L’homme qui pousse à la guerre contre l’Iran

Au cœur d’une influente fondation américaine · La Fondation pour la défense des démocraties (FDD) est surtout réputée pour son soutien inconditionnel au gouvernement israélien. Moins connues sont son action contre l’Iran et ses manœuvres pour pousser les États-Unis à intervenir contre ce pays dont Saïd Ghasseminejad est le principal artisan.

Saïd Ghasseminejad, expert de la Fondation pour la défense des démocraties et spécialiste de l’Iran
FDD

La Foundation for Defense of Democracies (Fondation pour la défense des démocraties, FDD), organisation néoconservatrice fondée à Washington après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, est depuis longtemps obsédée par l’Iran. Elle s’est opposée avec force au Plan global d’action conjointe (PGAC), l’accord nucléaire entre l’Iran et le groupe P5+11.

Son directeur Mark Dubowitz est bien connu. Sa prétendue « défense des démocraties » est décrédibilisée par ses récents appels à l’« autoritarisme inclusif » au Proche-Orient, mais son bras droit, l’Iranien Saïd Ghasseminejad, est largement méconnu. Il joue pourtant un rôle important en fournissant des arguments à la FDD et à Dubowitz pour construire les exagérations outrancières et les fausses affirmations à la base de la volonté de l’administration Trump de pousser vers une guerre avec l’Iran.

Itinéraire d’un « libéral » autoritaire

Ghasseminejad est un acteur de la « fausse opposition » qui soutient les sanctions économiques et les pressions militaires contre l’Iran et dont la politique contraste fortement avec celle des groupes de la « vraie opposition » en Iran et dans la diaspora — une large coalition de syndicats, y compris ceux des enseignants, de groupes de défense des droits humains, de militants des droits des femmes et de militants sociaux, de réformistes radicaux, de nationalistes, de laïcs de gauche et de religieux-nationalistes.

L’homme a fait des études de génie civil à l’université de Téhéran, qui a toujours été un foyer d’activités antigouvernementales, sauf pendant l’éphémère gouvernement du premier ministre Mohamed Mossaddegh en 1951-1953. En 2002, avec un autre étudiant, Amir-Hossein Etemadi — partisan américain de Reza Pahlavi, fils de Shah Mohamed Reza Pahlavi —, il crée un bulletin étudiant intitulé Farda (Demain) en faveur du « libéralisme », c’est-à-dire, pour les deux étudiants, les aventures militaires comme celles envisagées par les tenants néoconservateurs de « l’intervention libérale » afin d’instaurer la démocratie par la force. Ghasseminejad soutient l’invasion américaine de l’Irak en 2003, et dans un article intitulé (en persan) « Pourquoi les États-Unis attaqueront l’Iran », préconise implicitement une opération militaire contre son pays natal.

En juin 2003, après des manifestations sporadiques contre le gouvernement à Téhéran, Ghasseminejad est brièvement arrêté. Lors d’une conférence de presse après sa libération, il présente ses excuses au dirigeant suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, promettant d’être « un bon citoyen » et de cesser ses activités politiques. Deux ans plus tard, au printemps 2005, avec un petit groupe d’étudiants, il lance un nouveau journal appelé Talangar (Réveil], axé sur la critique des étudiants de gauche et de leurs publications.

Bien qu’il ait exprimé son « amour » pour la démocratie et les droits humains et qu’il se présente comme un « libéral classique », Saïd Ghasseminejad a toujours été partisan de l’autoritarisme. Dans un article intitulé « Que nous apprend Lénine ? », publié dans Talangar, il exprime son admiration pour Vladimir Ilitch Lénine et son concept de centralisme démocratique. Il a un jour qualifié Augusto Pinochet, le dictateur chilien, de « feu le cher [leader] qui a sauvé le Chili... et qui était bien meilleur que Salvador Allende », le président socialiste chilien renversé par la CIA en 1973, comme Mossaddegh en 1953.

Soutien à la dictature égyptienne

Il s’est également prononcé en faveur du massacre d’Égyptiens lors des manifestations qui ont suivi le coup d’État perpétré par Abdel Fattah Al-Sissi en 2013, écrivant sur sa page Facebook : « J’ai pensé devoir exprimer sur Facebook ma reconnaissance à l’armée égyptienne pour avoir nettoyé les rues des fondamentalistes islamiques criminels », et ajoutant qu’« en fait, la bonne question à poser n’est pas pourquoi l’armée égyptienne nettoie l’Égypte des bêtes islamistes, mais plutôt pourquoi l’armée iranienne a permis aux islamistes de prendre le contrôle de notre pays » pendant la révolution iranienne. Il a ainsi démontré non seulement son ignorance de l’histoire de l’Iran, mais aussi son indifférence face au massacre de ses propres compatriotes, au moins 3 000 personnes ayant été tuées par l’armée pendant la révolution iranienne. En outre, lui et ses semblables demeurent silencieux devant la dictature d’Abdel Fattah Al-Sissi et les dizaines de milliers de prisonniers politiques en Égypte.

Après l’invasion de l’Irak par les États-Unis, Ghasseminejad estime que « le moteur des développements politiques et sociaux de l’Iran a été transféré à l’extérieur du pays ; son mouvement démocratique est lié aux développements politiques au Moyen-Orient et aux intérêts et à la politique des États-Unis dans la région ». Il quitte l’Iran en 2008, soi-disant pour poursuivre ses études, d’abord en France, puis aux États-Unis. Depuis son arrivée aux États-Unis, il n’a cessé de préconiser des sanctions économiques et la guerre contre l’Iran.

Dans une lettre ouverte adressée au président Barack Obama en novembre 2011, Saïd Ghasseminejad et des « libéraux » du même genre écrivaient :

Nous savons tous que l’inaction du monde au cours de la dernière décennie a mené à une Corée du Nord dotée d’armes nucléaires. Nous pensons que cette erreur se répèterait si la République islamique d’Iran se dotait de l’arme nucléaire et d’autres types d’armes non conventionnelles, et qu’il faut l’en empêcher.

La lettre avertissait que la réponse de l’Iran aux efforts de négociation d’Obama était de « faire avancer son programme nucléaire vers la fabrication d’armes ». C’était faux, car quatre ans plus tôt, en novembre 2007, le National Intelligence Estimate avait déclaré que si l’Iran avait eu un programme actif de recherche pour la fabrication d’armes nucléaires, il l’avait arrêté en 2003 — analyse reconfirmée en 2010 et 2012.

L’inévitable confrontation

Au cours de la dernière décennie, dans une série d’articles, Ghasseminejad a exposé clairement et à plusieurs reprises sa vision de « faucon » des positions iraniennes, souvent à l’aide d’arguments manifestement faux. Dans divers articles publiés avant le PGAC, par exemple, il a répété que l’Iran avait un programme nucléaire militaire et qu’une confrontation militaire était inévitable. Dans un article publié par le site web persan Rooz aujourd’hui disparu, il a écrit :

En fin de compte, les sanctions ne forceront pas l’Iran à abandonner son programme d’armes nucléaires. [...] La fabrication d’armes nucléaires est un objectif que l’Iran ne cessera pas de poursuivre. [...] La communauté internationale doit choisir entre un Iran nucléaire et une confrontation militaire. Je crois que le monde n’acceptera pas un Iran nucléaire et, par conséquent, nous nous dirigerons vers une confrontation militaire.

Après que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a publié en novembre 2011 un rapport sur le programme nucléaire iranien, Ghasseminejad et un groupe d’Iraniens aux vues similaires aux siennes ont publié une déclaration mensongère, prétendant que « le nouveau rapport de l’AIEA prouve que les efforts déterminés du gouvernement [iranien] pour dévier son programme nucléaire vers un programme militaire ont atteint un stade décisif ». La déclaration contenait en outre un mensonge éhonté : « Par leur discours hostile et leur refus de coopérer avec l’Agence, les dirigeants actuels augmentent chaque jour la possibilité d’une confrontation militaire avec l’Iran ». Le programme de l’Iran était alors, et ce depuis février 2003, l’objet d’une inspection rigoureuse de l’AIEA.

Dans une interview au Clarion Project, un site web d’extrême droite, Ghasseminejad a, avec Sara Akrami, autre membre du groupe des « étudiants libéraux », déclaré :

Imaginez le moment où le gouvernement iranien réalisera son rêve d’arriver au terme de son soi-disant ‟programme nucléaire pacifique”, que nous appelons nous une bombe atomique. On peut être sûr que la région entière s’embrasera.

Après la nomination par le président Obama de Chuck Hagel au poste de ministre de la défense en janvier 2013, Ghasseminejad a indiqué au Times of Israel  :

La simple perspective que Hagel occupe ce poste nuit déjà aux efforts visant à convaincre l’Iran de mettre fin à son programme d’armes nucléaires ; cela envoie à l’Iran le signal que le président Obama ne prend pas au sérieux ses propres déclarations sur son opposition au programme nucléaire du régime.

Exagérations et mensonges

Saïd Ghasseminejad se présente comme un expert de la corruption économique en Iran. Certes, Ali Khamenei est un dictateur, et en aidant l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad à accéder au pouvoir, il a contribué à encourager la corruption systémique que l’administration Ahmadinejad avait laissée derrière elle, ce qui explique le mépris d’une très grande majorité du peuple iranien pour les deux hommes. Ainsi, compte tenu de ce que le public sait déjà, il n’est pas nécessaire d’exagérer ni de mentir sur la corruption. Mais même ici, Ghasseminejad ment. Il a par exemple propagé l’idée que la fortune de Khamenei s’élevait à près de 100 milliards de dollars (90,33 milliards d’euros) qui auraient été volés au peuple iranien. La réalité est bien différente. La Constitution de la République islamique confère au Guide suprême le contrôle de plusieurs grandes fondations dont les actifs s’élèvent à environ 100 milliards de dollars. Mais ces actifs appartiennent à l’État, pas à Khamenei. Le Guide nomme les administrateurs et d’autres membres clés des conseils d’administration de ces fondations. Bien que le gouvernement n’ait aucun contrôle sur ces dernières, Hassan Rohani fait pression depuis son élection en 2013 pour qu’elles paient des impôts sur leur revenu net, récemment avec un certain succès puisque l’idée de payer des impôts a été acceptée, bien que le montant des impôts ne soit pas encore fixé.

La campagne de mensonges de Ghasseminejad s’est poursuivie jusqu’à la signature du PGAC en juillet 2015, qui a temporairement réduit au silence la « fausse opposition ». Mais après l’élection du président Trump en 2016 et après que ce dernier a clairement indiqué qu’il retirerait les États-Unis du GPAC, Saïd Ghasseminejad et ses semblables ont soudainement intensifié leur campagne.

Une propagande financée par le département d’État

Ghasseminejad a également été lié à un projet de propagande probablement illégal, financé par le département d’État américain, dont l’objectif est d’attaquer des individus et des groupes iraniens et irano-américains aux États-Unis opposés à la politique agressive contre l’Iran. Citant comme sources des membres du Congrès qui avaient été « briefés » à huis clos par des officiels de l’État, le quotidien britannique The Independent a révélé le mois dernier qu’ « un individu » membre de la FDD « fait partie du projet de désinformation en Iran de la E-Collaborative for Civic Education’s »2. Les révélations sur le financement et les travaux du projet sont devenues si embarrassantes pour l’administration Trump que le Département d’État a dû suspendre son financement de 1,5 million de dollars (1,36 million d’euros) par an.

Negar Mortazavi, l’auteur principal de l’article de The Independent, a déclaré à LobeLog qu’un membre du personnel du Congrès qui avait assisté à la séance d’information lui avait dit que « l’individu » était bien Ghasseminejad et qu’il travaillait pour l’une des responsables du projet, Mariam Memarsadeghi, une activiste irano-américaine. En tout cas, plusieurs articles de Saïd Ghasseminejad ont été publiés à la fois sur le site du Projet de désinformation en Iran et sur le site de la FDD. En plus d’attaquer les Iraniens qui s’opposent à la confrontation avec l’Iran, Mariam Memarsadeghi ne cache pas qu’elle souhaite une guerre contre l’Iran. Elle soutient que « la guerre est un prélude à la paix », allant jusqu’à affirmer dans un discours :

Si nous regardons l’histoire, [nous voyons que] la guerre a toujours été à l’origine d’une amélioration de l’existence des gens et [de l’état] des pays et des nations. [...] La guerre est certainement terrible [et] nous devrions essayer de ne jamais y arriver, mais pour beaucoup de gens, dans des situations variées, il n’est pas possible de retrouver une dignité humaine sans la guerre. Je voudrais aussi ajouter que la paix en soi, la paix pour la paix, c’est très ennuyeux. Comme l’a dit Mark Twain, pourquoi irais-je au paradis ? Je m’y ennuierais3.

Le fait que Ghasseminejad ait choisi de travailler avec elle sur un projet donne à penser que le principal expert du FDD en Iran entretient des opinions extrémistes similaires. La FDD a nié tout lien organisationnel avec le projet de désinformation en Iran.

Renverser la République islamique

Plus récemment, quand Trump s’est mis à déclarer ne pas vouloir la guerre avec l’Iran, la « fausse opposition » s’est mise à changer de ton... une nouvelle fois. Quand Ghasseminejad écrit en persan, le ton est modéré. Ainsi, il affirme sur Twitter :

Les sanctions vont affaiblir la République islamique. Une pression diplomatique accrue l’affaiblira. Les pressions militaires exercées contre elle dans la région l’affaibliront. Mais aucune de ces mesures ne renversera la République islamique. En fin de compte, c’est à la nation iranienne de la renverser ou de vivre avec elle.

Mais immédiatement après ce tweet, il commente en anglais :

Téhéran voit que ses attaques dans le golfe Arabo-Persique ont conduit Washington à revenir à la négociation et à adoucir le ton ; les dirigeants iraniens remarquent aussi qu’une armée de commentateurs s’efforce de soutenir qu’ils ne peuvent pas être derrière ces attaques. La seule conclusion que Téhéran peut en tirer, c’est que les attaques fonctionnent.

Autrement dit, Washington devrait être encore plus dur avec l’Iran.

Le résultat net des efforts de Saïd Ghasseminejad et d’autres membres de la « fausse opposition » iranienne, en plus d’accéder à des emplois bien rémunérés et à de somptueux budgets, est l’élaboration de faux récits sur l’Iran qui servent leurs pressions vers une confrontation militaire. Ainsi, ils affirment qu’il n’y a pas en Iran d’opposition à Khamenei et aux tenants de la ligne dure, et que la guerre et les sanctions apparaissent donc comme le seul moyen de renverser le régime. Ils prétendent que les modérés et les réformistes soutiennent Khamenei et servent d’« hommes de paille à une mafia religieuse » — une fausse allégation endossée par le secrétaire d’État Mike Pompeo, quand les réformistes et d’autres groupes politiques discutent en Iran d’un éventuel boycott des élections législatives du début de 2020 si elles ne sont pas libres.

Après quelques manifestations éparses en décembre 2017 et en janvier 2018, la « fausse opposition » a fait de fausses déclarations sur l’ampleur du soutien à ces rassemblements, alors que la classe moyenne, moteur du Mouvement vert démocratique (2009-2011) est restée chez elle et n’a pas participé aux manifestations, car elle ne voulait pas que l’Iran devienne la prochaine Syrie. Enfin, les sévères sanctions économiques illégales soutenues par Ghasseminejad et la FDD forcent la véritable opposition iranienne à se battre constamment sur deux fronts : contre les partisans de la ligne dure et Khamenei d’un côté, et de l’autre contre l’effet destructeur des sanctions et la menace des conséquences d’une guerre sur l’économie iranienne et sur leur vie quotidienne.

1NDT. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne.

2Projet de désinformation sur l’Iran de la E-Collaborative Civic Education.

3Mark Twain n’a en réalité jamais dit cela.

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