Le leurre de la « réconciliation » entre le Fatah et le Hamas

Quand la Palestine échappe aux Palestiniens · L’offensive israélienne contre Gaza et contre le Hamas accusé sans preuve d’être responsable de l’enlèvement et finalement de l’assassinat de trois jeunes Israéliens en Cisjordanie est la dernière manifestation de l’occupation des territoires. Mais, plus grave encore, on assiste depuis une décennie maintenant à une « dépalestinisation » de la Palestine, un processus que l’entente entre le Fatah et le Hamas n’enrayera pas.

Rencontre entre Khaled Mechaal et Mahmoud Abbas à Doha.
Presstv, 5 mai 2014 (copie d’écran).

Le 23 avril dernier, un énième accord de « réconciliation » (musâlha) entre le Hamas et le Fatah était signé dans le camp de Chati (nord de la ville de Gaza) qui lui donnait son nom1. Le 2 juin, un cabinet « d’entente » (tawâfuq) chargé de préparer la tenue d’élections présidentielle et législatives dans les six mois prêtait serment devant le président Mahmoud Abbas2.

L’examen des conditions qui ont conduit autant à la division qu’à « l’entente » m’amène à considérer que la « réconciliation » n’est qu’un leurre. Simple subterfuge, il a été adopté par ses signataires sur la base d’une convergence conjoncturelle d’intérêts organisationnels, mais en l’absence d’un rapprochement politique de fond ou même de la volonté de parvenir à un accord qui ne soit pas le fruit de l’assujettissement de l’autre3. Les exigences sécuritaires de l’Égypte, pour laquelle compte en priorité le retour sur sa frontière de forces de sécurité « libérées » du Hamas, constituent très vraisemblablement le véritable instigateur de cette « réconciliation ».

Retour sur la division

Officiellement, l’accord de Chati est censé mettre un terme à la division intervenue en juin 2007, laquelle a donné lieu à l’éclatement de l’Autorité palestinienne (AP) intérimaire en deux parties, l’une en charge des parties autonomes de la Cisjordanie avec le soutien de l’OLP et des donateurs internationaux et l’autre, sous l’égide du Hamas, en charge de la bande de Gaza soumise à un blocus israélien, égyptien et international.

Cette division constituait l’ultime conséquence du refus de la coalition constituée des États-Unis et de leurs alliés sur la scène internationale, de la présidence palestinienne et du mouvement Fatah de se soumettre au verdict des urnes exprimé en janvier 2006. Dans une sorte de préfiguration des « printemps arabes » intervenus 5 ans plus tard, l’électorat avait alors accordé la majorité absolue des voix et des sièges du Conseil législatif palestinien (CLP) au Hamas, l’opposant du Fatah, le détenteur historique du pouvoir en Palestine. Un an plus tard, en dépit de la mise en place d’un cabinet d’union nationale dont le principe avait été négocié à La Mecque sous les auspices de l’Arabie saoudite (8 février 2007), le Fatah, emmené par l’ancien chef de la sécurité préventive de Gaza et responsable Mohammed Dahlan préparait avec les États-Unis un putsch visant à accorder le contrôle exclusif de la sécurité de la bande de Gaza aux forces liées à la présidence et au Fatah4.

Une fuite dans la presse israélienne avait logiquement conduit le Hamas à anticiper l’opération et à défendre par les armes les prérogatives qui lui revenaient par les urnes. Abbas, en retour, avait proclamé l’état d’urgence. Il s’octroyait ainsi à lui-même et à une succession de cabinets dépourvus de toute investiture législative l’administration exclusive de la Cisjordanie autonome et la « communauté internationale » se rangeait à ses côtés. La bande de Gaza, quant à elle, se voyait soumise à un blocus amplifié. L’Iran, allié déjà ancien de Hamas, et le Qatar en pleine ascension diplomatique avec son soutien accordé aux mouvements issus des Frères musulmans de par le monde, se voyaient amenés à devenir les principaux bailleurs de fonds de l’AP de Gaza en charge de 1,7 million de personnes, lui accordant également un soutien politique et — dans le cas de l’Iran — une assistance militaire.

La persistance de la « dépalestinisation »

La division de 2007, en réalité, ne constituait que l’ultime développement de ce que j’ai désigné du vocable de « dépalestinisation »5. Ce processus prenait le chemin inverse de la « palestinisation »6 de l’identité de la population comme des domaines politique et militaire menée dans le cadre de l’OLP depuis les années 1960. La « palestinité » servait également de cadre d’action au Hamas qui inscrit exclusivement son action dans les limites de la Palestine historique, à la différence des mouvements islamistes internationalistes.

L’échec prolongé de la lutte de libération et du projet étatique constitue à n’en pas douter la principale cause de l’érosion de l’entente nationale. Ces dernières années, en effet, le recours aux médiations arabes (Arabie saoudite, Égypte, Qatar, Yémen) ou autres (Turquie, Iran), tour à tour ou de manière concomitante, devenait la règle pour tenter — en vain — de résoudre les tensions intra-palestiniennes. Un retour des politiques de tuteurs s’esquissait également sur la scène diplomatique : le président Abbas et le Fatah, tout entiers dévolus à la pérennisation de « leur » Autorité, accordaient leur confiance aux États-Unis ou à l’Égypte de Hosni Moubarak puis à celle d’Abdel Fattah Al-Sissi quand Ismaël Haniyeh, le premier ministre de Gaza leur préférait le Qatar, l’Égypte de Mohamed Morsi et l’Iran. La Palestine redevenait ainsi la caisse de résonance d’intérêts arabes et internationaux contradictoires, comme cela fut le cas avant 1967 à travers l’OLP de la Ligue arabe et dans les années 1970 et le début des années 1980 à travers certaines organisations palestiniennes, simples mandataires d’États de la région.

L’OLP, quant à elle, était devenue inaudible, dotée d’un leadership fossilisé et phagocytée par l’AP et par Yasser Arafat lui-même. Même l’obtention en 2012 du statut d’État non membre de l’ONU échouait à masquer la désillusion populaire et l’absence de tout consensus sur la stratégie à adopter pour obtenir la souveraineté qui faisait totalement défaut à l’État de Palestine proclamé en 1988 et détenteur de ce nouveau statut.

En dépit de sa prétention à formaliser l’unité palestinienne retrouvée, l’accord de Chati s’inscrit en réalité doublement dans la logique de la dépalestinisation. Signé dans le cadre d’une intervention de l’Égypte de Al-Sissi (même si les Égyptiens étaient physiquement absents), il fait référence aux accords qui l’avaient précédé7, lesquels avaient tous été également signés sous intervention extérieure sans jamais avoir été suivis d’effets. Par ailleurs, réduit à la mise en place d’un cabinet d’entente et à la rengaine d’engagements généraux déjà anciens et jamais concrétisés concernant la réactivation et la réforme de l’OLP, l’accord n’est en rien le fruit d’un programme politique unitaire8.

Une convergence conjoncturelle d’intérêts particuliers

L’accord de Chati, en effet, n’est que la traduction d’une convergence circonstancielle d’intérêts propres aux deux mouvements dans le contexte des exigences sécuritaires égyptiennes.

Le Hamas était activement demandeur d’un accord depuis plusieurs mois déjà. L’AP de Gaza avait ainsi récemment libéré des prisonniers membres du Fatah, amnistié ses membres les plus en vue impliqués dans les violences de 2007 et autorisé certains de ses leaders de Cisjordanie à se rendre dans la bande de Gaza. Ses raisons sont assez facilement identifiables, même si l’ampleur des concessions accordées au Fatah et à la présidence a suscité, semble-t-il, un âpre débat au sein même du mouvement9. Le Hamas, en effet, se trouvait de plus en plus isolé sur la scène régionale du fait de ses réalignements diplomatiques adoptés en 2011-2012, à l’époque où le Qatar et les Frères musulmans étaient triomphants dans le cadre des « printemps arabes ».

L’Iran lui faisait payer la prise de distance vis-à-vis du régime de Bachar Al-Assad en Syrie, laissant même ces toutes dernières semaines l’AP de Gaza exsangue financièrement. Le gouvernement égyptien issu du coup d’État de juillet 2013, quant à lui, renforçait son blocus, au nom de la lutte forcenée contre les Frères musulmans, égyptiens et autres. La conjugaison des deux éléments rendait la situation économique des Gazaouis toujours plus pénible d’autant plus que l’AP se montrait ces derniers temps incapable d’assurer le traitement de ses fonctionnaires. Le risque d’explosion sociale contre l’AP devenait une hypothèse vraisemblable, le blocus ne pouvant éternellement l’exonérer de toute responsabilité, alors même qu’aucun bouleversement de la conjoncture diplomatique n’était à attendre à court terme10. En acceptant le retour de la Garde présidentielle sur la frontière avec l’Égypte, le Hamas pouvait espérer la réouverture du passage de Rafah, unique poumon de la bande de Gaza, laquelle n’avait connu que 14 jours de fonctionnement depuis le début de l’année. La réunification des fonctions publiques, quant à elle, était censée faire dorénavant porter la responsabilité de l’entretien de celle de Gaza à Ramallah et ses donateurs.

Le Fatah — soumis en la matière à Abbas — se refusait de son côté à concrétiser les accords signés au Caire depuis la chute de son allié Moubarak. Omar Suleiman, son chef du renseignement militaire en charge du dossier palestinien et grand pourfendeur de Frères musulmans, avait veillé à l’époque à imprimer sa marque dans les négociations en favorisant le Fatah ; tel n’était plus le cas, bien sûr, avec Morsi, même si ce dernier n’a jamais été « vendu » au Hamas, comme le prétend maintenant le régime qui lui a succédé. Dans l’hypothèse où il se serait agi d’un engagement déterminé de Ramallah sur le long terme, les raisons de sa brusque volte-face – l’accord de Chati a été signé au terme de seulement deux jours de réunions — resteraient bien obscures.

Le fait que le « parrain » in absentia de l’accord soit le maréchal Al-Sissi apporte un tout autre éclairage. Abbas lui avait fait allégeance dès le coup d’État. Lui qui affiche une haine farouche des Frères musulmans en Égypte comme ailleurs n’avait de cesse depuis lors d’appeler au renversement du Hamas, exigeant à tout le moins le retour de forces présidentielles sur sa frontière. Au même moment, la fin des négociations menées avec Israël sous ombrelle américaine (programmée pour le 29 avril) sans résultat imposait sa propre actualité, d’autant plus que la colonisation ne connaissait nulle trêve. Sur le moment, je me suis demandé si la signature de l’accord ne constituait pas une simple manœuvre sur le court terme, visant à obtenir des États-Unis et d’Israël de quoi pouvoir accepter sans perdre la face la prolongation des négociations souhaitée par les Américains11. Cette tactique était d’autant plus facile à mener que le Hamas se montrait prêt à nombre de concessions et que l’Égypte y poussait. Force est de constater deux mois plus tard que ni Israël ni les États-Unis n’ont accordé à la poursuite de la négociation un prix qui aurait amené le premier à faire des concessions et les seconds à exercer des pressions sur le premier pour faire ces concessions. J’avais alors vraisemblablement sous-estimé l’importance des exigences de l’Égypte qui n’aurait pu se satisfaire d’un retournement éphémère de la situation.

Bouger pour ne rien changer

Ainsi, loin de renvoyer à un accord politique sur le fond toujours inatteignable12 la « réconciliation » ne saurait constituer qu’un leurre agité par deux mouvements tirant les conséquences des bouleversements de la scène régionale. Décidés cependant à ne rien changer de leurs options de fond, les deux espèrent bien retrouver une marge de manœuvre sur le plus long terme.

Sans rien abandonner de ses positions idéologiques13, le Hamas semble ainsi n’avoir visé qu’un retrait de la gestion directe du politique, même au prix d’une véritable reddition exigée de son interlocuteur et qui ne pouvait que satisfaire l’Égypte.

Aussi surprenante soit-elle pour l’observateur de l’actualité immédiate, cette décision s’insère en réalité dans la trajectoire la plus classique de l’histoire du mouvement. Le Hamas, en effet, fait de la primauté de la prédication (da’wa) le fondement de son action, à l’instar de l’Association des Frères musulmans dont il est issu et qui l’a menée durant des décennies dans le quiétisme le plus total. La création du Hamas fin 1987 signifia la volonté de l’Association de préserver cette capacité à mener la da’wa en rejoignant le domaine de l’engagement anti-israélien alors même que la population tout entière se mobilisait dans le cadre de la première intifada. L’entrée dans la compétition politique élective et la gestion du politique avec son immédiate mise à l’épreuve nationale et internationale se sont faites dans une gestion raisonnée de l’engagement anti-israélien — lui-même étant toujours assujetti à la préservation de la capacité à mener la da’wa. Ainsi, avec ses armistices (hudna) et accalmies (tahdiyya) négociés ou unilatéraux, le Hamas avait déjà donné les preuves de la réversibilité de ses engagements militaires soumis au principe de la défense de ses intérêts propres et de ceux de la communauté.

En se retirant de la gestion directe du politique avec l’accord de Chati, le Hamas entend une fois encore selon toute vraisemblance préserver sa capacité à mobiliser la société à travers son réseau associatif dans les domaines de la jeunesse, de la santé, de la gestion des mosquées, etc. La responsabilité de l’échec économique, même s’il était en grande part imputable au blocus, risquait de lui faire perdre cette capacité. Il lui fallait donc se désengager alors même que le niveau d’entraînement de ses personnels de sécurité et leur nombre ne laissaient envisager aucune véritable dépossession de son contrôle sur Gaza au profit de Ramallah. Exonéré de la responsabilité économique, le mouvement pouvait espérer tirer profit des preuves accumulées de son patriotisme tout en poursuivant son engagement au côté des prisonniers, un dossier en partie négligé par Ramallah. Sous certains aspects, la nouvelle posture adoptée par le Hamas peut ainsi être rapprochée de celle qui régit les relations du Hezbollah avec le gouvernement libanais14.

Côté Ramallah, si l’accord lui-même, limité à des principes généraux, pouvait dans l’absolu conduire à une mise en œuvre équilibrée, sa traduction effective dans la réalité durant les deux derniers mois ne fait qu’entretenir le déni de ce qui s’était passé en 2006, lequel avait à l’origine des violences de 2007. À la différence de 2007, cependant, le Hamas ne se considère plus à même d’en préserver les corollaires.

Le cabinet d’entente n’est ainsi que la continuation du cabinet unilatéral et illégal15 qui l’avait précédé (mêmes premier ministre, vice-premiers ministres, ministre des affaires étrangères, de l’économie, du plan, de la santé, et des affaires de Jérusalem) ; comme avant la « réconciliation », le cabinet, et tout particulièrement le premier ministre, ne sont que des marionnettes de la présidence dénuées de toute investiture législative. Les arrestations de membres réels ou supposés du Hamas se poursuivent en Cisjordanie. Loin de toute fusion des fonctions publiques de Gaza et de Cisjordanie, les fonctionnaires de Gaza qui avaient manifesté leur soutien à la présidence et au Fatah en se maintenant en grève depuis 2007 ont perçu leur salaire du mois de mai ; les fonctionnaires recrutés après cette date par l’Autorité de Gaza, bien actifs ceux-là, n’ont rien reçu, le premier ministre n’hésitant pas à déclarer que tel serait sans doute toujours le cas16. La coopération sécuritaire, enfin, se poursuit avec Israël.

Deux mois après sa signature, l’absence de mise en œuvre de la majorité des articles de l’accord de Chati par Ramallah ne fait l’objet d’aucune dénonciation du Hamas. Parmi les mesures préconisées, en effet, seule la constitution d’un cabinet d’entente a été réalisée (dans les plus grandes difficultés puisqu’il aura fallu un mois et demi de négociations). La tenue des élections dans les six mois est improbable, quand bien même on oublierait la capacité israélienne à les empêcher : si une nouvelle commission des élections a bien été actée, Mahmoud Abbas n’a publié aucun décret de convocation à de telles élections. Aucune mesure visant à réactiver le CLP (pas plus que l’OLP) n’a été prise et le cabinet fonctionne en l’absence de toute investiture parlementaire. La plupart des comités qui devaient être créés pour concrétiser la réconciliation, enfin, n’ont toujours pas vu le jour. Le retour de la Garde présidentielle à la frontière n’a pas encore eu lieu mais le principe en est acquis, même si la mise en œuvre exige un accord qu’Israël n’est pas encore décidé à donner.

Cette réalité constitue ainsi la preuve que la « réconciliation » n’était ni acquise ni même attendue. Simple subterfuge, elle permet la mise en place d’une sorte de cessez-le-feu entre deux frères ennemis décidés à surseoir sur la scène palestinienne à toute métamorphose définitive tout en sachant s’adapter aux bouleversements de la scène régionale et internationale17.

1Original en arabe sur l’agence officielle de l’OLP Wafa. Hélène Sallon, « Que prévoit l’accord de réconciliation palestinienne ? », lemonde.fr, 25 avril 2014 ; Mohsen Moh’d Saleh, « Palestinian Reconciliation : Game of Tactics and Strategy », Al-Zaytouna Centre for Studies and Consultations, 20 mai 2014 ; « Khalil Shaheen on Palestinian Reconciliation and the New Palestinian Authority Government », jadaliyya.com, 7 juin 2014.

2Le mandat de Mahmoud Abbas à la tête de l’Autorité intérimaire d’autonomie est arrivé à échéance le 9 janvier 2009 et celui du Conseil législatif palestinien (CLP) le 24 janvier 2010. Organe de l’autonomie intérimaire (dont la date d’arrivée à échéance initialement fixée pour 1999 a été prorogée jusqu’en 2000), le CLP doit être distingué du Conseil national palestinien (CNP), le Parlement en exil de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

3Ce leurre est à rapprocher de la popularisation de la négociation israélo-palestinienne opérée depuis les années 1990 en termes de « processus de paix » : dans la plus parfaite téléologie, il suffit que le processus — qu’il soit « de paix » ou « de réconciliation » — existe pour que sa fin (alléguée) soit réalisée, puisque la fin est censée exercer une action directrice sur les moyens mis en œuvre pour y parvenir. Ainsi, si le « processus de paix » n’a pas débouché sur la paix, ce n’est pas parce que ses règles l’en détournaient, mais parce qu’il a été victime des « ennemis de la paix ».

4Sur le factuel et les références bibliographiques, Jean-François Legrain, « L’impasse politique et institutionnelle palestinienne », Critique Internationale, n° 36, juillet-septembre 2007. - p. 20 ; David Rose, « The Gaza Bombshell », Vanity Fair, avril 2008.

5L’AP, selon mon approche, peut être rendue en partie responsable du délitement du lien national dès les années 1990. En effet, bien qu’en charge d’une partie seulement de la population des territoires occupés en 1967 (Jérusalem étant exclue de l’autonomie) elle s’est substituée à l’OLP qui, elle, représente l’ensemble du peuple palestinien, jusqu’à la priver de tout moyen. Le droit au retour personnalisé accordé en 1995 par Israël aux principaux leaders de la diaspora a ainsi débouché sur une profonde dichotomie entre les populations autonomes et les communautés de l’exil, elles-mêmes divisées selon les pays d’accueil et incapables de se retrouver de véritables représentants. Dans les territoires autonomes eux-mêmes, la dépalestinisation s’est brusquement manifestée début 2004 avec les premiers signes de guerre civile que le vote de 2006 a tenté de conjurer. Cf. Jean-François Legrain, « Palestine : what does the future hold ? », in CIDOB, Power and regimes in the contemporary Arab world, Routledge, 2012. - p. 303-307.

6Créée en 1964 par la Ligue des États arabes alors sous domination nassérienne, l’OLP ne devait servir qu’à assurer à l’Égypte le contrôle de la question palestinienne. La défaite arabe de juin 1967 déboucha en 1969 sur la prise de pouvoir du Fatah et d’une douzaine d’organisations de guérilla. La palestinisation peut ainsi être retenue comme caractéristique de la construction nationale palestinienne contemporaine : palestinisation de l’organisation politique et du militaire avec l’émergence des Palestiniens comme acteurs autonomes sur la scène arabe ; palestinisation de l’identité avec incidence sur le mot d’ordre politique à travers l’apparition de la revendication de souveraineté nationale sur une terre dorénavant construite en territoire partagé et identifiée comme palestinienne et plus seulement comme arabe.

7Un premier engagement à reprendre le dialogue avait été signé sous égide yéménite le 23 mars 2008. Le 4 mai 2011, c’était au tour de l’Égypte de patronner un premier accord de réconciliation. Un an plus tard, le Qatar reprenait la main en parrainant le 6 février 2012 une déclaration de mise en œuvre de la réconciliation annoncée précédemment, l’Égypte obtenant qu’une confirmation d’une telle volonté soit proclamée au Caire trois mois plus tard, le 20 mai. Pour les textes, lire Yazan al-Saadi, « Palestinian reconciliation : A history of documents », Al-Akbar English, 28 avril 2014 (traduction française par ISM-France).

8L’accord, de toute façon, n’engage que Fatah et Hamas. Certes les plus représentatifs, ils ne sauraient néanmoins résumer l’ensemble de la scène politique. Avant même la division de 2007, deux accords avaient été signés, qui engageaient un nombre important d’organisations politiques. Le 17 mars 2005, un premier accord avait ainsi été signé au Caire par 13 factions, en présence du ministre syrien des affaires étrangères. Il avait été suivi le 27 juin 2006 par la signature d’un Document d’entente nationale rédigé dans une prison israélienne par de hauts responsables de cinq des principales organisations (Hamas, Fatah, Front populaire, Front démocratique et Jihad islamique). Ce dernier document est ainsi le seul à avoir été rédigé et adopté en l’absence de tout parrain. Aucune suite ne leur a été donnée. Le fossé ne sépare pas seulement Hamas et Fatah, c’est l’ensemble de l’éventail politique qui est privé de programme unitaire.

9Le Hamas n’est pas un mouvement à structure pyramidale. Le président de son bureau politique, Khaled Mechaal, est ainsi resté très en retrait de l’accord de Chati négocié et signé par son adjoint Moussa Abou Marzouk ; il est vrai que le premier réside à Doha alors que le Qatar est honni dans l’Égypte d’Al-Sissi, quand le second habite Le Caire. Pour ses prises de décisions, le Hamas fonctionne selon les dossiers et les moments dans un jeu kaléidoscopique d’alliances ordonné à une culture du consensus héritée des Frères musulmans. Le jeu se mène entre les formes d’engagements (associatif, militaire et politique), les grandes figures, les parrains étatiques et les « circonscriptions » (Gaza, Cisjordanie/Jérusalem, prisons israéliennes et diaspora.

10Le Hamas semble ainsi avoir, sans attendre, pris acte des conséquences diplomatiques à long terme des évolutions iraniennes en matière de politique étrangère. En développant une politique « développementaliste » (pour reprendre les catégories de Clément Therme, « L’Iran en 2014, les deux visages de la contre-révolution ? », Vacarme, 30 mai 2014), le président Hassan Rohani élu en 2013 mise sur ses concessions sur le dossier du nucléaire pour rompre le blocus américain et européen, retrouver une économie florissante et réintégrer la place que l’Iran considère comme lui revenant naturellement sur la scène régionale et internationale. Dans ce contexte, le maintien d’une « alliance de résistance » incluant le mouvement non chiite qu’est le Hamas ne pouvait qu’être contre-productif dans les efforts de rapprochement avec les États-Unis. L’Iran, d’ailleurs, avait déjà entamé la diversification de ses interlocuteurs palestiniens en recevant une délégation de l’OLP et du Fatah en janvier 2014.

11Interview par Hélène Sallon, « Réconciliation palestinienne : une manœuvre d’Abbas ? », lemonde.fr, 23 avril 2014.

12Les raisons avancées de-ci de-là pour rendre compte d’une décision « honnête » de la part de la présidence ne me convainquent pas : problèmes de santé et âge de Mahmoud Abbas pressé de laisser à l’histoire une image positive, divisions internes au Fatah et attente de la réunion de son congrès général, montée de son ennemi Mohammed Dahlan appuyé par les Émirats arabes unis pour lui succéder, etc. L’argument selon lequel il aurait souhaité reconstruire un camp national unifié pour retrouver de la puissance dans la négociation ou pour trouver une solution à la crise financière de l’AP est encore moins recevable tant la réintroduction, même minimale, du Hamas dans son jeu politique peut lui créer des difficultés supplémentaires.

13À la différence du Fatah qui prône le partage de jure de la Palestine, le Hamas ne l’accepte que de facto. Négocier une frontière reviendrait à renier l’islamité de l’ensemble de la Palestine. Accepter un État selon les lignes du cessez-le-feu de 1949, en revanche, est légitime dès lors que ces dernières ne sont que l’expression, objective mais réversible, d’un simple rapport de forces.

14Ehud Yaari, « Hamas Opts for the Hezbollah Model », Washington Institute Policy Watch n° 2263, 3 juin 2014.

15Cf. Jean-François Legrain, « L’impasse politique… », op. cit., p. 26.

16Interview de Rami Hamdallah, New York Times, 12 juin 2014.

17Alors qu’il avait condamné le coup d’État égyptien en 2013, le Hamas a ainsi déclaré, au sortir de l’élection présidentielle qui avait accordé la victoire plus que contestable au maréchal Al-Sissi, qu’il se soumettait de façon générale à la volonté des peuples.

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