Ces dernières semaines, les actions d’interpellation se sont multipliées à l’encontre de BNP Paribas dans le cadre d’une nouvelle campagne, lancée fin septembre 2024 par l’Association France Palestine Solidarité (AFPS), Attac et la campagne BDS France, afin que la banque « cesse sa complicité dans le financement du génocide à Gaza et de la colonisation illégale de la Palestine ». La première banque française est depuis longtemps dans le viseur des associations engagées dans la défense des droits du peuple palestinien.
Le 2 août 2024, six organisations françaises (AFPS, CGT, Fédération internationale des droits de l’homme, Ligue des droits de l’homme, Plateforme des ONG pour la Palestine et Solidaires) ont écrit une lettre à Jean-Laurent Bonnafé, directeur général de BNP Paribas. Elles y dénoncent son « financement de l’État israélien en pleine guerre contre la population civile de Gaza ». Le courrier faisait suite à des révélations faites le 23 juin 2024 par L’Humanité selon lesquelles la banque française a participé en mars 2024 à une levée de fonds de 8 milliards de dollars (7,6 milliards d’euros) au profit d’Israël1.
Aux côtés de trois autres banques, BNP Paribas a garanti deux milliards d’obligations émises par l’État israélien. Un financement très controversé, alors que la Cour internationale de justice (CIJ) a jugé fin janvier 2024 qu’il existait un risque plausible de génocide à Gaza et que la colonisation figurait au premier rang de l’accord de la nouvelle coalition gouvernementale au pouvoir.
Un manque de transparence et de communication
En septembre 2024, la BNP Paribas a reçu la délégation des organisations signataires du courrier. « Elle a expliqué qu’elle avait agi dans le cadre d’un mandat conclu en septembre 2023 avec l’État israélien, donc avant le 7 octobre, et que, l’opération ayant été souscrite au-delà des montants proposés, elle ne disposait plus de garantie ni ne détenait de titres au titre de cette opération », nous détaille Bertrand Heilbronn, président d’honneur de l’AFPS, qui a suivi le dossier de près. Mais il assure que ces explications n’ont pas vraiment convaincu les organisations, qui estiment toujours que la banque aurait dû renoncer à cette opération :
C’est la première fois que nous sommes reçus depuis quatre ans, donc on constate une inflexion dans l’approche de la banque, qui fait un effort d’explication aux ONG pour tenter de les persuader qu’elle n’a rien à se reprocher, mais sans pour autant être plus transparente ni vouloir communiquer sur ses décisions publiquement, ce qui laisse pour le moins des doutes sur la volonté d’un changement de fond.
BNP Paribas a également annoncé lors de la rencontre ne pas participer à une nouvelle émission d’obligations en cours pour l’État israélien, arguant que le « contexte est très différent de celui de septembre 2023 ».
BNP Paribas figure depuis plusieurs années en tête du palmarès des institutions financières européennes finançant des sociétés impliquées dans la colonisation dans les rapports de la coalition Don’t Buy Into Occupation (DBIO), qui regroupe 25 organisations palestiniennes et européennes. Son tout dernier rapport, publié le 26 novembre, ne fait pas exception : la BNP a accordé 28 milliards de dollars (26 milliards d’euros) de prêts et de souscriptions à ces entreprises entre janvier 2021 et septembre 2024. D’autres banques françaises y sont également épinglées, comme le Crédit Agricole, la Société Générale ou la Banque populaire Caisse d’Épargne (BPCE).
La méthodologie de la coalition est critiquée par BNP Paribas, dans la mesure où ses rapports ne distinguent pas les flux financiers qui vont dans les colonies et ceux qui profitent au territoire israélien, ces détails ne figurant pas dans les bilans financiers. Bien qu’imparfaites, les informations des rapports DBIO fournissent néanmoins une idée de l’implication importante de la banque. La sélection des entreprises par la coalition se fait en référence à une base de données établie par le Conseil des droits humains de l’ONU depuis 2020, listant les entreprises liées à la colonisation israélienne. La coalition se fonde ensuite en grande partie sur les informations recueillies par l’ONG israélienne Who profits. Créée en 2007 par la Coalition des femmes pour la paix, elle fournit des indications détaillées sur près de 500 entreprises israéliennes. Elle procède ensuite à une étape de « due hearing » (jugement contradictoire) avec les entreprises, afin qu’elles puissent contester ou apporter des compléments d’information. En dernier lieu, les données sont analysées par l’entreprise néerlandaise à but non lucratif Profundo.
Financement du géant de l’armement Elbit Sytems
Certains financements de BNP Paribas à des entreprises israéliennes laissent peu d’équivoque quant à leur finalité, en particulier depuis le 7 octobre 2023. C’est le cas du géant israélien de la défense Elbit Systems, l’un des principaux fournisseurs d’armes de l’État israélien.
Entre janvier 2019 et septembre 2024, Profundo estime que BNP Paribas a prêté 174 millions de dollars (164 millions d’euros) à la société israélienne. La plus grosse opération de financement remonte à 2021, et court jusqu’à mai 2026. BNP Paribas a en effet participé avec quatre autres banques américaines — BMO Harris, Wells Fargo, Bank of America et Capital — à une opération de prêt d’un demi-milliard de dollars (475 millions d’euros) à la filiale américaine de Elbit systems, avec des taux d’intérêt variant entre 1,2 et 2 %, selon des révélations du site web canadien The Breach. Contactée par Orient XXI, BNP Paribas n’a pas souhaité donner suite à nos demandes d’entretien.
Dans un article du Monde datant du 9 août 2024, la banque affirmait « financer exclusivement les exportations à destination de pays de l’Otan » et « aucune production à destination d’Israël ».2 « C’est une information invérifiable en source ouverte. Nous sommes contraints de croire BNP Paribas sur parole, sans aucun élément prouvant cette information », affirme Pierre Motin, responsable plaidoyer de la plateforme des ONG pour la Palestine.
Elbit systems impliquée dans des crimes de guerre
Depuis un an, Elbit Systems a vu exploser ses bénéfices, portés par une demande croissante de l’armée israélienne pour ses opérations militaires. La compagnie a annoncé au troisième trimestre 2024 un bénéfice net de 98,8 millions de dollars (94 millions d’euros) entre juillet et septembre3, soit une augmentation de près de 30 % par rapport aux 76,5 millions de dollars (72,8 millions d’euros) enregistrés à la même période l’année précédente. Sur les neuf premiers mois de 2024, près d’un tiers de son chiffre d’affaires (28,1 %) est constitué de ventes à l’armée israélienne, contre 16,8 % pour la même période en 2023, indiquant que les financements de BNP Paribas ont de plus grandes chances d’être utilisés dans le génocide. Rien que sur le dernier trimestre 2024, les ventes à l’armée israélienne ont généré 500 millions de dollars (476 millions d’euros).
La technologie militaire de la compagnie a été utilisée pour commettre des crimes de guerre à Gaza, mais aussi au Liban, selon plusieurs ONG internationales. Amnesty International a ainsi démontré que les obus de 120 mm de char israélien qui ont tué le journaliste libanais Issam Abdallah et grièvement blessé la correspondante de l’AFP Christina Assi le 13 octobre 2023 au Liban étaient « très probablement un projectile M 339, fabriqué par l’entreprise israélienne IMI systems ». Cette compagnie est depuis 2018 une filiale d’Elbit Systems4.
Le 27 mars 2024, une frappe israélienne contre un centre d’urgence et de secours dans le sud du Liban qui a fait sept morts a été menée au moyen d’une bombe polyvalente de 500 livres (environ 227 kilos) fabriquée par Elbit Systems, selon une enquête de Human Rights Watch5. Les drones Hermes 450 produits par la compagnie israélienne ont aussi été largement utilisés à Gaza, notamment pour mener la frappe qui a tué sept humanitaires de l’ONG américaine World Central Kitchen, en avril 2024. Elbit Systems a loué ses drones 450, qu’elle considère comme « l’épine dorsale de l’armée israélienne ».
Des armes controversées
Dans le cadre de l’exercice de critères de responsabilité sociale et environnementale (RSE), BNP Paribas a développé une politique destinée à encadrer l’ensemble de ses activités en lien avec l’industrie de la défense et sécurité. Elle indique ne pas fournir de « produits et services financiers ou investir dans des entreprises identifiées comme étant impliquées dans les armes controversées », définissant ces dernières comme « ayant des effets indiscriminés et causant des blessures non justifiées ».
Parmi ces armes figurent notamment les bombes à sous-munitions, les mines antipersonnel, ou les bombes au phosphore blanc, qu’Elbit Systems est soupçonnée de continuer à produire. En 2018, Elbit systems a en effet racheté IMI Systems, autrefois connue sous le nom de « Israeli military industries », qui produisait des armes à sous-munitions. Bien qu’elle ait indiqué depuis à plusieurs reprises avoir cessé leur fabrication, plusieurs grandes institutions financières, dont le fonds souverain australien, se sont désengagées de l’entreprise en 2022 en raison de sa production ou de la commercialisation de ces armes.
Pour ce qui concerne les bombes au phosphore blanc, Elbit Systems en a officiellement fabriqué moins jusqu’en 2012, puis a cessé d’en faire mention dans ses états financiers. Selon Amnesty International, ces armes incendiaires ont été utilisées à plusieurs reprises dans le sud du Liban ces derniers mois6.
Un rapport de Pax/Produndo, publié en juin 2024, indique qu’en plus de financer directement Elbit Systems, BNP Paribas a accordé 5,72 milliards d’euros de prêts et de souscriptions aux plus importants fabricants d’armes qui fournissent l’armée israélienne entre janvier 2021 et août 2023, notamment Boeing, Leonardo, Rolls-Royce et RTX.
Ces dernières années, plusieurs entreprises se sont désinvesties d’Elbit Systems. C’est notamment le cas d’une filiale d’Axa, Axa Investment Manager, qui a cédé entre 2018 et 2019 l’ensemble de ses parts dans le capital d’Elbit Systems. Depuis la décision de la CIJ, plusieurs entreprises ont cessé de collaborer avec Elbit, notamment le géant japonais du négoce Hitochu, l’entreprise de logistique suisse Kuchne + Nagel ou la banque britannique Barclays. Ce n’est pas le cas de BNP Paribas. Jusqu’à quand la banque française pourra-t-elle s’accrocher à sa position ?
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1Luis Reygada, « Gaza : comment la BNP Paribas a financé la guerre d’Israël à hauteur de 2 milliards de dollars », L’Humanité, 23 juin 2024.
2 Julien Bouissou, « BNP Paribas finance le géant israélien de la défense Elbit », Le Monde, 9 août 2024.
3« Elbit systems reports third quarter 2024 results », PR Newswire, 19 novembre 2024.
4« Liban. L’attaque israélienne meurtrière contre des journalistes doit faire l’objet d’une enquête pour crime de guerre », Amnesty International, 7 décembre 2023.
5« Israël : Une frappe menée au Liban avec une arme américaine a tué des secouristes », Human Rights Watch, 7 mai 2024.
6« Liban. Certains éléments attestent l’utilisation illégale de phosphore blanc par Israël dans le sud du Liban, à l’heure où les hostilités transfrontalières s’intensifient », Amnesty International, 31 octobre 2023.