L’Égypte au secours du président soudanais Omar Al-Bachir

La stabilité avant tout · Depuis deux mois, des manifestations se succèdent au Soudan pour en finir avec une dictature vieille de trente ans. Bien que les relations avec son voisin du sud soient toujours tendues, l’Égypte soutient le statut quo. La stabilité avant tout, et ne pas donner de mauvaises idées aux Égyptiens exaspérés par leur propre dictateur.

19 juillet 2018. — Abdel Fattah Al-Sissi reçu par Omar Al-Bachir.
Khartoum, photo officielle

L’Égypte prend parti pour la stabilité du Soudan. La « stabilité » à ses yeux signifie maintenir en place le président Omar Al-Bachir. Voilà ce que confie à Mada Masr un responsable égyptien1 qui suit la politique régionale de son pays. Selon cette source, le président égyptien a informé son homologue français Emmanuel Macron lors de leur dernière rencontre fin janvier 2019 que l’Égypte soutenait Al-Bachir de peur que sa disparition « sans les préparatifs nécessaires à la transition ne fasse basculer un nouvel État failli ». En effet, précise-t-il, « la composition ethnique complexe du Soudan, les divisions tribales, les hostilités avec le Sud-Soudan, tous ces facteurs ajoutent aux craintes des Égyptiens si Al-Bachir devait subitement disparaître ».

En réponse à une question sur les révélations faites à Mada Masr par plusieurs diplomates en résidence au Caire quant à la fourniture par l’Égypte de renseignements sensibles au Soudan et les pressions exercées sur deux chefs d’État — l’un occidental, l’autre arabe — en vue de les amener à soutenir Omar Al-Bachir, cette source indique : « Je ne vais pas entrer dans les détails. Je dirai simplement que nous nous concertons avec nos partenaires sur la nécessité d’éviter une vacance brutale du pouvoir au Soudan, car cela ouvrirait la porte à des scénarios de chaos dans un pays de la vallée du Nil qui occupe de surcroît une position stratégique sur la mer Rouge. »

Pas de nouveau printemps arabe

Omar Al-Bachir est confronté depuis le 19 décembre 2018, à travers tout le territoire, à une vague de protestations contre la dégradation des conditions de vie. La contestation a toutefois rapidement pris un tour plus radical, avec des revendications demandant la destitution du président. Les rapports des organisations de défense des droits humains évoquent le chiffre de 50 morts durant les manifestations.

Le président soudanais a effectué une visite d’une journée au Caire le 27 janvier pour des entretiens avec son homologue égyptien, à l’issue desquels il a déclaré dans une conférence de presse : « Il y a une tentative de rééditer le printemps arabe au Soudan, mais le peuple soudanais est tout à fait conscient, il fera échouer toute manœuvre de déstabilisation et n’autorisera pas le désordre qui a submergé les autres pays de la région avec la vague des printemps arabes. » La critique virulente du printemps arabe par Al-Bachir ne devait rencontrer aucune objection de la part d’Abdel Fattah Al-Sissi qui déclarait pour sa part dès le lendemain, à l’occasion de sa conférence de presse conjointe avec le président français, et en réponse à des questions de journalistes français sur la situation des droits humains en Égypte, que le printemps arabe avait débouché sur le chaos.

Au cours de la même conférence de presse, le maréchal Al-Sissi estimait que le printemps arabe avait été conçu dans le but précis de mettre les islamistes au pouvoir dans tous les pays arabes. Vision à laquelle Al-Bachir pouvait difficilement souscrire, étant lui-même lié à l’islam politique. Mais cette divergence de vues n’empêche nullement Sissi de soutenir Al-Bachir. Selon la source indiquée plus haut, ce soutien trouve partiellement son explication dans l’extrême sensibilité à l’égard des manifestations qui peuvent réclamer la destitution d’un chef d’État. « Le fait que ces manifestations aient été motivées par des revendications économiques », ajoute-t-il, hérisse également le régime de Sissi, alors qu’il a lui-même adopté un train de mesures d’austérité en Égypte. Et de relativiser : « Mais bien évidemment nous ne pouvons comparer la situation économique en Égypte à celle qui prévaut au Soudan. »

L’enjeu du partage des eaux du Nil

Ce responsable essaie par ailleurs de minorer l’aide égyptienne en disant qu’elle est conditionnée. « Nous faisons en effet face à une situation difficile avec le grand barrage éthiopien de la Renaissance qui va se répercuter négativement sur nos ressources annuelles d’eau du Nil. Pendant longtemps nous avons été mécontents de l’hésitation que marquait le Soudan à nous soutenir ; nous avons aujourd’hui le sentiment qu’il est prêt à se montrer plus coopératif lors des pourparlers tripartites », dit-il.

L’Égypte et le Soudan, qui se trouvent en aval du Nil, sont engagés depuis 2015 dans des pourparlers politiques et techniques avec l’Éthiopie pour parvenir à un accord régissant le partage des eaux sur une base annuelle, rendu nécessaire à leurs yeux par la mise en œuvre du barrage de la Renaissance dont la capacité atteint 70 milliards de mètres cubes. Jusqu’à ce jour, le Soudan soutenait les positions éthiopiennes selon lesquelles la part annuelle de l’Égypte devrait dépendre du volume des précipitations. Le Soudan avait même accusé l’Égypte d’utiliser un certain pourcentage de sa propre part des eaux du Nil qu’il n’exploitait pas localement. L’Égypte souhaite parvenir à une convention qui lui garantisse la part annuelle qui lui avait été attribuée en vertu d’un accord plus ancien, qui remonte aux années 1950 du siècle précédent.

Le responsable égyptien interrogé estime que la visite d’Al-Bachir au Caire fin janvier donnait le signal d’une disposition du Soudan à soutenir dorénavant les revendications égyptiennes en matière de partage des eaux. Il ajoute que l’Égypte n’éprouve aucun embarras à se retrouver sur la même ligne que ses plus grands adversaires régionaux, à savoir la Turquie et le Qatar, s’agissant du soutien à accorder à Al-Bachir. Pour lui, il est normal que les États soient sur certains dossiers en accord avec leurs adversaires et en désaccord avec leurs amis.

Un autre responsable égyptien2 a indiqué pour sa part que l’Égypte observait de près et non sans inquiétude la fragilisation d’Al-Bachir, notamment après le refus du Qatar de lui accorder le soutien financier qu’il était venu chercher auprès de l’émir lors de sa dernière visite à Doha en janvier. Selon lui, l’Arabie saoudite et les Émirats recherchent actuellement une sortie de crise qui assurerait l’exfiltration du président soudanais et la désignation d’un successeur potentiel. Mais l’Égypte ne partage pas cette position, ne voyant pas de relève fiable au président actuel.

1Il n’a pas souhaité révéler son identité.

2Idem.

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