À l’automne 2013, s’adressant à un petit groupe de journalistes venus couvrir à Vienne une réunion de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), le ministre iranien des hydrocarbures Bijan Namdar Zanganeh déclarait : « Le pétrole iranien va finir par revenir sur le marché, c’est une simple question de temps et de patience ». L’homme, un vétéran du petit monde de l’or noir, venait lui aussi de signer son propre retour à la tête de son ministère après en avoir été écarté durant huit ans. Pour le président Hassan Rohani élu en 2013, faire appel à Zanganeh, ancien ministre du président réformateur Mohammad Khatami, coulait de source : ce dernier avait contribué à remettre sur pied le secteur pétrolier iranien après la guerre contre l’Irak (1980-1988). Il s’agissait cette fois d’anticiper sur la levée des sanctions internationales et de permettre au pays, détenteur des quatrièmes réserves mondiales prouvées (140 milliards de barils), d’augmenter très rapidement ses exportations. Évaluées à 2,6 millions de barils par jour (mbj) en 2011, ces dernières sont tombées à 1,1 mbj en 2013 et 1,4 mbj en 2015. Officiellement, et selon les sanctions en vigueur, Téhéran ne pouvait exporter qu’1 mbj, une quantité répartie entre des pays comme la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, la Turquie et Taïwan.
Durant ces deux dernières années, Bijan Namdar Zanganeh a donc préparé la levée des sanctions et n’a jamais cessé de garder le contact avec les grands noms de l’industrie pétrolière « y compris les grandes compagnies américaines », précise un cadre dirigeant de la National Iranian Oil Company (NIOC) qui souhaite ne pas être nommé. Les grandes lignes du programme de relance de l’industrie pétrolière iranienne sont plus ou moins connues. D’abord, des entreprises comme Total, Royal Dutch Shell et Lukoil sont d’ores et déjà partie prenante, ayant signé des contrats d’achat d’or noir ou des lettres d’engagement pour développer de nouveaux champs ou en réhabiliter des existants.
Selon l’agence Bloomberg, Téhéran a déjà augmenté ses exportations à destination de l’Europe de 300 000 barils par jour, soit la moitié du supplément que la NIOC est capable de mettre immédiatement sur le marché. Mais les ambitions de l’Iran ne s’arrêtent pas à revenir aux 2,6 millions de barils exportés au début de la décennie. Un programme quinquennal 2015-2020 fixe à 5,7 mbj l’objectif de vente à l’étranger d’or noir et de produits pétroliers en 2020. Pour cela, le gouvernement souhaite développer 70 projets d’exploration-production pour un montant de 30 milliards de dollars. Dans les prochaines semaines, 18 blocs d’exploration seront ainsi ouverts à des opérateurs étrangers « L’Iran a besoin de 50 milliards de dollars d’investissements pour relancer son secteur pétrolier. Il en financera une partie grâce à la hausse de ses exportations et les partenaires étrangers assureront le reste », estimait en décembre 2015 Rokneddin Javadi, le patron exécutif de la NIOC.
L’OPEP menacée ?
Si le retour de l’Iran ne fait plus de doute, de nombreuses interrogations demeurent. La première concerne l’équilibre au sein de l’OPEP. Selon Téhéran, le cartel devrait avaliser l’augmentation de la production de brut iranien de façon à lui permettre de revenir à son niveau d’avant les sanctions. Or, rien ne dit que l’Arabie saoudite acceptera de diminuer sa production afin que le plafond réel de l’OPEP (actuellement compris dans une fourchette allant de 30 à 32 mbj) soit maintenu. « Il va falloir surveiller de près les réunions de l’OPEP au cours des prochains mois car l’Iran comme l’Arabie saoudite sont engagés dans une stratégie de gains de parts de marché. On peut se demander si la guerre froide qui oppose ces deux pays au Proche-Orient et dans le Golfe ne va pas s’étendre à l’OPEP et faire imploser cette organisation », confie un cadre du groupe pétrolier italien ENI en poste dans le Golfe. Un ancien ministre algérien du pétrole, lui, est plus circonspect : « La rivalité entre l’Arabie et l’Iran n’est pas nouvelle. Certes, la situation n’a jamais été aussi tendue entre ces deux pays depuis trente ans mais leurs représentants ont toujours su trouver un terrain d’entente pour ne pas mettre en danger la cohésion de l’OPEP ».
Une autre interrogation concerne la nature des avantages que Téhéran promet à ses partenaires étrangers pour qu’ils investissent en Iran. Au cours des dernières années, les grandes compagnies comme Total ou ENI n’ont eu de cesse de répéter qu’elles envisageaient une présence dans ce pays dès lors que les sanctions seraient levées mais à la condition que la législation en vigueur, jugée trop contraignante, soit amendée. Le gouvernement iranien a annoncé quelques concessions, notamment le fait que les contrats porteront sur des durées plus longues (de 15 à 20 ans voire 25 ans dans certains cas). Mais dans le même temps, Téhéran rechigne à supprimer la clause qui limite les gains des compagnies au-delà d’un certain niveau de production (une disposition qui vise à empêcher que les opérateurs n’épuisent trop vite les gisements). De même, le gouvernement veut que les investisseurs étrangers dans le secteur de l’exploration, de la production et de l’ingénierie s’associent à un partenaire local. Ces deux exigences ne constituent pas des écueils insurmontables pour les compagnies étrangères mais elles alimentent toutefois des griefs récurrents. Dans un contexte où les prix du pétrole sont au plus bas, l’Iran devra peut-être faire plus d’efforts pour attirer à lui des partenaires occidentaux.
L’euro contre le dollar
Par ailleurs, la décision de Téhéran d’exiger que ses transactions pétrolières soient libellées en euros ne sera certainement pas sans conséquences. Début février 2015, l’entourage du ministre Zanganeh a déclaré aux agences de presse que toutes les ventes de pétrole se feront désormais en euros et non en dollars. Cela vaut aussi pour les fonds actuellement gelés et dont la provenance est liée aux exportations d’hydrocarbures. Téhéran vient ainsi de demander à l’Inde de lui débloquer un total de 6 milliards de dollars gelés depuis 2012 sous la forme d’un versement de 5,3 milliards d’euros. En 2007, le président Mahmoud Ahmadinejad avait déjà qualifié le billet vert de « bout de papier sans valeur ». De même, quelques pays arabes, dont l’Irak de Saddam Hussein ou la Libye de Mouammar Kadhafi ont également essayé d’imposer que les transactions pétrolières se fassent en euros, au grand dam de Washington. Dès lors, on peut se demander si ce recours à l’euro, décidé officiellement pour contourner certaines dispositions du Congrès américain qui pénalisent l’Iran, ne va pas engendrer de nouvelles tensions entre l’Iran et les États-Unis. Signe de l’importance de ce sujet, l’annonce du recours à l’euro pour les transactions pétrolières a eu lieu au moment où, suite à des pressions américaines, l’Iran a accepté de reporter à novembre prochain une conférence internationale sur son secteur pétrolier qui devait avoir lieu en février à Londres.
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