Il y a quatre ans, en 2013, les problèmes économiques étaient au centre des débats de la onzième élection présidentielle iranienne. Au cours des trois dernières années précédentes, la monnaie avait connu de très forts taux d’inflation : 26 % en 2011, 21 % en 2012 et 34 % en 2013. La croissance était négative, avec − 3,7 % et − 7,8 % en 2012 et 2013, et le taux de chômage record.
Si l’inefficacité des politiques explique en partie cette situation, ce sont les sanctions imposées par le conseil de sécurité de l’ONU qui ont véritablement paralysé l’économie. En 2013, pour la plupart des Iraniens, voire même certains gouverneurs, ces sanctions ne représentaient plus seulement un problème, ils étaient la source même de la misère et de l’isolement. Il n’est donc pas étonnant qu’Hassan Rohani, modéré, pragmatique et seul candidat non conservateur ait pu dire au cours de l’un des débats télévisés de la campagne présidentielle : « les centrifugeuses [d’enrichissement de l’uranium] doivent tourner, mais cela doit être aussi le cas des rouages de l’économie », et promettre de reprendre les négociations sur la question du nucléaire entre l’Iran et les pays du P5+11 dans le but de lever les sanctions. Le 14 juillet 2015, après la signature du Plan d’action conjoint (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPOA) entre l’Iran, l’Union européenne et les P5+1, les Iraniens s’attendaient donc à des changements rapides.
Mais les difficultés économiques sont toujours au cœur des débats, bien que la situation se soit incontestablement améliorée sur de nombreux plans durant le dernier mandat présidentiel, selon l’estimation de Rohani et ses partisans. Ainsi, l’inflation a chuté : de 34 % en 2013, elle est passée à moins de 10 % en 2016. C’est le plus faible taux enregistré depuis 1998, et il s’est relativement stabilisé au cours des dernières années ; les exportations de pétrole ont augmenté, passant de 1,3 million de barils par jour en 2012 à 2,8 millions ; les importations de médicaments ainsi que de matériels industriels et médicaux ont été facilitées ; et la croissance économique est repartie, évoluant de − 7,8 % en 2013 à plus de 6 % en 2016, avec cependant moins de 1 % se rapportant aux secteurs non pétroliers. Ils soulignent de plus le fait d’avoir mis en œuvre de nombreuses réformes structurelles du système bancaire, fiscal et douanier, dont beaucoup ont été validées par les institutions internationales telles que le Fonds monétaire international (FMI).
Le chômage au cœur des débats
Malgré tout, l’économie semble toujours le talon d’Achille du pays. Mohammad Bagher Ghalibaf, le maire de Téhéran (qui s’est finalement retiré de la compétition) et Ebrahim Raisi, candidats conservateurs de l’élection présidentielle de 2017 n’ont pas cessé de remettre en question les compétences de Rohani en la matière. Dans les débats, le chômage a pris la place que l’inflation avait eue pendant quatre ans. Les deux candidats se sont livrés à une guerre sans merci à coup de promesses électorales séduisantes pour diminuer le chômage. Ainsi, Ghalibaf avait promis de créer cinq millions d’emplois en quatre ans et d’octroyer une indemnité de chômage avoisinant les 80 dollars (2 596 471 rials iraniens) à chaque chômeur. Plus modestement, Raisi se proposait de créer au moins un million d’emplois par an.
Le chômage est assurément le plus grand défi que l’économie doit relever. Il est en moyenne de 11,6 % depuis 1991 (cf. schéma 1). Après avoir décliné de plus de 3 % entre 2010 et 2013, il est passé de 10,4 % en 2013 à 11,3 % en 2016, malgré une création nette d’emplois s’élevant à 1,3 million durant cette période. Néanmoins, la situation est bien meilleure que par le passé, la création nette d’emplois entre 2005 et 2013 étant inférieure à 40 000 et la chute du taux de chômage entre 2010 et 2013 seulement due à une moindre participation au marché du travail.
L’Iran est un pays fort d’une population très jeune. Comme le montre le schéma 2, au cours de la dernière décennie, le ratio des personnes en âge de travailler (entre 15 et 65 ans) par rapport à la population totale iranienne était de presque 5 % supérieur à la moyenne de ceux de l’Union européenne et du Proche-Orient. Selon le rapport du FMI, ce même ratio devrait augmenter jusqu’en 2040 pour atteindre environ 8 %.
En outre, la population active est bien formée. Le nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur a nettement augmenté au cours des vingt dernières années (cf. schéma 3). En 2015, 4,8 millions d’Iraniens ont entamé des études supérieures, représentant près de 6,2 % de la population totale (pour environ 3,5 % in France). Le nombre élevé d’inscriptions à l’université est lié à l’amélioration de l’accès à l’éducation. Toutefois, les difficultés à trouver un emploi, auxquelles s’ajoutent les 18 mois de service militaire obligatoire (réservé aux hommes) poussent la jeune génération à entamer des études pour retarder son entrée sur le marché du travail. Ce vivier de jeunes hautement qualifiés en âge de travailler, qui aurait pu constituer une incroyable opportunité n’importe où ailleurs, pourrait se révéler être une source d’instabilité sociopolitique en Iran s’ils restent à l’écart du marché du travail.
La dépendance au pétrole
Mais le problème du chômage est structurel et ne peut être résolu simplement. Une création significative d’emplois nécessite une croissance non liée au secteur pétrolier. L’exemple des pays émergents montre que la grande compétitivité des secteurs exportateurs, surtout dans l’industrie, est l’unique voie menant à une croissance à long terme et à la création d’emplois, en particulier en ce qui concerne la main-d’œuvre qualifiée.
La dépendance au pétrole est pour une grande part responsable de la faiblesse du secteur manufacturier en Iran. L’économie du pays a été extrêmement liée aux revenus du pétrole au cours de ces cinquante dernières années. Or, le secteur pétrolier n’est pas labor-intensive et ne peut générer d’emplois. En même temps, la part de l’économie dévolue au secteur public et semi-public s’est développée au détriment du secteur privé auquel il n’a pas laissé d’espace de croissance. S’appuyant sur la rente pétrolière, le secteur public se complaît dans son inefficacité et son improductivité. Par ailleurs, le secteur privé pâtissant de la « maladie hollandaise »2 demeure chétif et non compétitif.
Isolée depuis plusieurs décennies, l’économie iranienne a besoin pour se moderniser et stimuler les emplois productifs d’attirer des investissements étrangers. Le bas prix de l’énergie, la proximité géographique avec le marché du Proche-Orient, et — plus important —, la présence d’une main-d’œuvre peu chère et qualifiée peuvent potentiellement faire de l’Iran la cible idéale des investissements étrangers. Cependant, les tensions dans la région, le fait que les banques européennes n’envisagent qu’avec réticence de travailler avec leurs homologues iraniennes, mais aussi les difficultés institutionnelles et les risques politiques ont incité les firmes internationales à la prudence dans leurs investissements sur ce marché au potentiel pourtant considérable. Selon Eshaq Jahangiri, le vice-président, l’économie iranienne n’a pu capter que 6 milliards de dollars d’investissements étrangers, soit beaucoup moins que ce qu’Hassan Rohani espérait avant la levée des sanctions.
Promesses inconsidérées des conservateurs
Contrairement à Hassan Rohani, les deux candidats conservateurs n’ont pas dit grand-chose sur leur désir de capter des investissements étrangers et de travailler avec des multinationales. Au vu de la proximité que ces deux candidats entretiennent avec les tenants de la « ligne dure » et les Gardiens de la Révolution, leur victoire n’aurait guère été appréciée par les entreprises étrangères.
Tentant d’obtenir le soutien des ménages à petits revenus, Ghalibaf et Raisi avaient tous les deux promis qu’ils augmenteraient Yaraneh, l’allocation directe à tous les Iraniens. Yaraneh avait été établie par le plan de réforme des allocations de 2010 pour remplacer des aides à l’énergie par une sorte d’assistance sociale sous la forme d’une allocation directe (actuellement environ 14,5 dollars, c’est-à-dire 470 610 rials par personne). Ghalibaf déclarait vouloir tripler Yaraneh pour tout le monde, ce qui supposerait un budget de 50 milliards d’euros. Plus modéré, Raisi réservait la même augmentation aux ménages des trois derniers déciles. Ces promesses ont fait pleuvoir les critiques même parmi les conservateurs au Parlement, quant au fait que les candidats n’ont pas fourni d’explications sur les moyens de financer ces réformes. Les seules actions susceptibles de dégager les financements nécessaires sont l’augmentation de la masse monétaire (la banque centrale n’est pas indépendante), l’augmentation des impôts ou celle du prix de l’énergie (l’État est le seul pourvoyeur d’énergie). Toutefois, n’importe quelle combinaison de ces trois axes serait néfaste à la production et occasionnerait une plus forte inflation, laquelle se situe aux alentours de 10 % — soit beaucoup plus que dans bien des pays émergents ou développés.
Parallèlement, les deux candidats avaient promis d’augmenter les salaires dans la fonction publique, de même que les pensions et les minimums salariaux, sans expliquer précisément comment ils comptaient procéder. Leurs programmes semblaient donc séduisants, mais également irréalistes, incohérents et ambigus. Le président Hassan Rohani, qui a dû tenter de répondre aux attentes élevées de la population, a eu la tâche difficile de convaincre le peuple de son bilan. Il y a finalement réussi, les défis économiques restent cependant à relever.
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Orient XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.
1NDLR. Groupe des six grandes puissances qui, en 2006, ont mis en commun avec l’Iran leurs efforts diplomatiques à l’égard de son programme nucléaire : la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni, et les États-Unis, membres du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne.
2NDLR. On dit qu’un pays souffre de la « maladie hollandaise » quand l’accroissement des recettes d’exportation de ses ressources naturelles provoque la hausse du taux de change de la monnaie. La « maladie hollandaise » défavorise les exportations et favorise les importations comme toute augmentation de la monnaie nationale par rapport aux devises étrangères. L’expression fut lancée à la suite du boom du gaz naturel qui s’est produit aux Pays-Bas dans les années 1960.