efforts diplomatiques pour maintenir le calme entre les deux parties. Une activité particulièrement significative au début du mois d’avril, après les propos de Sinouar, qui répondait en direct le 2 avril aux questions des citoyens. En effet, ce dernier a proféré des menaces à l’encontre d’Israël si la situation dans la bande de Gaza venait à se détériorer pour cause de non-assistance israélienne. Or, Israël se montre clair de ce point de vue, l’aide ne pourra être fournie en l’absence de contreparties.

Négociations, « business as usual »

Si les négociations d’apaisement en cours comportent un volet sanitaire, celui-ci reste évidemment conjoncturel ; les discussions portent en effet, depuis plus d’une décennie, sur la levée du blocus israélien dans la bande de Gaza en échange d’une « trêve » d’une durée minimum de cinq ans. Les termes de l’accord négocié de façon indirecte, l’Égypte tenant le rôle de médiateur principal, demeurent relativement imprécis. Sa mise en œuvre comporte toutefois plusieurs étapes. Il est question de la construction d’infrastructures à Gaza, de lignes électriques et parcs industriels aux points de passage avec Israël, ou encore de l’extension de la zone de pêche.

Dernièrement, c’est sur la question d’un échange de prisonniers que se sont concentrées les négociations, dont le processus semble s’être accéléré sous l’effet du Covid-19. En raison de la situation sanitaire, le Hamas demande en effet la libération des personnes âgées, des femmes ou encore des enfants détenus dans les geôles israéliennes, ainsi que celle des prisonniers libérés avec l’accord Gilad Shalit de 20111, puis à nouveau incarcérés notamment lors de l’offensive Bordure protectrice de 2014. En échange, le gouvernement israélien réclame les corps de deux soldats défunts ainsi que la libération de deux de ses citoyens qui s’étaient infiltrés dans la bande de Gaza.

Les leaders du Hamas tentent d’afficher une position intransigeante à ce sujet, comme en témoignent les propos inflexibles de Sinouar début avril. Toutefois, l’asymétrie caractéristique de la relation entre Israël et le parti islamiste contraint ce dernier à limiter ses élans belliqueux à une dimension rhétorique, et à faire montre, une fois encore, de pragmatisme.. Ainsi, les échanges entre le Hamas et Israël via les services de renseignement égyptiens sont constants. Toutefois, si les négociations semblent avoir pris une tournure concrète ces derniers mois, force est de constater l’extrême volatilité du contexte.

En effet, la lenteur du processus contraste avec l’urgence humanitaire et la détresse des Gazaouis. Celle-ci se manifeste à travers des mobilisations populaires fréquentes, à l’instar de la « marche du retour » lancée en mars 2018, qui échappent en partie au contrôle du Hamas et engendrent une répression militaire israélienne. Dernièrement, la reprise de l’envoi de ballons enflammés vers la frontière israélienne, causant de nombreux incendies, a entraîné mi-août la suspension par Israël du versement des fonds qataris à l’enclave palestinienne ainsi qu’une énième escalade de tensions. Une délégation sécuritaire égyptienne s’est alors rendue à Gaza pour trouver dans l’immédiat, et comme toujours in extremis, un terrain d’entente entre les parties, et faire en sorte que ces dernières s’acheminent au plus vite vers un dénouement des négociations en cours.

Les enjeux sécuritaires et politiques

Les négociations d’apaisement présentent une certaine continuité, que ce soit du point de vue du processus ou des acteurs impliqués. Par exemple, la présence systématique de médiateurs égyptiens, mais aussi allemands et suisses. Les services de renseignement égyptiens se distinguent toutefois des autres protagonistes de la médiation en raison de la durée de leur participation, mais aussi, et surtout, d’intérêts propres dans l’apaisement. Étant donné la contiguïté territoriale entre l’Égypte, la bande de Gaza et Israël, le maintien du calme entre ces derniers, au moins à court terme, constitue une question de sécurité nationale pour Le Caire, lequel s’apparenterait ainsi davantage à un « médiateur partenaire ».

Le cas du Sinaï est emblématique de cette configuration de dépendance mutuelle des acteurs. Depuis le début de son mandat en 2013, le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi œuvre à la reconquête de la péninsule égyptienne. Il y mène une « guerre contre le terrorisme » à laquelle participe le Hamas. Après une intense période de répression du parti islamiste par le régime militaire égyptien, notamment via la fermeture quasi systématique du poste-frontière de Rafah entre 2013 et 2017, un modus vivendi entre les deux parties a finalement été trouvé. Le Hamas fait preuve de coopération avec les autorités égyptiennes en contrôlant scrupuleusement les entrées et sorties de la bande de Gaza, en échange d’un assouplissement des conditions de mobilité des Palestiniens.

Du point de vue égyptien, cette densité des relations n’a pour autant pas vocation à se pérenniser. Le Caire estime qu’il s’agit là d’un mariage de circonstance et souhaite le retour de l’Autorité palestinienne à Gaza, ne tolérant pas à terme le contrôle d’un territoire voisin par un parti systématiquement associé aux Frères musulmans. Toutefois, le Hamas jouit d’une position privilégiée par rapport au président Mahmoud Abbas, marginalisé dans les négociations d’apaisement et ne partageant pas toujours la vision de son homologue égyptien. Par exemple, l’implication de son opposant politique Mohamed Dahlan comme intermédiaire dans le rapprochement entre Le Caire et le Hamas a été accueillie avec irritation à Ramallah2.

Les négociations d’apaisement semblent ainsi contribuer à décrédibiliser l’Autorité palestinienne. En effet, bien que ces discussions relativement informelles n’impliquent pas une reconnaissance réciproque officielle entre Israël et le Hamas, elles permettent à ce dernier de renforcer son statut politique et international, et creusent ainsi davantage la division entre les factions palestiniennes. En outre, les négociateurs égyptiens, également en charge du dossier de réconciliation intrapalestinienne, ont quelque peu délaissé ce dernier depuis l’échec de l’application du dernier accord conclu au Caire en octobre 2017 entre le Hamas et le Fatah. Ces derniers tentent, depuis l’annonce en janvier dernier du « deal du siècle » par l’administration américaine, et plus récemment en réaction au projet d’annexion des territoires palestiniens par le gouvernement Nétanyahou, de faire front commun.

Suite à la conférence de presse conjointe début juillet de Jibril Al-Rajoub et Saleh Al-Arouri, cadres respectifs du Fatah et du Hamas, l’idée fut évoquée d’organiser prochainement une rencontre publique baptisée « festival » à Gaza et regroupant les différents partis politiques. Cette initiative a été réinscrite à l’agenda palestinien suite à l’accord de normalisation des relations entre les Émirats arabes unis et Israël. La délégation sécuritaire égyptienne, lors de sa dernière visite les 16 et 17 août à Ramallah puis à Gaza, a notamment communiqué aux Palestiniens les positions des gouvernements israélien et émirati, et a enjoint les différentes factions à se réunir.

Toutefois, on peut douter de l’issue de ces efforts renouvelés d’union nationale. En effet, les échanges en vue de l’« apaisement » entérinent une logique de négociations avec Israël parallèle au laborieux processus de paix conduit par l’Autorité palestinienne.

1NDLR. Ce soldat de l’armée israélienne capturé le 25 juin 2006 est libéré par le Hamas le 18 octobre 2011 en échange de la libération d’un millier de prisonniers palestiniens.

2En juin 2017, des rencontres ont lieu au Caire entre le Courant de la réforme démocratique de Dahlan et le Hamas ; les discussions portent sur les termes d’une amélioration de la situation humanitaire à Gaza.

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