Conférence internationale

Genève II, malgré tout ?

Chroniques syriennes · Rien ne laisse présager la fin de la guerre en Syrie. Telle n’est d’ailleurs pas l’ambition de la conférence de Genève II supposée se tenir en novembre. Même si elle était finalement convoquée, les réticences du régime, les divisions de l’opposition, les divergences sur l’avenir du président Bachar Al-Assad rendent incertaine une issue politique.

Session spéciale du HCR sur la Syrie, Palais des Nations, Genève.
Pierre Albouy, 7 juin 2012 ; UN Photo Geneva.

Il y a deux mois, l’utilisation de l’arme chimique contre la population syrienne, dans la Ghouta orientale, soulevait l’indignation de la communauté internationale. Le président syrien était voué aux gémonies. Il était alors question de l’accuser de crime contre l’humanité. La possibilité que Washington engage une action militaire contre des cibles syriennes semblait devenir réalité. Elle soulevait un intense débat aux États-Unis entre partisans et adversaires des frappes militaires. Puis, la renonciation de Barack Obama couplée à l’accord sur l’élimination de l’arsenal chimique syrien (14 septembre) a désespéré la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution (ou Coalition nationale syrienne, CNS), enragé les partisans d’une action militaire contre Bachar Al-Assad et incité probablement des membres de la rébellion à rejoindre le front islamiste. Depuis, les événements des dernières semaines semblent appartenir au passé, comme s’il fallait s’efforcer d’en oublier le souvenir désagréable1.

Assad confiant en son étoile

Dans l’espace politique et diplomatique libéré, le président syrien prend ses aises. Il reçoit les médias devant lesquels il s’attache à réécrire l’Histoire. Il ne regrette pas le démantèlement de son arsenal chimique, qui de toute façon était obsolète et dont l’efficacité reposait largement sur son impact psychologique. Il précise avec malice qu’il n’aura servi qu’une fois, en contraignant Washington à renoncer à attaquer la Syrie. Désormais, affirme-t-il, la Syrie dispose de missiles balistiques qui représentent « « une menace plus grande pour Israël »2.

Quant à la conférence internationale de Genève II, bien entendu la Syrie y participera « pour faire plaisir à la Russie », à la condition toutefois qu’il soit clair que lui, Assad, peut rester en fonction jusqu’à l’élection présidentielle de 2014, à laquelle il n’exclut pas de se représenter « si le peuple le (lui) demande ». De toute façon, avertit-il, les augures ne sont pas bons. L’Occident n’apporte aucune contribution en soutenant un camp « qui est divisé et ne contrôle pas le terrain »3.

En d’autres termes, Assad se moque comme d’une guigne de cette conférence internationale. Il a déjà engrangé des bénéfices : sursis accordé au régime, participation acquise à la conférence qui vaut reconnaissance internationale, satisfaction de constater que les soutiens occidentaux et arabes de l’opposition sont dans l’incapacité de dire comment la conférence pourrait conduire à son départ, etc.4

Bien entendu, il est convaincu que l’opposition étalera à Genève ses divergences et son incapacité à présenter un front uni. Sa confiance est renforcée par la diplomatie d’Obama qui détourne l’attention vers l’Iran. Mais alors que Téhéran donne les premiers gages de sa volonté de normalisation, Riyad, dans un mouvement contraire repousse le siège qui lui a été attribué au Conseil de sécurité des Nations unies.

L’étrange rejet saoudien aux Nations unies

La subtilité est l’une des marques habituelles de la diplomatie saoudienne. Aussi quand le Royaume a annoncé qu’il refusait le siège de membre non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, la stupeur a été générale5. Son statut lui aurait pourtant permis de jouer un rôle pendant deux ans à compter de janvier 2014. En guise d’explication, le royaume a cité la manière, les mécanismes d’action et le “deux poids, deux mesures” existant au Conseil de sécurité qui l’empêchaient d’accomplir ses tâches et d’assumer ses responsabilités6.

Plus précisément, il a mentionné l’incapacité du Conseil à mettre fin aux violences en Syrie, à trouver une solution « juste et durable » à la question de Palestine et à éliminer au Proche-Orient les armes de destruction massive, allusion probable à Israël et à l’Iran. La protestation saoudienne a été accueillie favorablement par les autres membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), quand même surpris par la brutalité de ce geste diplomatique unique (l’URSS avait refusé de siéger dans les années 1950 mais n’avait pas renoncé formellement à son siège). Mais elle s’ajoute à d’autres choix politiques qui depuis quelques années contribuent à la baisse de popularité du régime des Saoud. Le Pew Research Center’s Global Attitudes Project constate que depuis 2007, la réputation de l’Arabie saoudite au sein des pays arabes et en Turquie décline régulièrement7. La perception de son hostilité aux révolutions arabes y entre pour beaucoup.

Incompréhension et ironie en Occident

Même en comprenant la frustration des Saoudiens, aucun pays occidental n’a admis leur geste. Refuser un siège au Conseil de sécurité est apparu comme une hérésie. « Surprise », « absurdité », « crise de nerfs infantile », « immaturité » ou « démence politique » ont été les termes les plus utilisés dans les médias américains, russes et européens. La théâtralité du rejet a choqué8. Elle n’entrait pas dans la panoplie diplomatique d’un royaume où discrétion et secret sont des normes coutumières9.

Certains ont vu dans le geste saoudien les divisions internes du Royaume10.

Pour beaucoup, l’Arabie saoudite fait fausse route. Elle est sa propre victime et s’isole encore davantage. Elle peut, à juste titre, décider qu’il est temps que les pays arabes réduisent leur dépendance à l’égard de l’Occident et prennent en main leur sécurité. Certains peuvent même l’imaginer à la tête d’une structure de sécurité régionale où, par un jeu d’alliances, se retrouveraient l’Égypte, la Jordanie, le Maroc et les pays du Conseil de coopération du Golfe11. Ce serait en pure perte. Les réussites diplomatiques saoudiennes au Yémen et au Bahreïn ne peuvent servir de modèle. Remplacer un président par son vice-président et mettre fin militairement à un mouvement de contestation populaire ne sont pas des titres suffisants pour conduire une diplomatie régionale d’envergure. L’impuissance que l’Arabie saoudite dénonce est aussi la sienne12.

Une solution diplomatique incertaine

La conférence de Genève II est annoncée pour novembre. Il ne serait pas surprenant qu’elle soit une nouvelle fois reportée. Dans l’hypothèse où elle se tiendrait, il est douteux qu’elle conduise à « faciliter le lancement d’un processus politique syrien qui conduira à une transition satisfaisant les aspirations légitimes du peuple syrien et leur permettant de déterminer son propre avenir en toute indépendance et démocratiquement » (extrait du communiqué de Genève du 30 juin 2012). Pour atteindre cet objectif il faudrait que toutes les parties prenantes, Iran compris, convainquent ou contraignent Assad à ne pas se présenter à l’élection présidentielle de 2014. Mais qu’il ait cette intention ou pas, le président n’a aucun intérêt à dévoiler ses plans à l’avance. Une autre condition serait que l’opposition démontre qu’elle est capable de faire fonctionner l’administration du pays. Ces deux conditions sont à peine imaginables aujourd’hui.

Les obstacles sont nombreux, à commencer par le communiqué de Genève du 30 juin 2012. Pendant une année, ce texte a été l’objet d’interprétations différentes. Pour Moscou, il n’était pas dit qu’Assad dût être exclu de la transition syrienne. Pour Washington et les Européens, il était invraisemblable que le président ait sa place dans un processus politique, ne serait-ce parce que ce processus visait aussi à l’écarter du pouvoir, ce que le texte ne disait pas. Telles étaient du moins les appréciations des uns et des autres jusqu’à ce que l’accord américano-russe du 14 septembre donne le sentiment que Washington était prêt à lâcher du lest sur la participation du régime à la conférence de Genève II. Les ambiguïtés sont légion.

La CNS n’est pas disposée à aller à Genève, sauf s’il s’agit de décider du destin d’Assad. Il n’est pas question pour ses membres de prendre langue avec un régime coupable d’atrocités13. Et si d’aventure elle changeait d’avis, elle sait que les forces d’opposition militaire sur le terrain, qui sont hostiles à toute négociation avec le régime, ne reconnaîtront aucune des conclusions qui seraient trouvées. Pour compliquer davantage la situation, d’autres opposants ont toujours accepté de négocier avec Assad. C’est le cas du Comité de coordination nationale des forces de changement démocratique, soutenu par Moscou. Enfin, l’équation kurde n’est pas de nature à faciliter le débat. La constellation kurde, elle aussi travaillée par des courants différents, a des intérêts qui lui sont propres. Ceux de ses membres qui appartiennent à la CNS n’accepteront pas que les intérêts kurdes soient dilués dans des revendications plus générales14

3Élie Chalhoub, Assad : Hamas Has Betrayed Us Repeatedly, But…, Al-Akhbar English, 14 octobre 2013.

4« Syria’s crisis averted ? Not so fast ? », The Washington Post, 20 octobre 2013.

8Thomas W. Lippman, « Saudi Arabia’s Pointless Theatrics », Lob Log, 19 octobre 2013.

10Nizar Abboud, « Why Did Riyadh Turn Down UN Seat ? » Al-Akhbar English, 19 octobre 2013.

11Nawaf Obaid, « Saudi Arabia Shifts to More Activist Foreign Policy Doctrine », Al-Monitor, 17 octobre 2013.

12Madawi Al-Rasheed, « Saudi Arabia Deepens Its Isolation », Al-Monitor, 18 octobre 2013.

14Wladimir van Wilgenburg, « Syria’s Kurds Divided Over Geneva II Conference », Al-Monitor, 9 octobre 2013.

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