5 187 €Collectés
8%
65 000 €Objectif
3/47Jours

L’impossible succession de Mahmoud Abbas

Comment le président palestinien se maintient à son poste · Malgré ses 83 ans, son affaiblissement à l’intérieur de la Palestine et la multiplication des critiques à son égard, la position de Mahmoud Abbas ne semble pas menacée. Car son départ ouvrirait une période d’incertitude que tous les acteurs internes et externes craignent.

Depuis que les États-Unis ont décidé il y a quelques mois de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, les contacts permanents entre l’Autorité palestinienne (AP) et l’administration américaine chargée du processus politique sont suspendus. La réunion consacrée à la situation dramatique de la bande de Gaza organisée à Washington avec une vingtaine d’États participants s’est déroulée sans les Palestiniens. La succession de Mahmoud Abbas est devenue un sujet récurrent, alors que les rumeurs sur la dégradation de son état de santé se multiplient. Le président, âgé de 83 ans, a en effet subi une batterie d’analyses lors de sa dernière visite aux États-Unis, au cours de laquelle il a prononcé une allocution devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le 20 février dernier.

Sur le terrain pourtant, la question de la succession n’est pas du tout à l’ordre du jour. Mahmoud Abbas est en parfaite santé — si l’on excepte les maux liés à l’âge —, et ne souffre d’aucune maladie grave qui l’empêcherait de travailler. Surtout, l’intéressé n’y songe pas et ne manifeste pas la moindre intention de s’en aller. Son mandat, qui a légalement pris fin il y a neuf ans, a été reconduit sur décision du Conseil central, l’instance médiane entre le Conseil national palestinien (CNP) et le comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

Signe que cette succession n’est pas d’actualité, aucune date n’a été fixée pour la tenue d’une élection présidentielle. Pour nécessaire qu’elle soit, l’organisation d’un tel scrutin dans un avenir proche se heurte d’ailleurs à de nombreux obstacles, puisque l’aval de l’occupant est indispensable. Or, celui-ci ne le donnera que s’il y a un intérêt, comme ce fut le cas en 1996 lorsqu’il s’agissait de fournir une légitimité populaire aux accords d’Oslo et à ses engagements politiques, économiques et sécuritaires. De même pour l’élection présidentielle de 2005 et les législatives de 2006, qui reconduisaient la légitimité de l’AP et de sa nouvelle direction après l’assassinat de Yasser Arafat. Israël, qui comptait sur le ralliement du mouvement Hamas aux accords d’Oslo, avait cependant vu ses espérances déçues.

La persistance des divisions internes est également un facteur aggravant, car si des élections avaient lieu alors que les institutions de l’AP sont désunies, on pourrait bien assister à une vraie rupture. L’état de mort clinique dans lequel se trouve depuis belle lurette le « processus de paix » vient encore renforcer le caractère irréaliste d’une telle opération, et il est évident que la décision du président Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y transférer l’ambassade de Tel-Aviv dès le mois de mai n’aidera pas à relancer les négociations. De plus, en cas d’élection prochaine, Abou Mazen1 pourrait briguer un nouveau mandat — si tel était le désir de la population —, comme il l’a fait savoir en octobre dernier dans un entretien avec la journaliste égyptienne Lamis Al-Hadidi, en visite dans les territoires occupés.

Le refus du plan américain

La réunion du Conseil national prévue fin avril ne doit pas être perçue comme l’indice d’un départ imminent du président puisque l’objectif est justement de réaffirmer la légitimité de celui-ci et d’élire un nouveau comité exécutif de l’OLP, plus de vingt ans après la dernière session ordinaire du CNP. Plusieurs de ses membres étant décédés ou trop souffrants pour assister aux réunions, le comité exécutif risque en effet de ne plus pouvoir atteindre le quorum si un renouvellement n’intervient pas rapidement. Cette réunion vise également à s’opposer au projet de Trump et aux pressions exercées par Israël et certains milieux arabes sur Mahmoud Abbas pour qu’il se range à leurs vues. Alors qu’elle s’attendait à ce que tout rentre dans l’ordre après un premier mouvement de refus de la part des Palestiniens, l’administration américaine est en effet surprise de constater que, quatre mois plus tard, le président campe toujours sur ses positions. Une attitude pourtant parfaitement naturelle et compréhensible : aucun dirigeant palestinien ne pourrait en effet consentir à liquider ainsi la cause palestinienne moyennant une autonomie — « État » ou pas, avec pour capitale la « Nouvelle Jérusalem » —, et pour centre une bande de Gaza reliée à des morceaux épars de Cisjordanie représentant environ la moitié de la surface du territoire, tandis que Jérusalem et la plus grande partie de la Cisjordanie reviendraient à Israël.

Si Abou Mazen persiste dans son refus, les Américains risquent de passer à la vitesse supérieure et de tout faire pour l’isoler. Ils ont d’ailleurs commencé à prendre le pouls de plusieurs personnalités palestiniennes, invitées malgré le gel des contacts à discuter du processus politique. Ne sachant de quoi demain sera fait, Washington et Tel-Aviv pourraient toutefois se laisser retenir par la certitude rassurante que le président demeure attaché aux engagements des accords d’Oslo, notamment sur le volet de la coopération sécuritaire. La virulence du discours du 19 mars dernier au cours duquel le responsable palestinien a traité David Friedman, l’ambassadeur des États-Unis en Israël, de « fils de chien », témoigne pourtant de la dégradation continue des relations, et l’administration américaine ne manquera pas de trouver là une raison supplémentaire de l’évincer.

Si « la transaction du siècle » a été officiellement reportée à plusieurs reprises en raison du refus persistant des Palestiniens, Washington n’en reste pas moins décidée à la mettre à exécution. La reconnaissance de Jérusalem, le transfert de l’ambassade, la restriction des activités du bureau de l’OLP à Washington, la réduction — voire la suppression — du soutien à l’AP et à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) sont autant de mesures qui attestent de cette détermination. Pour prévenir une possible rupture entre la Maison Blanche et l’AP, l’équipe américaine chargée du dossier aurait, selon des sources concordantes, entrepris de reformuler le plan dans l’espoir de le faire accepter par les Palestiniens ou du moins d’amener ceux-ci à négocier.

Une succession problématique

La question de la succession du président revêt une importance particulière du fait que le Conseil législatif chôme depuis de longues années. Normalement, la vacance de la présidence — qu’elle soit due à un décès, un assassinat, une démission ou une maladie grave — entraîne automatiquement l’intérim du président de l’Assemblée pour une période de 60 jours durant lequels est organisée une élection, conformément à l’article 36, alinéa 2, de la Loi fondamentale. Mais l’inactivité de cette Assemblée, qui ne s’est pas réunie depuis des années, a engendré une crise constitutionnelle.

Les élus du Hamas et du bloc de l’ex-membre du Fatah Mohamed Dahlan, qui considèrent pour leur part que l’Assemblée fonctionne, sont partisans de la mise en œuvre des dispositions de la Loi fondamentale en cas de vacance de la présidence et appellent à agir de la même façon qu’au lendemain de l’assassinat du président Yasser Arafat, lorsque Raouhi Fattouh avait assumé l’intérim jusqu’à la tenue des élections.

Soutenue par le Fatah, qui contrôle les diverses institutions, et ses alliés, l’Autorité estime quant à elle que le mandat du Conseil législatif n’est plus valide et s’oppose donc à ce que le dirigeant de l’instance assure l’intérim le cas échéant. Après le dernier discours présidentiel, il se pourrait d’ailleurs que la Cour constitutionnelle prononce la dissolution de l’Assemblée législative.

Si une réconciliation intervenait entre les différentes parties, le problème de la succession serait bien sûr résolu, car le Conseil législatif pourrait tenir une session en vue d’élire une nouvelle direction. Mais le président, qui a compétence pour convoquer l’Assemblée, se refuse à le faire tant qu’il n’a pas la garantie qu’aucune décision ne sera prise sans accord préalable entre les parties. Le Hamas et ses alliés disposant d’une majorité confortable qui leur donne la maîtrise de la situation, la tenue d’une session légale est donc totalement exclue.

Les différents acteurs locaux et étrangers sont, pour des raisons diverses, d’accord pour que le président Abbas reste en fonction jusqu’à ce que sa succession soit organisée. Ce point est d’une importance capitale : si son départ intervenait sans que l’on sache qui lui succède, ce serait la porte ouverte à toutes les éventualités, y compris l’effondrement de l’Autorité et l’apparition d’un vide auquel nul ne saurait remédier. Mais puisque personne ne dispose d’un soutien suffisant pour remporter la présidence, il a pour l’instant toutes les chances de rester au pouvoir.

Candidatures risquées

Les dirigeants du Fatah et de l’Autorité susceptibles de se porter candidats sont en fait relativement nombreux, ce qui, en l’absence d’un mécanisme juridique unanimement reconnu, risque d’engendrer une situation de désordre et d’instabilité sécuritaire. La lutte pour le pouvoir pourrait ainsi emporter l’AP et le reste car le choix du futur président dépend de nombreux facteurs, à l’intérieur comme à l’extérieur.

À l’intérieur, le Hamas tient d’autant plus à participer à cette élection qu’avec le plan de Trump favorable à Israël, la cause palestinienne traverse une phase particulièrement délicate. En effet, le projet du président américain n’est pas le fruit d’un processus politique négocié et il ne se trouvera aucune direction représentant les Palestiniens pour approuver ce qu’on tente d’imposer de force.

À l’extérieur, Israël a largement les moyens d’influer sur les chances de certains candidats. Ainsi, le très populaire Marouane Barghouti, actuellement détenu dans ses geôles, risque fort de ne pas pouvoir se présenter. Et s’il l’emportait malgré tout, comment pourrait-il exercer ses fonctions derrière les barreaux ?

Plusieurs pays arabes et puissances régionales et internationales — notamment les États-Unis — sont également en mesure de peser sur la succession. Et, répétons-le, l’attachement du président aux accords d’Oslo, notamment sur le volet sécuritaire, représente une véritable assurance qui réduit l’urgence de son départ.

Reste le cas Mohamed Dahlan, soutenu par certains pays arabes — et autres — et présenté comme favori. Ce qui semble très exagéré : on voit mal comment il pourrait être candidat alors qu’il a été exclu du Fatah, où le rôle ambigu qu’il a joué par le passé lui a valu l’hostilité non seulement de Mahmoud Abbas, mais également d’une majorité conséquente de dirigeants. Sans base politique et populaire solide et sans programme sérieux, il n’envisage pas de créer un nouveau parti.

« Mater la direction palestinienne »

Le sort du président dépend donc étroitement du plan Trump. Celui-ci sera-t-il totalement abandonné — ce qui paraît exclu — ou alors amendé de façon à permettre une désescalade du côté de Mahmoud Abbas — ce qui ne sera pas aisé sans la paix —, ou encore mis en œuvre, officiellement ou non ? L’administration américaine semble en tout cas résolue à s’imposer sur le terrain et à mater la direction palestinienne, quitte à la remplacer si elle se montre récalcitrante. Pour y parvenir, Washington pourrait au besoin faire appel à certains pays arabes qui ont fait de la lutte contre le péril iranien leur priorité. Il sera pourtant extrêmement malaisé d’écarter la direction actuelle, surtout si celle-ci, non contente d’opposer un refus verbal au projet américain, adopte un plan d’action global à même de le faire échouer. Pour l’instant, elle semble toutefois privilégier l’attentisme et vouloir reprendre les négociations au sein d’un mécanisme multilatéral dans le cadre d’une conférence internationale (ou sous l’égide de l’ONU). C’est ce qu’a signifié Abou Mazen — bien qu’il sache que les chances de réussite sont très limitées, pour ne pas dire nulles. L’essentiel étant de gagner du temps en espérant l’apparition de nouveaux éléments.

À supposer qu’en cas de vacance une entente nationale intervienne au sein du Fatah et de l’OLP, il serait alors possible de recourir à celle-ci pour qu’en sa triple qualité de représentant légal du peuple palestinien, de référence politique et de fondateur de l’Autorité, elle choisisse un président permanent ou provisoire de l’Autorité/État au sein ou en dehors du conseil exécutif, en attendant la tenue des élections. Il existe également la possibilité de se tourner vers la Cour Constitutionnelle, qui a été créée pour parer au vide. Mais l’instance étant elle-même en proie à de graves dissensions, ce ne serait pas la meilleure option.

Au sein du Fatah, l’idée fait son chemin d’une répartition des attributions présidentielles entre le Fatah, l’Autorité/État et l’OLP. Une formule qui aurait peut-être le mérite d’atténuer l’âpreté des rivalités, mais pourrait aussi se révéler funeste en l’absence d’une réelle union nationale. Sans consensus fort basé sur le partenariat, le pluralisme et une stratégie politique et militante fédératrice, le partage des pouvoirs ne ferait en effet qu’aggraver les clivages et fragiliser des institutions déjà bien affaiblies.

1NDLR. Nom de guerre de Mahmoud Abbas.

Soutenez Orient XXI

Orient XXI est un média gratuit et sans publicité.
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don défiscalisé.