27 029 €Collectés
42%
65 000 €Objectif
23/47Jours

Iran. Le pourquoi du « lien indéfectible » entre Israël et les États-Unis

En attaquant l’Iran, Israël ouvre un septième front dans une guerre régionale qu’il poursuit depuis 20 mois, la plus longue de son existence. S’il dépend pour ce faire du soutien étatsunien, il s’est affranchi, à plusieurs reprises, de l’approbation de la Maison Blanche, sans que cela ne porte pourtant à conséquence.

Des hommes politiques regardent des photos accrochées au mur, représentant des rencontres officielles.
Washington, DC, 7 avril 2025. Benyamin Nétanyahou et Donald Trump regardent leurs photos — témoins d’une longue relation — accrochées au mur d’un des couloirs de la Maison Blanche.
White House / Flickr

L’État d’Israël — ses dirigeants, son armée et avec eux l’immense majorité de ses citoyens juifs, malgré un ferment d’inquiétudes récurrent — est aujourd’hui plongé dans un sentiment de toute-puissance. Il agit dans une frénésie de domination et d’impunité, militaire et diplomatique, telle qu’il n’en a jamais connue. Une domination due au soutien politique et financier dont Israël bénéficie du côté du « bloc occidental », et en particulier au lien dit « spécial » qui l’unit aux États-Unis.

Depuis le 7 octobre 2023, Israël a pu mener une guerre de destruction de Gaza et des Gazaouis, des opérations croissantes d’expulsion des Palestiniens de leurs terres en Cisjordanie, des attaques massives au Liban, une captation de territoire en Syrie, des frappes récurrentes en Iran, sans subir la moindre remontrance du Conseil de sécurité des Nations unies. Et vendredi 13 juin, il s’est engagé dans une guerre « préventive » contre l’Iran.

Dès le premier moment de cette guerre qui a dépassé les 600 jours, Israël a agi à plusieurs reprises à l’encontre de ce que prônaient ses soutiens étatsuniens. Plusieurs fois, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a récusé les exigences de Joe Biden, suscitant à Washington des commentaires peu amènes — mais sans aucune conséquence problématique. La livraison d’armes américaines n’a pas cessé un instant. « Bibi », comme on le surnomme, agit de même face à Donald Trump, avec lequel il était supposé avoir une affinité plus grande encore qu’avec Joe Biden.

Depuis l’accession « du Donald » au pouvoir, Nétanyahou s’est surtout heurté à l’administration étatsunienne dans deux domaines. Le premier touche aux négociations sur la fin de l’opération israélienne à Gaza. Trump et ses représentants ont, à plusieurs reprises, indiqué que cette guerre devait « prendre fin » à brève échéance. Chaque fois, Nétanyahou a louvoyé et saboté toute option pouvant mener à la fin des combats. Le second terrain où Trump s’est confronté à Nétanyahou, sans parvenir à le faire reculer, a été l’Iran. L’administration étatsunienne a également fait savoir à maintes occasions qu’une offensive israélienne contre Téhéran était hors de question, surtout si elle pouvait mettre en péril les négociations américano-iraniennes en cours sur le nucléaire à usage militaire, que l’on disait récemment en bonne voie à Washington.

Le néo-conservatisme hors champ

Dans la période récente, la pression sur Israël semblait se durcir. De nombreux indices donnaient à penser que la Maison Blanche était entrée dans un processus de « changement du paradigme des relations américano-israéliennes »1, comme l’a écrit James M. Dorsey, journaliste et chercheur principal à l’École d’études internationales de Singapour. Il en voyait pour preuve, par exemple, le fait que Donald Trump ait limogé en avril 2025 son conseiller à la sécurité nationale (national security advisor, NSC), Mike Waltz, un néoconservateur « connu pour ses liens étroits avec Israël »2. Un mois plus tard, il en allait de même pour ses deux plus importants adjoints, Eric Trager et Merav Ceren, qui couvraient au NSC à la fois Israël et l’Iran.

En tout, une trentaine de hauts fonctionnaires néo-conservateurs avaient perdu leur poste. Tous appartiennent à cette mouvance belliqueuse, inconditionnelle du soutien à Israël et radicalement hostile au régime iranien. Celle qui, en 2003, avait mené les États-Unis à l’immense échec de la guerre en Irak, et qu’abhorre une autre partie de MAGA, le camp trumpiste réuni sous la bannière Make America Great Again (Rétablir la grandeur de l’Amérique). Cette mouvance des nationalistes protectionnistes honnit les interventions armées américaines, perçues comme coûteuses ou inefficaces.

Ex-animateur vedette de la chaine d’extrême droite Fox News et « influenceur » de premier plan de cette mouvance, Tucker Carlson promettait à Trump, le 4 juin 2025, de l’attaquer en justice pour « trahison de ses électeurs » et de mettre fin à sa présidence s’il engageait le fer avec l’Iran. Cette mouvance-là est numériquement moins importante que celle des néo-conservateurs ou des évangéliques, autres piliers du trumpisme. Mais elle est celle dont Trump est personnellement issu. « Nombre, parmi la foule des adhérents à MAGA, soutiennent que les intérêts américains et israéliens ne coïncident pas toujours et que les États-Unis devraient protéger leurs intérêts — même lorsque c’est au détriment d’Israël », écrit Dorsey.

De facto, récemment, certains des actes de Donald Trump avaient sans conteste été perçus comme hostiles en Israël par ses dirigeants. Il en a été ainsi de la rapidité avec laquelle Trump a reconnu le pouvoir des nouveaux dirigeants syriens. De même, après avoir promis « l’anéantissement » des Houthis, les dirigeants yéménites opposés au pouvoir saoudien, il a vite renoncé à une opération armée au motif qu’elle lui coûtait « trop cher ». Pire encore, ses représentants ont discuté face à face avec le Hamas sans aucune présence israélienne pour obtenir la libération d’un soldat israélien qui porte également la nationalité américaine, prisonnier entre ses mains.

Le 29 mai 2025, « le Donald » déclarait à des journalistes qu’« une attaque israélienne contre l’Iran pour empêcher la négociation » américano-iranienne d’aboutir serait « très inappropriée si elle était utilisée aujourd’hui ». Deux semaines avant, il avait clos à Ryad un long déplacement dans les États du Golfe arabo-persique par un discours expliquant que « l’interventionnisme » américain et l’idéologie de la nation building, c’est-à-dire de l’aide américaine octroyée aux États du Sud disposés à bâtir un État sur le modèle américain — deux notions au cœur du néo-conservatisme — étaient désormais hors champ. De quoi, décidément, penser qu’un « changement de paradigme » était en marche. D’autant que, deux jours avant l’attaque israélienne contre l’Iran, une source israélienne non officielle assurait que Trump et Nétanyahou s’étaient parlé la veille, et que le président étatsunien avait indiqué à son interlocuteur qu’il « n’obtiendrait pas de feu vert pour une attaque contre l’Iran dans un avenir proche »3.

Une victoire spectaculaire pour Nétanyahou

Le 3 juin, Aaron David Miller, un spécialiste du Proche-Orient passé par les administrations démocrates de Bill Clinton et de Barack Obama, jugeait que, « pour la première fois depuis des décennies, un président américain s’éloigne d’Israël »4. Deux jours après, Aluf Benn, le directeur de la rédaction du quotidien israélien Haaretz, assurait dans Foreign Affairs : « Trump restreint les ambitions régionales de Nétanyahou, mais il lui laisse les mains libres avec les Palestiniens »5.

Pourtant, comme on l’a vu, le jour venu de l’attaque israélienne sur l’Iran, Trump a apporté sans réserve son plein soutien à Israël. Comme d’habitude… Illico presto, il déclarait sur Fox News le 13 juin : « Les États-Unis se défendront et défendront Israël si l’Iran riposte. » Ainsi donc, attaquer Israël est attaquer les États-Unis. Pour Nétanyahou, la victoire est spectaculaire. Si Trump entend encore négocier avec Téhéran, il ne le fera qu’aux conditions d’Israël — ou il devra aller à la confrontation ouverte avec lui. Quasi moqueur, ce dernier, dans sa première déclaration une fois la guerre à l’Iran engagée, a rappelé à Trump que « sans le soutien des États-Unis, nous n’aurions peut-être pas lancé l’attaque ». Admirez le « peut-être ». Et il a présenté la guerre avec l’Iran comme un nouveau front durable, qui mettrait fin à tous les autres. Enfin, il a ajouté : « À partir de maintenant, c’est au président Trump de décider comment il veut procéder. » C’est qui le boss ?

Les questions se posent par douzaines. On en expose ici quelques-unes :

Israël a-t-il agi contre l’assentiment de Trump ? De sources officieuses, des avions israéliens auraient bénéficié d’un soutien logistique de la base navale américaine sise au Qatar. Si tel est le cas, Israël a fait la démonstration que son impunité est définitive. Et que les pressions de Trump n’étaient que des simulacres. De son côté, Donald Trump peut dire au revoir à tout espoir d’accord sur le nucléaire militaire iranien avec le régime actuel de Téhéran. À brève échéance, sur le dossier iranien, Nétanyahou l’emporte sur toute la ligne. Cela ne préjuge en rien de ce qui pourrait advenir à plus long terme.

Comment l’Iran peut-il réagir ? Une réaction est inéluctable, mais elle dépendra de la dimension réelle de l’attaque israélienne, à ce jour encore inconnue. Comme souvent, Israël a mené des frappes spectaculaires contre de hauts responsables militaires et du secteur nucléaire. Mais on sait peu des dégâts réels infligés à Téhéran. Selon Pierre Razoux, historien français spécialisé dans les conflits contemporains et les relations internationales, Israël « a frappé massivement le programme balistique à longue portée » mais « n’a pas cherché à détruire, du moins à ce stade, l’ensemble du programme nucléaire »6 iranien. Jusqu’où les centrales principales (Natanz, Fordo et d’autres) ont-elles été paralysées ? Razoux pronostique que « si l’Iran n’arrête pas complètement son programme [nucléaire militaire], les frappes [israéliennes] s’intensifieront progressivement ». C’est d’autant plus probable que la « menace iranienne » constitue pour Nétanyahou un gage plus sûr encore que celui de Gaza de pouvoir mener une guerre sans fin.

L’instauration d’un « nouvel ordre » au Proche-Orient est-elle morte ? Tel quel et dans un avenir proche, cela ne fait aucun doute. Un futur accord américano-iranien s’insérait quasi obligatoirement dans les plans régionaux pharaoniques de Trump. L’Arabie saoudite et l’Iran, les deux principales puissances de la région hors Israël, y étaient acquis à la condition qu’un État palestinien voie le jour — ce qui restait très improbable, vu le refus intransigeant d’Israël. L’ouverture d’un nouveau front israélien avec l’Iran met un terme à cette perspective.

Dès les premières bombes tombées sur l’Iran, Trump s’est précipité pour menacer que refuser le « deal » imposé par Washington entrainerait de nouvelles sanctions économiques plus terribles que jamais contre l’Iran. Comme le juge le think tank International Crisis Group (ICG), il est très peu probable qu’« un régime iranien gravement meurtri » accepte de se plier à la pression d’un « tout ou rien »7 Dès lors, si l’imposition d’un diktat échoue, craint-il, il ne restera plus aux États-Unis d’autre option qu’une intervention militaire contre Téhéran. Nétanyahou, sans le moindre doute, s’en délecterait. Pour Trump, en revanche, « les conséquences d’un enlisement des États-Unis dans une guerre désastreuse au Proche-Orient pourraient éclipser tout le reste de sa présidence », estime ICG. Et « le Donald » voir sa majorité politique aux États-Unis se disloquer entre ses diverses fractions, peut-on ajouter…

Mettre Israël au pas ?

Reste une double énigme. D’abord, Trump est-il conscient de ces risques ? Qui sait, tant le personnage est insondable. Ensuite, pourquoi in fine, se soumet-il toujours aux ukases de son allié Nétanyahou ? Si Trump entendait « pacifier » le Proche-Orient sous une égide américano-israélo-saoudienne, cela passait obligatoirement par l’imposition d’une forme de « solution de la question palestinienne » (même une solution factice), mais aussi d’un accord sur le nucléaire avec Téhéran (même bancal). Deux perspectives dont Nétanyahou n’a jamais caché qu’elles sont à ses yeux inacceptables. En récusant tout arrêt de ladite « guerre » à Gaza et la signature d’un accord américano-iranien sur le nucléaire militaire, Nétanyahou impose des conditions que ni les Palestiniens, ni les États arabes, ni l’Iran…, ni Trump ne peuvent admettre. Tous les interlocuteurs de la scène macabre qui se joue au Proche-Orient depuis un an et huit mois, et dont Nétanyahou assure sans le masquer qu’elle durera encore longtemps, savent que le seul moyen de l’amener à résipiscence est de lui tordre le bras. Comme le rappelle ICG, « seule la cessation des livraisons d’armes offensives » par l’administration étatsunienne à Israël peut convaincre désormais Téhéran que Trump souhaite encore rouvrir la voie à de réelles négociations.

Mais est-il en mesure de le faire ? Depuis George Bush père — président républicain entre 1989 et 1993 —, Trump, comme tous ses prédécesseurs, qu’ils soient républicains (Bush fils) ou démocrates (Clinton, Obama, Biden), donne aujourd’hui le sentiment de vouloir, parfois, mettre Israël au pas... sans jamais y parvenir. Depuis qu’il a engagé son second mandat, sa relation avec Nétanyahou s’est avérée plus tendue. Pourtant, ce dernier, tout en louvoyant, est toujours parvenu à avoir gain de cause. Ses interlocuteurs étatsuniens font parfois la grise mine, mais sans que la Maison Blanche mette les moindres obstacles à ses décisions.

Pourquoi ? On évoque souvent l’influence prépondérante de l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac), le lobby pro-israélien officiel au Congrès américain. Mais dans le passé, nombre de présidents (Eisenhower dans les années 1950, Nixon dans les années 1970, Bush père dans les années 1990, en particulier) ont su imposer leur volonté aux dirigeants israéliens. Pourquoi cela ne semble-t-il plus possible ? Le lien avec la mouvance évangélique ? Il est important, surtout avec l’extrême droite israélienne. Mais à eux seuls, le poids des évangéliques américains reste loin d’être prépondérant. D’autres avancent d’autres explications : la capacité du Mossad à fournir du renseignement essentiel à Washington, par exemple, ou les liens profonds entre les élites américaines et israéliennes, politiciens, militaires et universitaires, ou encore le « mode de vie » israélien, etc.

La crainte de l’inconnu

Mais il est un motif rarement exposé. Le « lien spécial » qui unit les États-Unis et Israël est essentiellement fondé sur un fait géopolitique sous-jacent. Au Proche-Orient, de nombreux régimes sont des alliés sûrs de Washington — même si, dans le monde actuel, le sens du terme alliance s’est beaucoup altéré. Cependant, il n’existe dans cette zone du globe qu’un seul pays où, en toutes circonstances, la population soutiendra le « camp occidental », alors que les populations des autres États manifestent souvent leur hostilité envers leurs propres régimes, et donc aussi contre leur protecteur, généralement étatsunien. Ce pays s’appelle Israël. Dans les deux guerres que Washington a menées en Irak, en 1991 et en 2003, les sondages ont tous montré que le taux de soutien à ces guerres dans la population israélienne dépassait amplement celui… qu’il obtenait dans la société étatsunienne elle-même.

Qu’adviendrait-il si les États-Unis (et les Européens) cessaient un jour de fournir des armes à Israël, quels que soient ses crimes ? Sa domination serait immédiatement perçue dans toute la région comme notoirement affaiblie. Et dès lors, que pourrait-il advenir ? Pas tant en Israël-même que dans les autres pays environnants ? Quel serait chez eux l’impact de l’affaiblissement du gendarme ? Jusqu’où les régimes affidés à Washington pourraient-ils en pâtir ? C’est ce lien-là qui unit désormais les États-Unis et Israël. La crainte des conséquences que génèrerait un affaiblissement d’Israël non pas à lui-même, mais aux États-Unis. Israël est le seul pays fiable de la région, où la population comme les élites se perçoivent comme des « occidentaux ». Trump (ou un autre) sait ce qu’il a avec Israël tel qu’il est, mais il ne sait rien de ce qui pourrait advenir s’il s’affaiblissait.

La crainte de l’inconnu, là est la source de ce « lien indéfectible » des administrations étatsuniennes avec Israël.

1James Dorsey, «  The Trump administration’s ‘brain trust’ aims to change the paradigm of US-Israeli relations  », The Turbulent Word of James Dorsey, 28 mai 2025.

2Sean Matthews, «  Trump fires slew of pro-Israel officials in America First ‘course correction  », Middle-East Eye, 3 juin 2025.

3Liza Rozovsky, «  Trump demanded Netanyahu end Gaza war, take Iran strike off public agenda, source says  », Haaretz, 10 juin 2025.

4Aaron David Miller & Lauren Morganbesser, «  Trump and Netanyahu were marching in lockstep, until they weren’t…  », Foreign Policy, 3 juin 2025.

5Aluf Benn, «  America and Israel follow the same old script  », Foreign Affairs, 5 juin 2025.

6Pierre Razoux, «  Premier décryptage des frappes israéliennes sur l’Iran  », FMES, 13 juin 2025.

7«  Getting Israel and Iran to hold their fire  », ICG, 13 juin 2025.

Soutenez Orient XXI

Orient XXI est un média indépendant, en libre accès et sans publicité.
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don défiscalisé.