En ce mois de juin 2018, 600 personnes venues de la rive sud de la Méditerranée ont été sauvées en mer par l’Aquarius, qui s’est vu refuser l’accostage en Italie, où une coalition d’extrême droite et de populistes est arrivée au pouvoir. Après le refus de l’île de Malte de l’accueillir, l’Espagne s’est déclarée prête à laisser entrer le bateau à Valence. D’abord silencieuse, la France a plus tard indiqué qu’elle allait contribuer à accueillir une partie des rescapés sur son territoire.
On peut s’interroger sur le sens de ces tergiversations, alors que l’accueil des demandeurs d’asile fait partie des valeurs universelles et notamment européennes. En effet, le droit d’asile a d’abord été limité à l’Europe, selon la Convention de Genève de 1951, puis élargie au reste du monde. On peut également s’inquiéter de la généralisation des idées d’extrême droite et de la peur qu’elles suscitent parmi les décideurs, ainsi que sur le prêt-à-penser en matière d’immigration et d’asile. En France, plusieurs intellectuels1, des associations et autres mouvements civiques se sont indignés de la frilosité affichée, tandis que le sort des personnes recueillies sur l’Aquarius a divisé la majorité au pouvoir et que la droite elle-même se fracture sur la question migratoire.
L’Aquarius a créé une tension diplomatique entre la France et l’Italie. Si les deux grandes métropoles que sont Naples et Palerme se sont déclarées favorables à son accueil, il a été refusé par le ministre de l’intérieur Matteo Salvini. Rome a dénoncé les leçons hypocrites de la France, les deux pays s’accusant mutuellement de ne pas prendre leurs responsabilités concernant les réfugiés. L’Italie considère qu’elle a beaucoup contribué au « partage du fardeau », seule, sans le soutien de ses voisins européens. Notamment depuis 2013 lorsqu’elle a monté l’opération Mare nostrum, sauvant en un an 146 000 migrants en perdition en Méditerranée.
Matteo Salvini accuse la France de n’avoir relocalisé que 640 migrants contre les 9 000 qu’elle s’était engagée à réinstaller. La France n’a accueilli que 3,5 demandeurs d’asile sur 1000 en Europe contre 5,4 sur 1000 en Italie, 16,5 pour l’Allemagne et 20 sur 1000 en Suède entre 2015 et 2017. Elle se situe ainsi au 13e rang en Europe, derrière la Finlande, Chypre, la Bulgarie, l’Autriche et Malte, entre autres.
La frontière franco-italienne a été fermée à Vintimille à plusieurs reprises, dans le but de « contenir » en Italie ceux qui cherchent à continuer leur route vers la France ou vers d’autres pays européens pour y demander l’asile ou y chercher du travail. Des murs et des frontières se sont érigés en Europe depuis la crise de 2015 autour de la Hongrie, pour arrêter les arrivants syriens et Proche-Orientaux de la « route des Balkans », mais aussi entre la Bulgarie et la Grèce, entre la Macédoine et la Grèce, tandis que les pays européens se sentaient très inégalement concernés par les réfugiés.
Une partie de bras de fer se joue aussi à Bruxelles, qui cherche à réformer le système de Dublin 2 selon lequel c’est dans le premier pays européen où le demandeur d’asile a mis le pied qu’il doit obligatoirement être examiné comme demandeur d’asile — un système en crise depuis de nombreuses années. Bruxelles propose de faire adopter le principe de « pays tiers sûr » : le migrant débouté du droit d’asile serait renvoyé non pas dans son pays d’origine, mais vers un pays par où il serait passé et où il aurait pu se stabiliser. Un principe refusé en France par le Conseil d’État, au nom même du droit d’asile.
Selon Joseph Borrell, ancien président du Parlement européen et actuel ministre espagnol des affaires étrangères, « l’Europe fait la politique de l’autruche ». Il explique que le phénomène migratoire est structurel et que la crainte de l’ « effet d’appel » est infondée car ce ne sont pas les conditions d’arrivée — souvent mauvaises — qui attirent ; c’est la situation dans les pays de départ où se mêlent l’absence d’espoir, le chômage massif des jeunes et parfois aussi la guerre et l’insécurité. Si la chancelière allemande, qui a accueilli un million de nouveaux arrivants en 2015 après avoir affirmé la volonté de recevoir 800 000 demandeurs d’asile est aujourd’hui fragilisée par son propre parti, cela montre le recul de l’UE dans la reconnaissance des droits humains, et non l’erreur qu’elle aurait pu commettre en se déclarant plus déterminée que ses voisins à respecter les valeurs européennes.
Les alternatives proposées à l’échelon européen sont fragiles :
➞ faire le tri dans les pays de départ et de transit entre les futurs candidats à l’asile et les migrants économiques dans un contexte où les flux mixtes sont nombreux ;
➞ négocier des accords avec les pays de la rive sud de la Méditerranée pour qu’ils pénalisent les départs irréguliers. La mesure existe déjà, mais fait l’objet de parodies de procès.
Une remise à plat de la politique européenne d’immigration et d’asile consistant à rouvrir l’immigration de travail dans les secteurs en tension — c’est-à-dire non pourvus sur les marchés du travail européens — permettrait de mieux traiter l’asile (les hotspots installés en Grèce et en Italie). Les candidats au travail arriveraient légalement sans recourir aux passeurs et ne viendraient plus accroître le chiffre des 32 000 morts en Méditerranée depuis 2000. La détermination de l’asile ne serait plus entravée par les cas de flux mixtes qui engorgent la demande, faute d’autres voies d’entrée pour les jeunes. Cela viendrait alléger à la fois le nombre des sans-papiers et le tribut des passeurs qui font fortune sur le régime des visas et la politique de dissuasion, aujourd’hui en échec.
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1« Pour un asile sanctuarisé dans les sanctuaires ! »,Le Monde, 15 juin 2018 (réservé aux abonnés).