Conférence internationale

La Coalition nationale syrienne minée par ses parrains étrangers

La Coalition nationale syrienne (CNS) se déchire pour savoir s’il lui faut ou non participer à la conférence « Genève II » avec le régime syrien. Ses divisions sont la traduction des rivalités entre les États qui la soutiennent.

Obama et Poutine discutant sur une carte de la Syrie sous le regard de refugiés syriens.
Street art (Eduardo Relero) devant le siège des Nations unies à New York lors d’une manifestation d’Oxfam, 25 septembre 2013.

La plus grande faiblesse de l’opposition syrienne réside dans ses relations extérieures, avec les États qui la soutiennent. Ces appuis sont pourtant censés faire sa force, mais ils ont déclenché une dynamique néfaste qui entame la crédibilité de l’opposition. Ce paradoxe est rarement apparu aussi évident qu’à l’heure actuelle, au moment où la Coalition nationale syrienne (CNS), le principal rassemblement de mouvements d’opposition, peine à répondre aux pressions de puissances rivales et à décider si elle doit ou non participer à la conférence « Genève II » aux côtés de représentants du régime.

Les liens de la CNS avec les puissances régionales ou occidentales qui la soutiennent ne sont pas seulement une affaire de relations internationales. Ces influences extérieures ont présidé de façon organique à la création de la Coalition, et elles restent au cœur de sa raison d’être. Il fallait s’y attendre, au moins en partie. Quatre décennies d’oppression sous les Assad ont empêché l’apparition de toute forme de solution de rechange à l’intérieur du pays. Les élites qui ont créé l’opposition au début du soulèvement manquaient totalement de base politique. Elles n’ont pu se prévaloir d’un soutien populaire. Les groupes locaux de militants qui ont émergé lors des premiers mois de l’insurrection n’ont pas été capables de développer des réseaux nationaux. Leur influence s’est érodée au fur et à mesure de la militarisation du conflit et d’une prolifération de factions armées qui donne le vertige. En l’absence de tout autre moyen pour mesurer le poids politique des mouvements, c’est le soutien de l’étranger qui est devenu le facteur décisif pour la distribution du pouvoir au sein de la Coalition, créée en novembre 2012. Pour les militants qui ont donné le feu vert à l’établissement de la CNS, son rôle était d’obtenir un soutien politique et militaire international au renversement de Bachar Al-Assad, et non de diriger l’insurrection sur le terrain.

Résultat, la géographie de la CNS a été tracée au gré des appuis d’États étrangers. Ces soutiens extérieurs sont devenus la première monnaie d’échange politique. Les blocs rivaux à l’intérieur de la Coalition se sont servis de leurs protecteurs étrangers pour avoir le dessus dans les débats internes. Et à l’inverse, les désaccords et la compétition entre États parrains ont eu des répercussions à l’intérieur de la CNS. Ces dynamiques sont apparues particulièrement évidentes — et néfastes — lors de l’élection d’un premier ministre provisoire en mars 2013. Un bloc puissant, dirigé par Moustapha Sabbagh, un homme d’affaires appuyé par le Qatar, a fait alliance avec un autre groupe mené par les Frères musulmans pour élire un candidat peu connu, Ghassan Hitto. Au grand dam des indépendants laïques de la Coalition et de l’Arabie saoudite. Tous ont craint de voir une alliance d’islamistes modérés soutenue par le Qatar mettre la main sur l’opposition politique.

La riposte de l’Arabie saoudite

La riposte des Saoudiens a été agressive. Ils ont refusé de soutenir Hitto et appuyé la formation d’un nouveau bloc politique par le dissident laïque Michel Kilo, tout en s’alliant à la France et aux États-Unis pour presser la CNS de s’élargir. Ainsi Riyad a modifié en sa propre faveur l’équilibre régional au sein de la Coalition et fait avorter l’installation de Hitto comme premier ministre. Mais ces luttes de pouvoir géopolitiques et régionales dans l’opposition ont surtout constitué une énorme diversion. Elles ont dominé l’emploi du temps de la CNS pendant des mois, l’empêchant de progresser sur tous les autres fronts. La Coalition a attendu septembre 2013 pour élire un nouveau premier ministre. Et début novembre, plus de sept mois après l’élection de Hitto, elle n’avait pas avancé d’un pas vers le but qui justifie tout ce processus : nommer des ministres provisoires chargés de superviser l’aide aux régions tenues par les rebelles.

À présent, plutôt que de réfléchir sérieusement à la façon dont elle pourrait commencer à jouer un rôle efficace sur le terrain, la Coalition s’enlise dans la dernière diversion géopolitique en date, l’offensive diplomatique américano-russe en faveur de la conférence dite « Genève II ». Certes, l’objectif est noble. En définitive, la meilleure chance de mettre fin à cette guerre désastreuse que personne ne peut gagner, c’est de trouver une solution politique. Mais en faisant ouvertement pression sur la CNS pour qu’elle participe aux pourparlers, les États-Unis n’ont obtenu pour le moment qu’un seul résultat, celui de diminuer un peu plus la crédibilité de la Coalition, déjà très faible, à l’intérieur de la Syrie.

En décidant, au mois de septembre, d’annuler de facto leur menace d’opérations militaires en échange de la fin du programme d’armes chimiques du régime, les États-Unis ont conclu un marché qui a écarté l’une de leurs plus grandes inquiétudes. Mais cet arrangement a laissé les mains libres au régime pour se livrer à une escalade dans la guerre conventionnelle contre les communautés favorables à l’opposition. Le marchandage a conduit l’opposition à s’interroger plus encore sur la pertinence de la Coalition. Cette dernière présentait sa capacité à obtenir le soutien des Occidentaux comme sa principale valeur ajoutée. Après le regain de respectabilité internationale du régime dû à l’accord sur le désarmement chimique, la fermeté renouvelée de Moscou dans son soutien à Damas et le scepticisme proclamé de l’Arabie saoudite, premier allié des opposants, la base de l’opposition a déjà tiré ses propres conclusions : elle considère largement Genève II comme une entreprise destinée à restaurer la légitimité du régime plutôt qu’à négocier son remplacement.

La position du régime ne les fera pas changer d’avis. Damas refuse d’emblée de négocier sur les bases, pourtant annoncées, du communiqué de Genève de juin 2012. Celui-ci prévoyait un organisme de transition approuvé par les deux parties et doté des pleins pouvoirs exécutifs1 L’attitude de la Russie ne rassure pas non plus les opposants. Moscou n’a donné que peu d’indications sur sa volonté — ou sa capacité — de faire pression sur le régime de Damas pour qu’il accepte une véritable transition politique.

Des groupes armés de l’intérieur refusent Genève II

À l’heure actuelle, en vue des pourparlers de Genève II, la Coalition paraît se trouver face à une alternative peu engageante. Si elle refuse de participer, elle apportera au régime syrien et aux alliés de Damas un succès de relations publiques et elle mettra à mal ses propres liens avec Washington. L’alliance américaine reste pourtant le principal pilier de l’influence de la Coalition ou de ce qu’il en reste. Mais, d’autre part, si la CNS accepte de prendre part à Genève II, elle portera un coup peut-être fatal à sa crédibilité auprès de la base de l’opposition, surtout dans la mesure où des groupes militants de première importance ont récemment publié des communiqués condamnant explicitement Genève II et toute personne qui y participerait. En particulier la déclaration publiée le 26 octobre par vingt-et-un groupes armés, parmi lesquels des factions puissantes telles que Liwa al-Towhid, Suqour al-Sham, Jaish al-Islam and Ahrar al-Sham :

‫بيان القوى والفصائل الثورية في الداخل تسقط مؤتمر جنيف 2‬&lrm - YouTube
Déclaration des forces et des factions révolutionnaires concernant la conférence de Genève II.

Du point de vue de l’opposition, le problème posé par Genève II ne réside pas dans le concept d’une conférence débouchant sur une transition politique. Le problème, c’est le scepticisme largement partagé sur ses chances de succès. Les alliés occidentaux de l’opposition ne devraient pas se fixer comme priorité de traîner la Coalition à la table des négociations, mais plutôt de faire en sorte que cette table ait des pieds pour tenir debout. Les ressources diplomatiques américaines, concentrées en ce moment sur la CNS, seraient mieux employées à Moscou, pour obtenir des Russes des indications précises sur leurs intentions. Pour savoir s’ils sont prêts à pousser le régime syrien vers un compromis, maintenant qu’une frappe militaire imminente n’est plus à l’ordre du jour. Si la Russie continue à garder le silence alors que Bachar Al-Assad réduit à la famine des quartiers pro-opposition situés à quelques kilomètres seulement de son bureau, il semble qu’il n’y aura pas grand-chose à discuter à Genève.

1Le communiqué de Genève détaillait le consensus obtenu à l’issue d’une rencontre entre les ministres des affaires étrangères des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie), plus ceux de l’Irak, du Koweït, de la Turquie et du Qatar. Le texte ne se prononçait pas explicitement sur le sort de Bachar Al-Assad. Les interprétations diffèrent. Les États-Unis estiment que le texte interdit de facto la participation d’Assad à la transition (puisque l’opposition ne l’accepterait probablement jamais) tandis que la Russie refuse de déterminer à l’avance le sort du président syrien. Le texte intégral est disponible sur le site des Nations unies.

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