Présidentielle en France (2)

Les droites à l’unisson lâchent les Palestiniens en rase campagne

Éric Zemmour assure qu’il n’est pas sioniste, mais cela ne l’empêche nullement de soutenir la politique israélienne, tout comme ses rivales Marine Le Pen et Valérie Pécresse. Pour la raison, commune aux trois candidats, qu’une islamophobie agressive leur sert de cadre idéologique. Deuxième volet de notre enquête sur les candidats à l’Élysée, Israël et la Palestine.

Thomas Coex (Eric Zemmour)/Joël Saget (Valérie Pécresse, Marine Le Pen)/AFP

Il est des jours où j’aimerais écouter aux portes, capter ce que disent les équipes de campagne. Comme journaliste, je les sollicite (en vain) pour des entretiens. Celle du groupe « Europe et Monde » de Valérie Pécresse, coordonné par Michel Barnier, en particulier. Ce baron old fashion de la droite alpine est l’un des rares politiciens français à être allé à Gaza en 2005. Il est supposé, selon des révélations de Médiapart, travailler dans ce groupe avec Meyer Habib, le tonitruant député représentant des colons israéliens en France, et soutien de la candidate des Républicains (LR) qu’il avait d’ailleurs accompagnée en Israël en 2017. C’est un pays que la présidente de la région Île-de-France connaît bien. Elle y a effectué trois voyages officiels, le dernier avec une vaste délégation du conseil régional, mais aussi du consistoire.

Pécresse fait du « en même temps »

Pécresse, qui n’a rien d’une progressiste, incarne une droite ancrée dans l’ouest parisien et le catholicisme conservateur. Donne-t-elle dans le « en même temps », comme son rival Emmanuel Macron ? L’ancien commissaire européen négociateur du Brexit Michel Barnier est le conseiller international en titre de Pécresse, après avoir été son rival aux primaires LR. Tout oppose Habib et Barnier sur Israël-Palestine. Ministre des affaires étrangères sous Jacques Chirac et Dominique de Villepin en 2006, ce dernier réclamait un « État palestinien, maintenant ». « L’Union européenne ne peut pas demeurer les bras croisés, ajoutait-il. Elle doit proposer et exiger maintenant la création de l’État palestinien ». Barnier n’a pas fondamentalement varié depuis. Dans une interview à TV5 Monde en décembre 2021, il plaidait pour un « réengagement de la communauté internationale », réaffirmant la position française sur « le droit d’Israël à se défendre et le droit des Palestiniens à disposer d’un État fiable ». « Je condamne les attaques contre Israël, mais demande à Israël une approche raisonnable en matière de colonisation », ajoutait-il. Très loin des incantations de Meyer Habib, ami de Benyamin Nétanyahou, fervent soutien de la colonisation et du transfert de l’ambassade de France à Jérusalem.

Mais tout le monde se tait, et pas un mot du programme 2022 publié en ligne, qui explicite la position de la candidate. Interrogée sur Habib par France-Inter le 19 février 2022, Pécresse botte en touche : « Tout le monde est libre de penser ce qu’il veut ». Pour le reste, la candidate LR déplore en quelques secondes un « processus de paix en lambeaux », salue les accords d’Abraham « avec les pays arabes qui vont dans le bon sens », et ne répond pas sur la question pourtant centrale de Jérusalem, où la colonisation progresse à pas de géants à l’est et dans les alentours immédiats. D’énormes programmes de construction y sont d’ailleurs en cours d’élaboration, au mépris du droit international. Cela n’est pas très neuf, bien sûr, mais entretient l’amertume des Palestiniens, à l’heure où une partie de la planète se mobilise pour l’Ukraine, au nom du piétinement de ce même droit par Vladimir Poutine.

Les louanges du « modèle » israélien

À consulter son programme en ligne, la « nouvelle France » que Valérie Pécresse préconise, comme ses compétiteurs d’extrême droite Éric Zemmour et Marine Le Pen, porte un projet rance, obsessionnel sur l’immigration et la sécurité : fin de l’automaticité du droit du sol, retour des charters, majorité pénale à 16 ans, construction de prisons, renforcement de la police, etc. Comment ne pas établir un lien de cause à effet entre ces choix sécuritaires et sa fascination pour le « modèle israélien », qu’elle a vanté en diverses circonstances ? Affichant lui aussi depuis toujours son « immense admiration pour Israël », le député des Alpes-Maritimes Éric Ciotti, qui fut son plus dangereux rival à la primaire de la droite, joue un rôle central dans sa campagne. Or Ciotti, comme Habib, est favorable au transfert de l’ambassade de France à Jérusalem et veut rompre avec « une forme de tradition diplomatique française globalement pro-arabe ». D’ailleurs, il va faire un aller-retour express à Jérusalem ce dimanche 27 mars 2022 en compagnie de Meyer Habib pour un meeting de soutien à Valérie Pécresse, qui ressemble surtout à un meeting en faveur de son ami Habib, à nouveau candidat aux élections législatives de juin. Allo Barnier ?

Mais à défaut de mettre d’accord ses partisans, Pécresse entretient des convergences avec sa rivale Marine Le Pen, et l’abandon de la Palestine en fait partie. Prenons un tweet de Marine Le Pen et un autre de Valérie Pécresse, publiés à moins de 24 h d’écart en mai 2021. Version A :

La pluie de missiles lancée par le Hamas sur les populations civiles israéliennes est un acte inacceptable. Espérons que les peuples israélien et palestinien trouvent la voie de la paix.

Version B :

À la suite des pluies de bombes envoyées sur Israël par le Hamas, organisation terroriste, et des légitimes ripostes d’Israël, mes pensées vont à toutes les victimes. Je souhaite pour les Israéliens et les Palestiniens le respect du droit international et le retour de la paix.

Qui a écrit quoi ? Pas d’importance, c’est la même chose. Pas un mot sur l’origine de l’embrasement à Jérusalem provoqué par des exactions de colons et la volonté d’expulser des Palestiniens de la ville sainte, pas un mot sur le soulèvement de la jeunesse palestinienne en Israël au printemps 2021.

Marine Le Pen partage largement avec Valérie Pécresse et Éric Zemmour des obsessions identitaires et sécuritaires. Taper sur le Hamas et afficher de vagues intentions sur la « paix » tient donc lieu de ligne politique.

Marine Le Pen et la légitime défense contre « la guerre sainte du djihad »

Cherchant à rompre avec l’antisémitisme de son père et du Front national, Marine Le Pen affiche son soutien à la politique israélienne depuis une dizaine d’années. Elle cherche à renouer avec une période où une grande partie de l’extrême droite soutenait Israël, notamment en 1967, dans les pas de Jacques Soustelle, l’un des dirigeants de l’Organisation armée secrète (OAS) qui fut dans les années 1950 le président de l’Alliance France-Israël. Celui qui était alors le compagnon de Marine Le Pen, Louis Alliot, s’était dès 2011 rendu en « mission exploratoire », très discrètement, en Israël et dans des colonies des territoires occupés. Rencontrant plusieurs dirigeants des colons, l’actuel maire de Perpignan, où Le Pen tiendra son ultime meeting de campagne, a trouvé des « points de convergence » sur « la montée de l’islamisme radical ». Et lors de l’offensive sur Gaza en 2014, Aymeric Chauprade, alors conseiller international de Marine Le Pen, affirmait que « les Européens de l’Ouest se trouvent dans le même bain que les Israéliens ».

Marine Le Pen a cependant une divergence avec le clan Pécresse, car en 2019 elle n’a pas voté la résolution Maillard — contrairement à Emmanuelle Ménard, une de ses proches — contestant la rédaction de la résolution. « Il ne faudrait pas que ce texte puisse interdire de critiquer Israël », avait-elle alors estimé. Mais à chaque offensive sur Gaza, Le Pen salue le « message clair d’Israël sur la sécurité de ses frontières », et déplore le supposé usage par les Palestiniens d’une « méthode […] qui consiste à emmener dans des manifestations, où on sait qu’il va y avoir des violences, et même des violences importantes, des femmes et des enfants ».

Ces arguments sont martelés avec constance sur les réseaux sociaux et des médias francophones pro-israéliens par l’Union des patriotes juifs français de Michel Thooris, un ancien de la Ligue de défense juive, et par le Cercle national France-Israël de Jean-Richard Sulzer. Ces deux groupuscules animés par des proches de la candidate du Rassemblement national considèrent qu’Israël est en état de légitime défense contre « la guerre sainte du djihad ». Autant d’éléments de langage de la droite israélienne et de ses partisans français chez Le Pen, mais aussi chez Pécresse et Zemmour.

Zemmour, pas sioniste mais pro-israélien

Avec Éric Zemmour, les convergences sont elles aussi nombreuses. L’ancien journaliste, qui avait « révélé » en 2017 l’envoi d’une soi-disante mission de militaires français auprès de collègues israéliens pour apprendre les méthodes appliquées à Gaza afin de lutter en France contre la « colonisation de l’islam » (et avait été vigoureusement démenti par l’état-major) est un partisan d’Israël. Cet obsédé de la chose militaire — dans son programme il propose d’augmenter le budget de la défense à 70 milliards d’euros, contre 55 pour Marine Le Pen1 — admire un pays dont il considère qu’il est en pointe dans le combat contre l’islamisme.

Ce juif qui ripoline l’extrême droite est un pro-israélien assumé, et il est soutenu par plusieurs partisans de la droite israélienne. Dont Nicolas Bay, qui s’était lui aussi rendu en Israël pour le compte de Marine Le Pen en 2017, l’avocat et polémiste Gilles-William Goldnadel, qui a un appartement en Israël et y réside fréquemment, Olivier Pardo, qui est aussi l’avocat de Zemmour, et Jean Messiha, un ancien proche de Le Pen habitué des plateaux télé les plus débectants.

« Israël se défend et défend ses intérêts et il a raison. Ce n’est pas moi qui vais critiquer Israël », a-t-il répété au quotidien Maariv en décembre 2021. Mais, ajoute Zemmour, « je ne suis pas sioniste, moi. Je suis membre du peuple français. Je ne suis pas antisioniste, mais je suis un citoyen français et je ne prête allégeance qu’à la France ». Francis Kalifat, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), peut bien juger Zemmour « infréquentable » et déplorer début mars que « certains de nos coreligionnaires soient encore prêts à lui apporter leur voix ». Goldnadel lui répond aussitôt, dénonçant ce « pauvre CRIF qui ne représente personne […]. Les juifs français n’ont pas besoin de consignes ».

Malgré les alarmes du CRIF, et de nombreux historiens après ses propos sur le maréchal Philippe Pétain et autres absurdités, Zemmour continue de séduire dans la communauté juive française. Il semble même en train de devenir une star chez une bonne partie des juifs français installés en Israël et dans les colonies des territoires occupés, France-Inter et Le Point en ont rendu compte avec des reportages édifiants. Si certains estiment en le déplorant que 40 % des juifs francophones installés en Israël seraient séduits par Zemmour, ce chiffre reste cependant marginal, car la plupart ne votent pas aux élections françaises, même s’ils n’en pensent pas moins…

Le discours de Zemmour a en effet de quoi séduire les colons francophones quand il estime que « les Palestiniens ont perdu la bataille et il n’y aura jamais à l’échelle humaine d’État palestinien ». L’opération séduction se prolonge lorsqu’il dénonce la résolution dite « de Jérusalem » adoptée en décembre 2021 par les Nations unies2 sur le maintien du statu quo sur l’esplanade des Mosquées de Jérusalem, désignée par son nom arabe « Haram Al-Sharif », et non par celui de « Mont du temple » comme le souhaitent les nationalistes religieux israéliens. Il approuve Gilles-William Goldnadel, vent debout contre cette résolution, tout comme son ami Éric Ciotti, qui reste pour l’heure chez Pécresse tout en faisant campagne pour Habib…

Petites idées, pauvres idées, petit monde, entre Paris, Jérusalem et les territoires occupés. Les Palestiniens, plus personne ou presque n’en parle à droite et à l’extrême droite autrement que comme une menace. L’islamophobie et la phobie des étrangers forment le tronc commun des trois candidats Le Pen, Pécresse et Zemmour, avec une bonne dose de nationalisme étroit. On est toujours dans le choc des civilisations, dont pourtant le conflit ukrainien montre à quel point il ne permet pas d’expliquer le monde, et très loin d’une quelconque solidarité à l’égard des Palestiniens.

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