Le Liban célèbre un premier mariage civil

En imposant à leur pays le premier mariage civil et le premier enfant sans confession, un couple fait de sa vie un combat pour la tolérance et la citoyenneté. Cette histoire est celle de Khouloud et Nidal, qui menacent de faire voler en éclats les fondements de la société libanaise.

Khouloud, Nidal et Ghadi, premier bébé libanais né hors du système confessionnel.
Photo Chloé Domat.

Tout commence en 2009. Nidal Darwish n’a pas 30 ans. Il travaille à la réception d’un club de gym à Beyrouth et décide d’apprendre l’anglais. Il rencontre Khouloud, son professeur. Au bout de deux leçons, ils savent qu’ils ne se quitteront plus. Ils se fiancent le 10 octobre 2010. C’est là que commencent les ennuis : Nidal et Khouloud veulent se marier civilement. Or, au Liban, le mariage civil n’existe pas. Dans ce pays qui compte dix-huit confessions pour une population estimée à quatre millions d’habitants, la vie des citoyens est régie par la religion héritée du père. Naissance, mariage, héritage, divorce ou garde d’enfants sont le domaine réservé des églises ou des mosquées. Dans les cas de mariage mixte, il n’y a que deux solutions : la conversion ou le mariage civil contracté à l’étranger. Des agences de voyages se sont d’ailleurs spécialisées dans ces unions reconnus par l’Etat libanais qui applique la loi chypriote.

Même si Nidal est chiite et Khouloud sunnite, ils auraient pu, moyennant quelques arrangements, contracter une union religieuse, mais ce n’était pas une option. « Pour nous le mariage civil était le plus adapté à notre idée selon laquelle les époux partagent tout. La société considère souvent que les tribunaux religieux protègent mieux les femmes, mais ce n’est pas vrai », explique Khouloud. « Nous allions nous marier à Chypre quand nous avons rencontré une femme qui nous a expliqué qu’il y avait une façon de contracter un mariage civil ici. Elle nous a dit que ce serait la première fois et que c’était risqué : deux couples avant nous avaient commencé puis abandonné la procédure à cause de la pression de leurs familles et de leurs employeurs. On a voulu être les premiers. »

Seuls contre tous

Nidal et Khouloud ont de fortes personnalités et un parcours d’activistes. Lui a travaillé avec la Croix Rouge et des partis de gauche. Elle a été bénévole pour des organisations non gouvernementales de défense des droits des femmes et des enfants. Ensemble, ils manifestent régulièrement pour les droits humains et la déconfessionnalisation du système libanais. Tous deux sont originaires de l’extrême nord de la plaine de la Bekaa, à quelques kilomètres de la frontière syrienne : Hermel pour lui, le petit village de Faqiha pour elle. Cette région délaissée par l’État libanais s’est rendue tristement célèbre pour le trafic de drogue, la loi des clans et plus récemment les éclats de guerre qu’elle reçoit de la frontière syrienne. Réputée bastion fort du Hezbollah, le Hermel est régulièrement le théâtre de violences entre sunnites et chiites.

Cet environnement a pesé sur les deux jeunes gens. « Le plus difficile à gérer, c’était nos familles, se souvient Nidal. Pendant plus d’un an on a passé des heures à les convaincre que la sécularité ce n’est pas l’abandon de la religion. On a dû ruser : on leur a dit que pour être musulman il faut réciter la chahâda, que les chrétiens eux sont baptisés et que tout cela n’a rien avoir avec les papiers. En tant qu’homme, j’ai finalement réussi à faire passer mes idées, mais pour Khouloud c’était très difficile. » Et pour cause, Khouloud avait une double revendication : «  Je voulais aussi retirer mon hijab. Faqiha est un petit village très conservateur, donc ma famille a eu beaucoup de mal à l’accepter. C’était plus compliqué pour eux que le mariage civil. Pendant un temps ils ne m’ont plus parlé. Les gens du village les ont attaqués, ils ont menacé mes parents et leur maison. Ils ont été blessés mais finalement ils ont compris que c’était un pas en avant pour le pays. »

Le magicien de cette histoire, c’est Talal Husseini. Ce défenseur du mariage civil cherchait depuis longtemps un couple volontaire pour tester la recette de l’union civile sur territoire libanais. Il leur a montré la marche à suivre. Ils ont d’abord fait rayer des registres d’État la mention de leur confession. Le juriste s’est ensuite appuyé sur le préambule de la Constitution (qui reconnaît la Déclaration universelle des droits de l’Homme et donc son article 16 sur la liberté de mariage) et un décret de 1936 datant du mandat français. Toujours en vigueur, ce texte stipule que les individus sans confession sont soumis au Code civil, pour déclarer que l’union civile était possible. La jeune femme se souvient : « En novembre 2012, le notaire est venu chez nous et nous avons signé le contrat de mariage. Il fallait ensuite le faire enregistrer à Hermel. Le maire n’avait jamais vu un pareil document et a refusé de signer. On lui a dit "pas de problème, mets juste un numéro dessus et fais suivre à ton supérieur". À Zahlé ensuite, une plus grande ville, je me souviens que la femme qui s’occupait de notre dossier, quand elle est arrivée à la ligne « mariage civil » a éteint sa cigarette sur le bureau au milieu de ses papiers. » Finalement le dossier est arrivé sur le bureau des ministres de la justice et de l’intérieur à Beyrouth.

Une remise en cause du système national

Le couple se donne alors trois mois pour trouver une solution mais face à la langue de bois du gouvernement, ils décident de rendre publique leur union en janvier. « Nous voulions que les médias nous aident à sensibiliser les Libanais pour qu’ils nous aident à faire pression sur le gouvernement. » L’annonce de leur mariage est à la une de tous les médias. Nidal et Khouloud deviennent le fer de lance des activistes de tous bords, les seuls à avoir mené une action concrète depuis des années : des héros nationaux. Le couple reçoit des appels du monde entier, les internautes lancent des blogs, des pages Facebook de soutien et des campagnes sur Twitters, des manifestations s’organisent au centre ville et devant le ministère de la justice… Même le président de la République Michel Sleiman leur envoie un message d’encouragement sur Twitter.

Mais il n’est pas si facile de faire flancher l’État. Pendant que les ministres de la justice et de l’intérieur se repassent le contrat sans se prononcer, le premier ministre se déclare contre, tout comme d’autres élus et surtout les institutions religieuses. Le Mufti de la République, haut représentant sunnite, qualifie l’union civile de « microbe » et avance que « tout responsable musulman qui approuve la légalisation du mariage civil est considéré comme apostat et traître à la religion musulmane ». Les internautes dénoncent alors de plus belle le système, qu’ils jugent confessionnel et inégalitaire. Ils accusent la classe politique et les religieux de vouloir préserver leurs intérêts à tous prix, y compris les sommes versées à ces derniers lors des mariages. Car en fait, c’est le système tout entier qui est mis en cause : la confessionnalisation va bien au-delà de la question du statut personnel. Même si la Constitution érige au rang de « but national » la suppression du confessionnalisme politique, l’ensemble de l’appareil étatique est sclérosé, du sommet jusqu’à la base. Le président doit être un chrétien maronite, le premier ministre un musulman sunnite et le président du parlement un musulman chiite. Jusqu’à sa base où certains postes dans l’administration, le gouvernent ou l’armée sont réservés aux membres de telle ou telle confession, l’ensemble de l’échiquier libanais est dominé par le jeu des dix-huit confessions.

Khouloud n’aime pas se souvenir de cette période : « J’ai eu peur quand le mufti a parlé parce qu’ici on ne peut jamais savoir si un fanatique va venir se faire exploser sur votre palier. » À ce moment, Khouloud est enceinte. « Je savais que mon bébé n’aurait pas de religion puisque son père a rayé la sienne de ses papiers. Un homme est venu me parler sur Facebook un soir, il m’a dit : L’enfant que tu portes est un infidèle, je vais le transformer en une flaque de sang. »

Une prise en compte insuffisante

Finalement le mariage civil de Nidal et Khouloud, irréprochable d’un point de vue légal, est enregistré le 25 avril 2013. Mais le couple ne s’arrête pas là et souhaite pousser l’État libanais vers une vraie réforme de fond. Le 30 septembre 2013, leur fils Ghadi naît et le couple publie sur Facebook le registre de naissance de l’enfant où n’apparaît aucune religion. Il s’agit du premier Libanais né au Liban en dehors du système confessionnel. « Nous sommes en guerre contre un système en décomposition. Nous ne voulons pas que notre enfant soit le fils d’une secte. Nous refusons qu’il ait à mendier auprès des politiciens ou des religieux pour entrer à l’université ou avoir un travail. D’ici à ce qu’il soit grand, il y aura beaucoup d’autres enfants dans son cas. »

Khouloud et Nidal ont en effet lancé un vrai mouvement et des dizaines de couples se sont dit oui devant le notaire, nombre d’entre eux attendent des enfants. Le gouvernement libanais a d’abord paru céder, dévoilant début 2014 un projet de loi sur le mariage civil. Mais le texte stipule que « si le contrat de mariage civil est conclu au Liban ou à l’étranger, il est soumis à la loi civile choisie par les deux époux ». Ainsi, le mariage obéit forcément à la loi d’un pays étranger. De plus, les futurs époux devraient verser 250 euros à l’autorité dont relève la confession du mari pour chaque contrat de mariage conclu. Sans surprise, Khouloud et Nidal rejettent ce projet de loi et continuent de mener leur combat.

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