Histoire

Il y a cinquante ans naissait l’Organisation de libération de la Palestine

28 mai 1964 : il y a cinquante ans, le roi Hussein de Jordanie inaugurait à Jérusalem encore sous souveraineté arabe le congrès constitutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Ce congrès, malgré ses limites, allait marquer le début de la renaissance politique des Palestiniens, après l’écroulement des mouvements de résistance en 1948-1949.

Visite des membres de l’OLP au Caire, juste après sa création en 1964. Au centre, Abdel Gamal Nasser ; à sa gauche, après le maréchal Abdel Akim Hamer, Ahmed Choukayri, premier président de l’organisation.
Archive, source inconnue (elagha.net).

C’est d’abord dans le cadre des bouleversements que connaît le Proche-Orient qu’il faut évoquer la renaissance palestinienne. Secoués par la défaite en Palestine de 1948-1949, plusieurs régimes arabes alliés du colonialisme britannique s’effondrent : prise de pouvoir des Officiers libres en Égypte le 23 juillet 1952, renversement de la monarchie en Irak le 14 juillet 1958. La nationalisation de la Compagnie du canal de Suez le 26 juillet 1956 et la victoire politique du président égyptien Gamal Abdel Nasser après l’agression franco-britanno-israélienne marquent la victoire d’une nouvelle forme de nationalisme révolutionnaire que confirme l’unité syro-égyptienne réalisée le 1er février 1958 et la constitution de la République arabe unie (RAU) sous la présidence de Nasser.

Mais les conséquences de la défaite de la Palestine pèsent sur la situation : des centaines de milliers de réfugiés, l’annexion par Israël d’une partie des territoires prévus pour l’État palestinien, l’annexion de la Cisjordanie par le roi Hussein. Seule la bande de Gaza, sous contrôle égyptien, garde son autonomie.

Le Haut Comité arabe (HCA), qui a dirigé les luttes nationales palestiniennes dans les années 1930 et 1940, n’est plus que l’ombre de lui-même. Il reste dirigé par Hadj Amin El-Husseini, discrédité par son engagement aux côtés de l’Allemagne nazie. Le président Nasser n’a pas confiance en lui et rejette la demande du HCA d’adhérer à la RAU. Il décide de prendre lui-même l’initiative. Le 29 mars 1959, la RAU met à l’ordre du jour de la 31e session du Conseil de la Ligue arabe, la création d’une « entité (kiyan) palestinienne ». Il s’agit, pour Le Caire, de mettre sur pied des institutions qui représenteraient les Palestiniens.

La Palestine, une entité dans le giron arabe

Par cette décision Nasser vise plusieurs objectifs. D’abord, éviter la « liquidation » du problème palestinien : on évoque à l’époque une immigration massive des juifs d’Europe de l’Est en Israël et les États-Unis relancent leur projet d’installation des réfugiés palestiniens dans les pays arabes ; le Raïs soupçonne les Occidentaux de vouloir réduire le conflit du Proche-Orient à un affrontement entre Israël et les seuls États arabes. Il veut également montrer que la RAU est active sur le dossier et qu’elle trouvera une solution pour les Palestiniens ; il espère ainsi enrôler ces derniers dans la croisade qu’il a entamée pour assurer son hégémonie dans le monde arabe. Enfin, il cherche à dénier au roi Hussein, qui a purement et simplement annexé le territoire palestinien connu sous le nom de Cisjordanie, le droit de représenter les Palestiniens.

Ce n’est que très progressivement que Nasser va définir les contours de cette « entité ». Il appelle d’abord à l’élection d’institutions politiques dans la RAU, la Jordanie et le Liban, qui désigneraient un gouvernement représentant la Palestine dans les institutions internationales et adhérant à la Ligue arabe. Devant les réticences des autres pays, le président met sur pied ces institutions à Gaza, dont l’Égypte s’est assuré le contrôle lors de la guerre avec Israël. L’Union nationale palestinienne est créée en 1959 et des élections à un Conseil législatif auront lieu en janvier 1961 ; dans la « région » syrienne de la RAU, ces élections se déroulent en juillet 1960. La Constitution provisoire de Gaza — qui est le seul territoire de la Palestine arabe à n’avoir pas été annexé — stipule que l’Union nationale « comprend tous les Palestiniens, où qu’ils se trouvent ». Marcel Colombe commente : pour Nasser, « il s’agissait en somme non de constituer un gouvernement provisoire qui serait celui d’un futur État indépendant (...), mais seulement de créer une sorte d’organisme palestinien destiné à devenir le porte-parole de la politique du Caire »1. La mise en place de ces institutions consacre la rupture entre le HCA et Le Caire ; le Mufti quitte l’Égypte le 15 août 1959 pour se réfugier au Liban où il recevra une aide du général Abdel Karim Kassem qui a renversé la monarchie irakienne le 14 juillet 1958.

Abdel Karim Kassem ou la voie de l’indépendance

Les surenchères du jeune régime irakien contribuent à pousser Nasser. Renvoyant dos à dos le Raïs et le roi Hussein de Jordanie, Kassem lance, en décembre 1959, l’idée d’une « République palestinienne immortelle ». Il affirme que les Palestiniens doivent suivre la voie algérienne, celle de leur propre libération, sans attendre une hypothétique unité arabe. L’indépendance algérienne en 1962 le confirmera dans ses positions. Il fut le premier chef d’État arabe à proposer la création d’un État palestinien indépendant, qui selon lui doit s’effectuer en deux étapes : d’abord en Cisjordanie et à Gaza, territoires sous contrôle arabe, ensuite dans toute la Palestine. Le 29 août 1960, le journal officiel irakien annonce la mise sur pied d’une Armée de libération de la Palestine, dont les premiers contingents avaient commencé leur entraînement dès avril 1960.

Bien que sans portée concrète — l’Irak est très loin du « champ de bataille » —, l’écho de ces appels est considérable chez les Palestiniens. En affirmant qu’ils doivent reprendre en main leurs propres affaires, Kassem s’inscrit en faux contre le nationalisme arabe représenté par Nasser et encourage le courant politique palestinien qui se prononce en faveur de l’autonomie.

Le renversement de Kassem en février 1963, à la suite d’un coup d’État, n’arrêta pas le mouvement. Incapables de s’opposer au projet israélien de détournement des eaux du Jourdain, les États arabes décident de franchir des pas supplémentaires dans la reconnaissance du fait palestinien. En septembre 1963, la Ligue arabe coopte Ahmed Choukairy2 comme représentant de la Palestine à la Ligue arabe « jusqu’à ce que le peuple palestinien soit en mesure d’élire ses représentants ». Il est aussi désigné comme chef de la délégation de la Palestine aux Nations unies. Lors du premier sommet des chefs d’État arabes au Caire, qui s’est tenu à l’invitation de Nasser entre les 13 et 17 janvier 1964, Ahmed Choukairy est chargé de consultations pour jeter les bases de l’organisation du peuple palestinien. Le 28 mai 1964, le premier Congrès national palestinien se réunit : l’Organisation de libération de la Palestine est née.

Autonomie palestinienne contre nationalisme arabe

La naissance de l’OLP ne s’est pas faite en dehors du peuple palestinien, même si les rivalités interarabes ont joué un rôle déterminant. Une nouvelle génération de dirigeants émerge, qui met l’accent sur la lutte propre du peuple palestinien. Elle est représentée au Congrès national qui se déroule entre le 28 mai et le 2 juin 1964 à Jérusalem en présence de 420 délégués. Dans la liste des participants on trouve Khaled Al-Hassan, Khalil Al-Wazir (Abou Jihad) et même Yasser Arafat qui, finalement, ne pourra pas s’y rendre. Ils seront à l’initiative de la création du Fatah en 1958. L’expérience que nombre d’entre eux ont acquise dans la bande de Gaza a joué un rôle majeur dans leur formation et dans la renaissance du nationalisme palestinien3. Mais leurs idées — et notamment celle de l’autonomie palestinienne et de la priorité donnée à la Palestine sur l’unité arabe — sont encore extrêmement minoritaires, comme il ressort des discussions.

Le congrès adopte deux textes fondamentaux : la Charte nationale (qawmiya)4 et les statuts de l’OLP. Dans ces documents, on ne trouve aucune référence à l’idée d’une souveraineté territoriale du peuple palestinien, à un État palestinien. L’article 24 de la Charte précise même que l’OLP n’exerce aucune souveraineté « régionale » (iqlimiya) sur la Cisjordanie, ni sur la bande de Gaza. Les articles 24 et 25 ne font aucune mention des responsabilités militaires de l’OLP. Ces deux points ont été la condition de la présence du roi Hussein à l’ouverture du Congrès. Aux pressions arabes s’ajoute l’hégémonie du nationalisme arabe : pour tous, Palestiniens compris, l’unité arabe est la voie de la libération. L’accent est donc mis dans la Charte sur la définition de la Palestine comme « une partie arabe liée par les liens du nationalisme (qawmiya) aux autres contrées arabes qui forment avec elle la Grande Patrie Arabe » (article 1). Il faut attendre l’article 3 pour trouver mention du « peuple arabe de Palestine [qui] a le droit légal sur sa patrie », mais cette patrie « est une partie intégrante de la Nation arabe ».

Il faudra la défaite arabe de juin 1967 face à Israël et l’écroulement du nationalisme arabe pour que les thèses du Fatah finissent par l’emporter. En février 1969, Yasser Arafat devient le président du comité exécutif de l’OLP et les Palestiniens redeviennent un acteur autonome sur la scène régionale.

1Marcel Colombe, « Les problèmes de l’« entité » palestinienne dans les relations interarabes », Orient, premier trimestre 1964, Paris.

2Né d’un père palestinien et d’une mère turque en 1908, il travaille dans différentes revues nationalistes. Il est nommé secrétaire général adjoint de la Ligue arabe en 1950, avant d’acquérir la nationalité saoudienne et d’être nommé ambassadeur aux Nations unies. Il se rallie à Nasser en 1962 dans sa lutte contre le royaume saoudien.

3Alain Gresh, « Gaza l’insoumise, creuset du nationalisme palestinien », Le Monde diplomatique, août 2014.

4L’arabe distingue le nationalisme arabe qawmi et le nationalisme régional iqlimi qui fait référence au nationalisme local, égyptien, syrien, etc., vu de manière plutôt négative.

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