Le sport, une arme à double tranchant pour les pays du Golfe

De la coupe du monde de football au Grand Prix de formule 1 · Les États du Golfe investissent dans le sport mondialisé. Ils espèrent ainsi améliorer leur image auprès des opinions publiques occidentales, mais c’est souvent l’inverse qui se produit.

L’« Emirates Stadium » à Highbury, Londres.
Stade de l’Arsenal, financé par la compagnie aérienne Emirates.
Wonker, 18 août 2006.

L’Arabie saoudite a été le dernier en date des pays du Golfe à en faire la découverte : les investissements dans le football européen n’apportent pas seulement la notoriété. Ils comportent des risques de dommages collatéraux, quand ils mettent en lumière les politiques potentiellement discriminatoires des États ou des entreprises.

Le Qatar a déjà pris une volée de bois vert à cause des conditions de vie et de travail de la main-d’œuvre étrangère qui construit les infrastructures de la Coupe du monde 2022 au Qatar1. Voilà maintenant qu’un club allemand de deuxième division, le FSV Frankfurt, a mis fin à un accord de partenariat avec la compagnie aérienne nationale saoudienne, Saudia. Selon la porte-parole du club, Ann-Katrin Hautk, le contrat a été annulé parce que la compagnie refuse d’embarquer les porteurs de passeports israéliens. Aux États-Unis, des critiques ont appelé à interdire les aéroports américains à la Saudia2.

On ne connaît pas le montant du partenariat, qui consistait à placer un modèle réduit d’un avion de Saudia dans le stade Volksbank de Francfort. Le FSV a annulé le marché après que des médias allemands ont accusé la compagnie saoudienne d’antisémitisme. Le partenariat a également été dénoncé par des conseillers municipaux, ainsi que par des membres en vue de la communauté juive allemande. « Le FSV brade des principes contre l’argent du sponsoring… L’Arabie saoudite est une dictature, Israël est une démocratie dans le sens occidental du terme », a déclaré Michel Friedman, ancien vice-président du Conseil central des juifs en Allemagne, cité par le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung.

L’un des principaux mécènes du FSV, la banque francfortoise Volksbank, qui a aussi donné son nom au stade, s’est pour sa part déclaré « irrité » par cet accord avec une compagnie aérienne aux pratiques discriminatoires. Toute politique de cet ordre est inacceptable, a ajouté la banque. Des responsables politiques locaux ont estimé que la recherche d’un financement n’autorisait pas à se lier à n’importe quel sponsor, sans autre considération.

Et pour faire bonne mesure, le FSV a annoncé, le jour même de l’annulation du contrat avec la Saudia, la signature d’une alliance avec un autre club de la ville, le TuS (Turn-und Sportverein) Makkabi Frankfurt, un club juif qui fait historiquement partie de l’aile centriste du mouvement sioniste3. Le président du Makkabi, Alon Meyer a déclaré que pour lui, le FSV avait toujours été « une formation sympathique et politiquement neutre qui soutenait la tolérance, l’ouverture au monde et le rejet de la violence, ce que le club avait maintes fois démontré dans ses actes ». Auparavant, quand le FSV avait signé avec la Saudia, Alon Meyer avait exprimé sa déception : il « voyait désormais FSV avec d’autres yeux ».

Ironie de l’histoire, le FSV a dénoncé les pratiques de la Saudia à un moment où l’Arabie saoudite admet ouvertement partager certains intérêts avec Israël. L’Arabie saoudite et Israël ont condamné dans les mêmes termes les premiers pas des États-Unis et des autres pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU vers une résolution de la crise nucléaire iranienne.

La fin de l’accord de sponsoring entre Saudia et le FSV Frankfurt n’est que le dernier exemple en date des dangers, pour les pays du Golfe, de ce genre de collaboration. En se tournant vers le sport pour compenser leur manque de hard power par du soft power, ils courent le risque de porter atteinte à leur réputation, et d’obtenir l’effet inverse de celui qui était recherché. La réputation du Qatar a subi des dégâts importants, malgré les efforts de l’émirat pour répondre aux accusations portant sur les conditions de vie et de travail des étrangers qui constituent la majorité de sa population. Le Qatar a coopéré avec les principaux syndicats et organisations de défense des droits humains, mais rien n’y a fait. Peu de gens sont prêts à défendre un pays accusé, à tort ou à raison, de pratiquer l’esclavage moderne.

Le Bahreïn n’a pas eu non plus beaucoup de succès, ces deux dernières années, avec son Grand Prix de Formule 1. Le royaume comptait sur cet événement pour démontrer que la révolte populaire de 2011, brutalement réprimée appartenait au passé et que le pays était revenu à la normalité. Mais les médias ont surtout fait des reportages sur les manifestations antigouvernementales.

L’été dernier, les organisations de défense des droits humains ont accusé les Émirats arabes unis de chercher à améliorer leur image grâce à plusieurs initiatives spectaculaires dans monde du football : acquisition du club britannique Manchester City, projet de club de ligue 1 basé à New York, ainsi que divers partenariats. Ce qui n’a pas empêché les critiques de pleuvoir après les condamnations à de lourdes peines de prison de dizaines de militants, accusés de complot visant à renverser le gouvernement. Les procès n’ont pas respecté les règles de base d’une justice impartiale. Les Émirats ont été également critiqués pour leur soutien au coup d’État militaire qui a renversé Mohamed Morsi, le président démocratiquement élu par les Égyptiens.

Lord Triesman, ancien président de l’English Football Association, a proposé une nouvelle règle. Le respect des droits humains devrait figurer, selon lui, au nombre des critères obligatoires pour l’acquisition d’un club de premier league. Tout État ou famille régnante désirant acheter l’un de ces clubs devrait passer ce test. De la même façon, après les accusations contre le Qatar, une campagne a été lancée, pour soumettre tout pays désireux d’organiser un méga-événement sportif à l’examen de son dossier dans les domaines du respect de l’égalité des genres, des droits humains et du droit du travail. Aucun pays du Golfe n’est capable de passer cette épreuve.

2En particulier le nouveau maire de New York, Bill de Blasio, pendant la campagne électorale qui l’a mené à la victoire le 5 novembre 2013.

3L’union mondiale Maccabi est une organisation sportive juive internationale fondée en 1921, présente sur les cinq continents. Le TuS Makkabi de Francfort (Association de sport et de gymnastique Makkabi) a été fondé en novembre 1970 par la fusion de plusieurs autres clubs communautaires.

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