Deux ans après l’éclatement de la crise pétrolière mondiale, l’Algérie est paralysée par un triple blocage qui menace de déboucher sur le pire. L’impasse politique née de l’incapacité des ténors du régime à s’accorder sur un successeur à l’actuel président, Abdelaziz Bouteflika, bien incapable de tenir les rênes du pouvoir, interdit tout progrès sérieux dans la solution de la grave crise financière que traversent l’État et le secteur public. De plus, l’Algérie, qui vit du pétrole et du gaz qu’elle exporte est incapable, à la différence de l’Arabie saoudite, de la Russie, de l’Irak ou de l’Iran, d’augmenter ses exportations et de compenser, au moins partiellement, la baisse des prix par une augmentation des volumes vendus. Sa production se réduit depuis dix ans alors que sa consommation intérieure explose et que diminue son surplus exportable. Il faudrait, pour renverser la tendance, un effort massif d’investissements ; l’État algérien en a moins que jamais les moyens à cause de la crise financière. La compagnie nationale Sonatrach a été déficitaire l’an dernier, et l’impasse politique interdit de revoir les conditions peu engageantes offertes aux compagnies étrangères qui boudent le sous-sol algérien depuis 2010.
Le pays ne peut sortir du dangereux cercle vicieux qui s’est mis en place qu’en levant au préalable l’hypothèque politique et en réglant enfin la question de la succession qui traîne depuis le printemps 2013 et l’évacuation sur l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris du président Bouteflika, victime d’un accident cardiaque dont il ne s’est, à la vérité, jamais remis. Avant les élections présidentielles d’avril 2014, la candidature du chef de gouvernement Abdelmalek Sellal a été évoquée, avant d’être contrée in extremis par le chef de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah. Début 2016, c’est le nom du directeur du cabinet présidentiel Ahmed Ouyahia, un survivant de la vie politique locale où il grenouille depuis plus de trente ans, qui a circulé pour le poste de premier ministre qu’il a déjà occupé à trois reprises. Mais ses rivaux ont eu peur de le voir prendre une option sérieuse sur la succession en cas de disparition soudaine d’Abdelaziz Bouteflika et ont déclenché un tir de barrage contre lui.
Surplace politique et déficit budgétaire
Les trois principaux acteurs de cette tragi-comédie : l’armée, les services de sécurité et la famille Bouteflika se neutralisent et ne s’accordent que sur le statu quo. Le vice-ministre de la défense, chef d’état-major de l’armée, le général Gaïd, se verrait bien à la présidence, mais le « collège » militaire renâcle à voir l’un des siens assumer le pouvoir dans des circonstances plus que difficiles et préfère laisser cette tâche ingrate à un civil. Saïd Bouteflika, le « petit » frère de l’actuel président, n’a ni l’audience ni le sérieux qu’exige la situation. Enfin, le chef du gouvernement Sellal manque cruellement de crédibilité et d’appuis. L’opposition est quant à elle divisée et témoigne plus qu’elle ne s’oppose, faute de disposer d’un minimum de libertés malgré les promesses et la révision constitutionnelle du début de l’année.
Dans ce surplace politique où chacun des candidats, connu ou inconnu, se marque à la culotte, il est urgent d’attendre et de différer les « réformes » que les institutions internationales et les analystes recommandent pour faire face à la gravité de la situation financière de l’État. L’inaction va se payer au prix fort. a rente pétrolière s’est effondrée (70 milliards de dollars avant la crise, 27 milliards espérés cette année) et le déficit budgétaire attendu en 2016 pourrait atteindre 30 milliards de dollars, soit près de 20 % du PIB. Où les trouver ? Le magot accumulé pendant les dix ans du boom pétrolier (2004-2013) s’assèche rapidement, le Fonds de régulation des recettes (FRR) qui a depuis six ans financé le déficit budgétaire sera à sec avant la fin de l’année.
Après deux ans d’hésitations, Alger semble se résigner à s’endetter à nouveau à l’extérieur. Mais il lui sera difficile de lever plus de 4 à 5 milliards auprès de la Banque mondiale ou de la Banque africaine de développement (BAD). C’est insuffisant. Le marché financier international est, de fait, inaccessible à l’Algérie sans la garantie du Trésor américain ou japonais qu’a obtenue la Tunisie ; un tel patronage serait vécu comme une humiliation nationale par les Algériens traumatisés par la précédente crise financière des années 1990 qui a conduit à un plan d’ajustement structurel ruineux pour les salariés du secteur public et les consommateurs.
La croissance économique en panne
Au plan intérieur, le grand « Emprunt national pour la croissance économique » (ENCE) a fait un flop malgré les pressions exercées sur les banquiers et les assureurs (à peine l’équivalent de 2 milliards récolté jusqu’ici) et a coûté son poste au ministre des finances, Abderrahmane Benkhalfa. Quelle autre solution reste-t-il à son successeur, le troisième grand argentier en deux ans, sinon de faire tourner la planche à billets à plein régime et de dévaluer sauvagement le dinar avec la complicité du nouveau gouverneur de la Banque centrale ? La conséquence en sera forcément une inflation à deux chiffres, des pénuries et un appauvrissement douloureux de la population, au total une triple menace pour la stabilité sociale et politique du régime.
La dernière conférence tripartite (gouvernement, patronat, Union générale des travailleurs algériens, UGTA) du 5 juin dernier illustre cette incapacité du régime, malgré l’urgence, à prendre le taureau par les cornes. Albelmalek Sellal n’a pas osé rendre public le « cadrage » budgétaire 2016-2019 préparé par son équipe et la seule mesure annoncée, le retour de l’âge de la retraite à 60 ans, a été renvoyée à plus tard. La Caisse nationale des retraites (CNR), pourtant très déficitaire, s’est empressée de faire savoir quelques jours plus tard par voie de presse que les départs anticipés en retraite au bout de 25 ans de carrière n’étaient pas remis en cause. De leur côté, les principales fédérations de l’UGTA ont, dans la foulée, renié la signature de leur centrale et revendiqué bruyamment le maintien des avantages acquis.
Sur le front pétrolier, la même procrastination est de mise. Fin mai, avec l’aide de l’Union européenne, Salah Khebri, le ministre de l’énergie a organisé à Alger un forum destiné à attirer les compagnies internationales, à les inciter à revenir explorer et exploiter le sous-sol saharien, en particulier gazier. Les débats ont tourné au dialogue de sourds : les demandes de changements sur la fixation des prix du gaz ou sur la propriété des gisements qui est aujourd’hui automatiquement à 51 % algérienne ont été rejetées et la perspective d’un retour des investissements étrangers dans le secteur s’est éloignée encore un peu plus. Dans un contexte de baisse des ressources des compagnies et de surenchères entre pays producteurs pour les attirer, l’Algérie est moins que jamais, aux yeux des pétroliers, une destination séduisante. Finalement, la seule décision prise après ce fiasco a été de limoger le ministre, ce qui ne veut pas dire que son successeur sera plus à l’écoute.
Répression annoncée
Les grandes puissances ont voulu croire que la mise à la retraite l’an dernier du général Mohamed Mediene, dit « Toufik », à la tête des services pendant plus de vingt ans, l’omniprésente Direction de renseignement et de la sécurité (DRS) et la réorganisation de son ancien fief, inauguraient une transition vers un État « civil », plus respectueux des libertés et de l’opposition, voire une modernisation du régime. Les indices qui vont dans ce sens, en dehors de l’instabilité ministérielle, sont cependant rares : la justice reste aux ordres, le Parlement marginalisé, les élus locaux domestiqués et les quatre derniers quotidiens indépendants menacés et privés de publicité officielle. L’emprisonnement sans jugement depuis plus de neuf mois d’un officier général à la retraite qui avait osé critiquer le frère du président Bouteflika ou les tracasseries infligées à Issad Rebrab, le plus riche homme d’affaires d’Algérie, dit-on, en rivalité avec un autre mieux placé que lui auprès des puissants de l’heure, font craindre qu’à l’inaction et à la paupérisation s’ajoute bientôt la répression.
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