Répression, menaces climatiques. Les impasses de la COP27

La Syrie en état de choc climatique

Inondations, sécheresse, incendies, désertification : le réchauffement climatique a des conséquences dramatiques en Syrie. Il renforce l’exode rural, la concentration urbaine, et entraine une aggravation de l’insécurité alimentaire. La guerre a en outre aggravé les effets d’un dérèglement climatique déjà à l’œuvre dans les années 2000 et qui n’était pas sans lien avec le soulèvement de 2011.

Troupeau de chèvres cherchant de la nourriture au barrage de Doueisat (Duwaysat) presque complètement asséché, près de la ville d’Al-Diriyah, dans la province d’Idlib (novembre 2021)
Abdulaziz Ketaz/AFP

En juillet 2022, la Syrie a enregistré une hausse des températures de cinq degrés par rapport à la moyenne annuelle habituelle, selon les statistiques du Centre météorologique. La ville d’Hassaké (nord-est du pays) a enregistré un pic de 44 °, contre 33 ° à la même période en 2010. Ce chiffre était lui-même supérieur de deux degrés à celui de juillet 2008, ce qui indique une accélération du réchauffement. Sur la côte de Lattaquié, ville pourtant réputée pour son climat tempéré, la température a atteint 40 °.

Parallèlement, une tempête a frappé les côtes syriennes fin juin 2022, faisant de nombreuses victimes et d’importants dégâts matériels. Des tempêtes de poussière ont également soufflé sur l’est du pays en juillet, et leur impact a atteint la capitale Damas et au-delà, jusqu’à Soueïda et Tartous (nord-ouest).

Entre 2008 et 2011, la Syrie a connu de fortes périodes de sécheresse, qui se sont accompagnées d’une augmentation du taux d’évapotranspiration1, du fait de la hausse des températures. D’un autre côté, l’ONU met en garde depuis 2021 contre les hivers rudes que vont connaître les Syriens. Selon l’ONG Care International, si la baisse des températures et les chutes de neige ne sont certes pas inhabituelles pour le pays, le changement climatique a rendu la situation encore plus critique ces dernières années.

Le grenier du pays touché par la désertification

La Syrie a connu en 2021 sa pire année de sécheresse depuis 70 ans, selon le ministre de l’agriculture Hassan Katna. Le constat est moins alarmiste pour la Commission européenne qui parle de la pire année de sécheresse depuis 25 ans, affirmant néanmoins que les choses n’iront pas en s’améliorant.

La sécheresse a notamment touché les régions d’Al-Jazira (Hassaké, Rakka et Deir Ezzor), qui représentent le tiers de la superficie du pays et en sont le grenier. Leurs productions de blé, d’orge et de coton, ainsi que leurs millions de têtes de bétail et leurs sources d’eau sont essentiels. Dans un rapport de la mi-mai 2022, l’ingénieur Mohamed Al-Khadhli, directeur du département d’agriculture de Rakka — rattaché à Damas — confirme que la désertification a commencé à envahir de vastes zones de la région en raison du manque de pluie, et que les récoltes y seront très mauvaises en 2022. La plupart des cultures n’ont pas germé. Il précise que « le centre-ville de Rakka a enregistré 80 mm de précipitations l’hiver dernier (2021), tandis qu’elles étaient de 208 mm en 2019 ».

Des centaines de puits et de réservoirs de surface et souterrains ne sont plus en activité, et la situation est aggravée par les coupures d’électricité et le manque d’entretien des pompes, ce qui entraîne l’abandon d’une grande partie des zones irriguées cultivées. Sécheresse et dérèglement des températures conduisent également à la mort des troupeaux, clairement observée dans le sud de la Syrie (Soueïda et Deraa). Incapables de nourrir leur bétail, les éleveurs finissent par le brader.

Dans la région d’Al-Jazira, la sécheresse a également provoqué la baisse du niveau de l’Euphrate, considéré comme l’artère vitale de la Syrie, aggravée par la multiplication des barrages turcs aux sources du fleuve. La quantité d’eau entrant en Syrie a sévèrement chuté : elle est aujourd’hui de 200 mètres cubes/seconde (m3/s), au lieu de 500 m3/s, avec pour conséquence la désertification de certaines régions. Selon nos informations, pas moins de 100 villages comptant chacun entre 1 000 et 5 000 habitants ont été abandonnés cette année dans la région d’Al-Jazira. D’autres ont vu leur population se réduire comme peau de chagrin.

La sécheresse, la pollution et l’utilisation de l’eau à d’autres usages que ceux de la consommation limitent l’accès à l’eau potable dans la plupart des régions. C’est notamment le cas dans les villages proches de la source Al-Sen, l’une des plus prolifiques de la côte. Les habitants y achètent un réservoir d’eau potable de 750 litres pour plus de 35 000 livres syriennes (8 euros).

Sur le plan agricole, la désertification touche la production de blé. Les zones administrées par Damas ont produit cette année 520 000 tonnes de blé, selon un communiqué mi-septembre du premier ministre syrien Hussein Arous. Quant aux zones d’Al-Jazira sous le contrôle de l’Administration autonome de l’est et du nord de la Syrie (Aanes), la production y a été d’environ 400 000 tonnes. La Syrie a besoin cette année de 2,3 millions de tonnes de blé. La production de cet aliment de base a connu une baisse de près d’un million de tonnes en 10 ans, puisque le pays produisait 2 millions de tonnes de blé en 2010.

L’hiver de 2019 a été marqué par des inondations et de fortes pluies dans le nord-ouest du pays et sur la côte, détruisant les cultures d’automne et d’hiver, en particulier celle des légumes. Elles ont aussi endommagé les camps de déplacés à l’intérieur du pays, et coupé les routes qui y menaient. Une partie de la population s’est trouvée obligée d’acheter la nourriture qu’elle produisait jusque-là. À Idlib, les températures en dessous de zéro ont poussé la population à abattre des arbres pour se chauffer, en l’absence de tout soutien gouvernemental. À partir de 2020, les inondations se sont transformées en sécheresse. Celle-ci menace la vie de 20 millions de Syriens qui peinent à avoir accès à l’eau et la nourriture. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), 12,4 millions de Syriens souffrent actuellement d’insécurité alimentaire, soit 4,5 millions de plus que l’année dernière.

Les déchets des raffineries dans l’Oronte

Selon l’ONU, « les causes les plus importantes du changement climatique sont les combustibles fossiles — le charbon, le pétrole et le gaz —. […] Ils représentant près de 90 % de toutes les émissions de CO2, et plus de 75 % des émissions de gaz à effet de serre ». En Syrie, il existe une raffinerie de pétrole dans la région d’Homs, une autre à Banias (sur la côte), ainsi que des centrales thermiques fonctionnant au gaz et au fuel. Leur contribution globale aux émissions de carbone de la planète est minime, puisque celles-ci étaient estimées en 2018 à environ 25 000 kg de CO2 selon le site Country Economy, tandis que les émissions mondiales de carbone étaient estimées la même année à 53,5 milliards de tonnes de CO2, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).

Malgré ces faibles chiffres, l’effet est réel sur la population. La raffinerie de la région d’Homs, construite en 1959, provoque de fortes précipitations de pluies acides dans son périmètre, avec une moyenne qui dépasse celle des précipitations de la ville d’Homs. La raison en est que

les polluants qui sont dans l’atmosphère condensent les gouttes de pluie autour d’eux. De plus, les cheminées de la raffinerie n’ont pas de filtres, et par conséquent, les produits de la combustion du pétrole sont rejetés directement dans l’atmosphère. Malgré la mise en place d’unités de distillation, la part des émissions demeure importante,

explique un ingénieur qui travaille à la raffinerie et désire garder l’anonymat. La raffinerie déverse également ses déchets dans l’Oronte, rendant son eau impropre à la consommation.

La raffinerie de pétrole et la centrale thermique de Banias fonctionnent toutes les deux au fioul. Elles ont été construites dans les années 1970, et les technologies dont elles sont équipées ne suffisent pas pour gérer les problèmes d’émission de carbone. À cause de la suie noire qui flotte dans l’air depuis quatre décennies, les villages voisins se sont transformés en foyer de maladies pulmonaires et respiratoires. On y enregistre également la disparition d’arbres fruitiers comme les figuiers et les abricotiers, et une augmentation des maladies de l’olivier, ainsi que la raréfaction de certaines espèces d’oiseaux, comme la perdrix. Les plages de la côte ne sont pas en reste. En 2021, 2 000 tonnes de carburant se sont déversées depuis l’un des réservoirs de la station thermale sur les plages, et la nappe de pétrole est arrivée jusqu’aux côtes chypriotes.

La disparition des forêts

La guerre et l’usage de différents types d’armes — notamment les bombes et les barils explosifs, voire des obus à uranium radioactif — ont également eu des conséquences sur l’augmentation de la pollution climatique et des températures. En plus de la destruction de villes et de villages, elle a également dévoré la végétation, pollué les sources d’eau et le sol, et déplacé des millions de personnes. De nombreuses forêts et terres boisées ont été abattues pour le chauffage et la cuisine. La superficie des zones forestières est de moins de 1 % aujourd’hui, ce qui a des conséquences sur la qualité de l’air, les précipitations, la température et l’accès à l’eau. Des cas de choléra ont été recensés dans la région d’Alep, à cause de la pollution de l’eau. En outre, les djihadistes syriens proturcs qui contrôlent la zone entre Tal Abyad et Serekeniye ferment régulièrement le robinet à Serekeniye, provoquant ainsi une grave crise et pénurie d’eau dans toute la zone entre Qamishlo et Hassaké. Là aussi, des cas de choléra ont été signalés.

Sans exclure la menace représentée par l’augmentation de l’activité humaine, le changement climatique se traduit également par la multiplication des incendies de forêt. En 2020 et 2021, la côte, dernière zone forestière du pays, a connu une vague d’incendies qui a consumé plus de 9 000 hectares d’oliviers et d’arbres fruitiers et forestiers, et certains villages ont dû être évacués.

Comme à leur habitude, les Syriens ont passé des mois à se demander qui était derrière ces incendies, et si la cause était humaine ou « naturelle », d’autant que la télévision d’État a diffusé un reportage montrant de supposés pyromanes arrêtés par les forces de l’ordre. Mais la Syrie n’était pas une exception, des incendies ayant touché ce même été plusieurs pays de la région, dont la Turquie et la Grèce. Ces feux contribuent à leur tour au dérèglement climatique, menaçant la vie de plusieurs espèces animales et végétales.

La priorité donnée à l’économie de marché aux dépens de l’agriculture (et de l’industrie) depuis le début des années 1990, l’indifférence qui a entouré les épisodes de sécheresse sévère dans les régions du nord-est de la Syrie entre 2005 et 2010, le peu de cas qui a été fait de la vie des gens — voire la suspension de l’aide qui leur était apportée —, tout cela a conduit à des migrations massives. L’entassement d’une population pauvre dépourvue des moyens nécessaires de survie dans les quartiers périphériques des villes a été l’un des facteurs de l’explosion de 2011. L’exode rural et le déplacement des populations provoqués par la guerre n’ont depuis fait qu’aggraver la situation provoquée par les conséquences du réchauffement climatique.

1Processus par lequel l’eau liquide terrestre est renvoyée dans l’atmosphère environnante sous forme gazeuse.

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