Les nuages s’accumulent sur l’économie égyptienne

Malgré ses bons chiffres, les perspectives de l’économie égyptienne restent incertaines, tant le pays s’est endetté et dépend de capitaux spéculatifs attirés par des taux d’intérêt favorables. Un modèle qui, par certains aspects, ressemble à celui du Liban.

L'image montre la façade d'un bâtiment qui abrite la Banque centrale d'Égypte. Le nom de la banque est inscrit en arabe et en anglais. Le design architectural semble moderne, avec des éléments en verre et en pierre. Des grilles de sécurité sont visibles, ajoutant une impression de protection.

Deux des plus influentes agences internationales de notation, Moody’s et Standard & Poor’s (S&P), suivies par la plus puissante banque d’affaires du monde, Goldman & Sachs, viennent de lancer coup sur coup un avertissement discret, mais ferme au maréchal-président Abdel Fattah Al-Sissi : attention, l’Égypte pourrait être la prochaine victime de « la volatilité des conditions de financement » dans le monde ; en clair, la remontée des taux d’intérêt aux États-Unis pourrait conduire à une sortie massive de capitaux du pays — et d’une grande partie des pays émergents — comme à une remontée du dollar qui affaiblirait la livre égyptienne et alourdirait le remboursement de la dette extérieure égyptienne (plus de 130 milliards de dollars, soit 112,57 milliards d’euros).

La stratégie financière du gouvernement égyptien depuis l’accord de 2016 avec le Fonds monétaire international (FMI) a visé à rémunérer grassement les capitaux étrangers pour les attirer dans le pays et financer ainsi le déficit budgétaire de l’État comme le déficit courant de la balance des paiements. Bon an mal an, les besoins globaux de financement atteignent le chiffre incroyable de 35 % du PIB. Même en 2020 — année du pic de la pandémie de Covid-19 — ils n’ont pas atteint 10 % dans les principaux pays occidentaux. Le Caire pratique les taux d’intérêt parmi les plus élevés du monde, 13 à 14 % par an pour les emprunts en monnaie locale, 7 à 8 % pour ceux en devises. Selon l’agence financière américaine Bloomberg qui suit régulièrement 50 pays émergents, les taux d’intérêt réels égyptiens (taux d’intérêt nominal - hausse des prix) sont les plus élevés du monde.

Une dette insoutenable

Cette politique a été payante : l’Égypte est l’un des rares pays arabes à avoir connu une croissance positive en 2020 (entre 2 et 3 %), résisté à la pandémie qui a atteint au premier chef son tourisme, un secteur clef de l’économie nationale (10 % du PIB) et à avoir continué à séduire les épargnants étrangers. La moitié des pays arabes ont vu leur note abaissée, pas l’Égypte. En moins d’un an, plus de 20 milliards de dollars (17,32 milliards d’euros) ont acheté des titres d’État, le principal emprunteur.

Le revers est évidemment le coût budgétaire de l’opération : les intérêts versés par le Trésor égyptien représentent 45 % des recettes publiques, soit presque 10 % du PIB. L’attrait du « papier » (obligations, bons du Trésor) égyptien repose sur l’écart entre sa rémunération et celle du papier américain ou européen qui dépasse à peine 0 %. Si ce dernier remonte, comme on s’y attend, Le Caire devra suivre, et aux niveaux déjà atteints ce sera impossible. Si la Réserve fédérale, la banque centrale américaine, aux prises avec une remontée de l’inflation supérieure à 2 % par an relève de 2 points ses taux, la Banque centrale égyptienne (CBE) devra pour le moins suivre et imposer aux finances publiques une charge insupportable. Que restera-t-il alors pour supporter les autres charges de l’État, dont les dépenses militaires et sécuritaires ? La stratégie de l’argent cher aura vécu et il faudra aux responsables égyptiens affronter une crise financière sans précédent.

La reprise de l’inflation n’arrange rien et réduit la marge de manœuvre de la banque centrale égyptienne, qui aimerait bien baisser ses taux d’intérêt, mais qui, le 16 septembre 2021, les a une nouvelle fois maintenus à leur haut niveau. L’indice général des prix devrait augmenter de 6,6 % en 2021-2022 sous la poussée des tarifs publics (énergie) qui progressent de près de 9 % après la baisse drastique des subventions à l’électricité et aux carburants décidée avant l’été. Les consommateurs payent les cadeaux faits aux spéculateurs étrangers.

S&P suggère de réformer le financement du double déficit, de moins recourir à l’endettement et de privilégier l’investissement étranger direct (IDE) qui a l’avantage de ne pas être remboursable. Actuellement, il représente à peine 2 % des capitaux internationaux qui arrivent en Égypte. Et pour cause. L’armée égyptienne verrouille le secteur économique et ne laisse guère de place au privé qu’il soit national ou étranger, en dehors des hydrocarbures, fief avéré de la compagnie italienne ENI. L’indice PMI qui suit le secteur privé recule depuis quatre mois. Les généraux n’ont pas oublié la tentative de l’ex-président Hosni Moubarak et de son fils de muscler les entrepreneurs privés à coup de privatisations et d’avantages multiples. La révolution de 2011 a balayé ce « capitalisme des copains », et les militaires sont à l’offensive pour conquérir de nouveaux secteurs et, à tout le moins, empêcher le retour des civils aux postes de commandement de l’économie égyptienne.

Le rôle déterminant de l’armée

Une autre solution serait de réduire le déficit commercial qui atteint des sommets (– 40 milliards d’euros en 2019) en relançant les exportations. Selon S&P, la base d’exportations est particulièrement faible, à peine 13 % du PIB en ajoutant aux biens les services (tourisme, canal de Suez…). Actuellement, l’Égypte exporte surtout du ciment, des médicaments et des produits de l’artisanat. Les économies des travailleurs émigrés (27,2 milliards d’euros) envoyées au pays dépassent de loin les exportations (21,65 milliards d’euros hors hydrocarbures). L’Égypte gagne plus à vendre le travail de ses enfants à l’étranger qu’à exporter. Encore faudrait-il pour ajouter des marchandises plus rémunératrices à cette modeste liste investir dans de nouvelles activités. La politique d’argent cher du régime ne le permet pas, les PME égyptiennes n’ont de fait pas accès au crédit bancaire, incapables qu’elles sont de supporter les taux d’intérêt usuraires pratiqués à l’instigation de la BCE. L’État de son côté investit dans l’immobilier, concentre une part importante — mais inconnue — des capitaux empruntés à la construction d’une capitale clef en main à l’est du Nil.

Quant à l’armée, elle cherche surtout des rentes perçues sur des niches nationales conquises grâce à l’entregent des généraux et au soutien tous azimuts du gouvernement. Il ne reste pas beaucoup d’acteurs pour relancer les ventes à l’export ! On voit mal dans ces conditions comment la part de la dette extérieure pourrait redescendre de 90 % du PIB aujourd’hui à 84 % en 2024 comme le prévoit le gouvernement égyptien. Il avance une forte croissance à venir (+ 5,5 % par an) et ressort un gri-gri qui a déjà beaucoup servi : les « réformes structurelles ». Au printemps, le cabinet a solennellement adopté un « grand programme de réformes structurelles », le National Structural Reform Program sans en définir précisément le contenu, au grand découragement des experts du FMI. Depuis, on n’en parle plus et les « réformes » se limitent à réduire les subventions alors que le pays s’expose au risque d’une grave crise sociale avec un chômage des jeunes qui dépasse 25 %.

Soutenez Orient XXI

Orient XXI est un média gratuit et sans publicité.
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don défiscalisé.