Énergie

Les pays du Golfe se branchent sur l’électricité renouvelable

Classés parmi les plus gros consommateurs de kilowattheures au monde par habitant, les pays du Golfe restent dépendants des énergies fossiles pour leur production électrique. Mais un taux d’ensoleillement exceptionnel commence à faire bouger les compteurs.

Le parc solaire Mohamed Ben Rachid Al-Maktoum de Dubaï
DEWA

Sans l’intervention de l’État et la mise à contribution de l’énergéticien Électricité de France (EDF), le prix de l’électricité dans l’Hexagone aurait augmenté de 44,5 % pour les particuliers au 1er février 2022, indique la Commission de régulation de l’énergie. Cette envolée sur fond de flambée des cours du gaz et d’augmentation du prix de la tonne de CO2 sur le marché du carbone européen met en lumière le poids prépondérant des énergies fossiles dans la production du courant consommé en Europe.

À 5 000 kilomètres de Paris, si la facture des ménages saoudiens ne connaît pas de hausse significative cette année grâce aux subventions gouvernementales qui anesthésient les prix, l’électricité n’en demeure pas moins carbonée. Plus de 43 % des kilowattheures (kWh) produits par le royaume de l’or noir en 2019 le sont dans des centrales électriques fonctionnant au pétrole, un chiffre 15 fois supérieur à la moyenne mondiale. Malgré un taux d’ensoleillement parmi les plus importants au monde avec 3 400 heures de soleil par an à La Mecque, soit deux fois plus que dans la capitale française, l’Arabie saoudite peine à mobiliser cette ressource naturelle pour assouvir un appétit électrique vorace.

À l’image du Royaume, les cinq autres pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) se classent tous parmi les plus gros consommateurs de kWh au monde par habitant. En cause notamment, le recours massif à des climatiseurs énergivores dans les maisons, bureaux et centres commerciaux pour isoler les populations des torrides chaleurs estivales de la péninsule Arabique. Entre 2003 et 2013, date à laquelle les climatiseurs saoudiens engloutissent 70 % du courant électrique du pays, la consommation d’électricité dans le Golfe croît plus rapidement que n’importe où ailleurs dans le monde, à un rythme annuel de 6 à 7 %.

La consommation débridée s’explique en partie par un manque de sensibilisation au véritable coût du kWh et à son impact environnemental (les subventions d’État sont néanmoins sur le déclin, sur fond de rationalisation des budgets publics), ainsi que la faible efficacité énergétique des constructions, infrastructures et équipements publics.

Électricité verte sous haut voltage

Longtemps onéreuse, l’énergie renouvelable ne l’est plus, le solaire offrant aujourd’hui l’électricité la moins chère de l’histoire. « Lorsque les jeunes Saoudiens jouent à des jeux en ligne et voient des éoliennes, ils se demandent pourquoi nous n’en avons pas déjà ici », ose Mohamed Alshammari, un jeune Saoudien actif au sein d’un projet associatif pour faciliter la communication entre la jeunesse et les responsables politiques du Royaume.

Aux Émirats arabes unis (EAU) voisins, l’ajout de fermes solaires à un mix énergétique dominé par le gaz naturel est un impératif alors que les gourmands véhicules électriques se démocratisent dans les rues de Dubaï. Les parcs solaires Mohamed Ben Rachid Al-Maktoum à Dubaï et Noor à Abou Dhabi sont parmi les plus importants au monde. Le pays vise à l’horizon 2050, date à laquelle les EAU se sont engagés à atteindre la neutralité carbone, un mix énergétique composé à 44 % de renouvelable, 50 % de gaz naturel et de charbon (Dubaï annonce à présent vouloir convertir au gaz naturel la centrale électrique au charbon d’Hassyan, opérationnelle depuis 2020), et 6 % de nucléaire. L’Autorité de l’eau et l’électricité de Dubaï (DEWA) affirme également travailler sur l’efficacité énergétique des installations et avoir réduit les pertes dans les réseaux de transmission d’électricité à 3,3 %, « contre 6 à 7 % enregistrés en Europe et aux États-Unis », précise son patron, Saeed Mohamed Al-Tayer.

Dans le sillage des EAU, organisateur de la 28e conférence annuelle de l’ONU sur le climat en 2023 (COP28), l’Arabie saoudite du prince héritier Mohamed Ben Salman annonce vouloir atteindre 50 % d’électricité issue du renouvelable en 2030, contre seulement environ 0,1 % en 2019, soit un accroissement considérable de plus de 45000 % d’ici la fin de la décennie. « Ils n’atteindront peut-être pas tous les objectifs, mais voir la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité passer à 10-20 % dans les cinq à sept prochaines années est réaliste », indique une source dans le secteur énergétique saoudien sous condition d’anonymat.

Selon une estimation du groupe de réflexion environnemental britannique Carbon Tracker, couvrir de fermes solaires et éoliennes seulement moins de 1 % du territoire saoudien suffirait pour répondre aux besoins énergétiques du pays. À noter cependant l’impact des conditions climatiques locales sur la performance des panneaux solaires. Selon une étude datée de 2019 résultant d’analyses de terrain menées aux EAU, l’accumulation de poussières sur les installations solaires réduit la production d’électricité de 12,7 %. Pour limiter le phénomène, le pays se trouve contraint de devoir doter ses fermes solaires de machines de dépoussiérage robotisées.

La Saudi Electricity Company, compagnie nationale d’électricité, n’a pas répondu à une demande de commentaire concernant le calendrier de retrait des centrales au pétrole. Un agenda ambitieux qui pousse les critiques à douter de la sincérité environnementale sur des objectifs qui visent à limiter le recours aux énergies fossiles pour produire de l’électricité, de surcroît dans un contexte de remontée des cours vers le seuil symbolique des 100 dollars (87,53 euros) le baril. « Il est important que tout mouvement vers les énergies renouvelables soit motivé par le désir de prendre davantage de responsabilités dans la lutte mondiale contre le changement climatique, plutôt que par la seule motivation économique de libérer davantage de combustibles fossiles pour les exporter dans le monde entier », commente Ahmed El Droubi, chargé de campagne pour Greenpeace Moyen-Orient et Afrique du Nord. Le 24 janvier 2022, Oman, qui vise 39 % d’énergie renouvelable d’ici à 2040, annonce avoir raccordé à son réseau le parc solaire Ibri 2 composé d’environ 1,5 million de panneaux solaires bifaciaux.

Outre l’opportunité d’accroître leurs exportations de brut, les pays du Golfe — notamment l’Arabie saoudite, les EAU et Oman — voient dans l’électricité verte une opportunité : bâtir une rente autour de l’exportation d’hydrogène vert, un vecteur d’énergie produit en divisant les molécules d’eau au moyen d’un courant électrique d’origine renouvelable. Même si celui-ci n’en est qu’à ses balbutiements, le coût de production d’un kWh doit chuter de plus de 50 % pour être une « alternative viable aux carburants conventionnels » analyse l’agence de notation S&P Global Ratings. L’hydrogène vert est jugé comme un complément de choix aux énergies renouvelables, en particulier pour accélérer la décarbonation des industries les plus difficiles à décarboner. « Je pense que vous avez ici une pépite d’avenir », résume le président français Emmanuel Macron dans un discours en novembre 2021. Forte de ce constat, l’Arabie saoudite annonce vouloir ouvrir la plus grande usine d’hydrogène vert du monde sur les terres de NEOM, la ville futuriste annoncée par Mohamed Ben Salman, mais qui demeure encore largement à l’état de projet. Et le pays vise 750 000 emplois dans le secteur des énergies renouvelables au cours des dix prochaines années ; une aubaine à l’heure où accroître l’emploi des Saoudiens est une priorité d’État.

Pour autant, il ne faut pas s’y tromper, la transition vers l’électricité renouvelable demeure une affaire de mégaprojets étatiques qui ferme soigneusement la porte à toute velléité de participation horizontale. Si l’essor des toitures solaires vise à transformer les habitations en unités de production d’énergie décentralisées, les compagnies d’électricité du Golfe, qui jouissent d’un monopole sur la distribution, défendent au contraire un modèle de production centralisé. L’absence d’incitation pour revendre le surplus d’électricité au réseau rend l’émergence de microréseaux décentralisés exploités au niveau communautaire très peu probable selon plusieurs analystes, garantissant ainsi le maintien du statu quo. Au Qatar, où la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité est de 0 %, la réglementation ne permet pas aux citoyens de vendre du courant vert au réseau électrique. A contrario, l’entreprise monopolistique Qatar General Electricity & Water Co (Kahramaa) s’apprête à commercialiser les kWh d’Al-Kharsaah, la première centrale solaire du pays dont le raccordement au réseau est prévu avant le début de la Coupe du monde de football 2022.

La coopération régionale a besoin d’une recharge

Sur le modèle du réseau électrique européen, aujourd’hui accusé par le ministre français de l’économie Bruno Le Maire de faire peser sur les citoyens français le coût d’une électricité carbonée produite hors des frontières, les pays du Golfe interconnectent leurs réseaux électriques nationaux à partir de 2009 afin de prévenir les coupures de courant. Sous la houlette de l’Autorité interconnexion électrique du CCG (GCCIA), le réseau régional, bien que jugé « assez intéressant » par Grzegorz Onichimowski, ancien responsable des opérations de marché au GCCIA, demeure un échec. Le volume des échanges transfrontaliers d’électricité dans le Golfe « reste faible » et le concept de marché régional « n’a pas beaucoup progressé », selon une étude réalisée en 2020 par le Centre du roi Abdallah pour les études et les recherches pétrolières. Au sein du GCCIA une source non autorisée à commenter publiquement affirme que l’interconnecteur est utilisé à 10 % de sa capacité. Les pays du Golfe continuent « d’injecter de l’énergie dans le réseau pour qu’il reste actif ».

Le réseau électrique du CCG pourrait néanmoins gagner ses lettres de noblesse avec le développement des énergies renouvelables qui, par nature, favorisent l’intégration de lieux de production épars afin d’assurer un approvisionnement constant en dépit de la nature intermittente des énergies solaire et éolienne. De fait, développer les ressources en vent dont disposent l’Arabie saoudite, Oman et le Koweït est un potentiel vecteur de coopération pour répondre à la demande en électricité de la région après le coucher du soleil.

Mais un meilleur usage du GCCIA et la mise en commun des dépenses d’investissement pour créer des capacités régionales se heurte à la rivalité économique croissante entre l’Arabie saoudite et les EAU pour le leadership économique et à la question des subventions. En effet, l’électricité fortement subventionnée offerte aux citoyens dans le cadre de la redistribution de la rente pétrolière est un facteur limitant. « Personne ne veut subventionner le voisin […]. Avec l’arrivée des énergies renouvelables dans la région, ils doivent repenser l’ensemble du concept », résume Grzegorz Onichimowski.

À moins que le déploiement futur de batteries à grande capacité n’offre l’option de libérer l’énergie solaire récoltée localement durant la journée lorsque la consommation atteint son pic en soirée.

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