Afghanistan

Liberté pour Mortaza Behboudi, journaliste emprisonné à Kaboul

Depuis le 7 janvier 2023, le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi est détenu par les talibans dans une prison de Kaboul. Après un mois de vaines tractations discrètes, l’ONG Reporters sans frontières (RSF) a médiatisé sa disparition en lançant, avec quinze rédactions françaises, un appel public à sa libération.

D’après l’affiche de Reporters sans frontières

Mortaza Behboudi est né en 1994 en Afghanistan. Ses parents ont pris le chemin de l’exil deux ans plus tard ; il a donc grandi en Iran. Adolescent, il retourne en Afghanistan, y étudie les sciences politiques et commence à travailler comme journaliste. Il enquête, écrit, dénonce. Avant, de nouveau, d’être arrêté et menacé de mort. En 2015, il fuit le pays et arrive en France : après des semaines passées à dormir dans les rues parisiennes, il est accueilli à la Maison des journalistes, une association qui héberge des journalistes et écrivains menacés dans leurs pays d’origine.

Mortaza a le journalisme chevillé au corps ; il reprend alors des études à la Sorbonne et co-fonde le média Guiti news, qui prône un regard croisé franco-réfugié sur l’actualité. Mortaza Behboudi veut renverser la tendance médiatique : il veut raconter aussi des histoires positives, créer un espace où se pose la question : « Qu’est-ce que le regard d’un réfugié sur la France ? », dénoncer les politiques migratoires et humaniser celles et ceux qui en sont victimes. Il obtient le statut de réfugié politique et continue à documenter, inlassablement, les migrations et les conditions de vie des réfugiés, avec les moyens du bord et une énergie sans faille.

Des voix et pas seulement des chiffres

Mortaza Behboudi milite pour un journalisme porté par les personnes concernées. Parce qu’il maîtrise plusieurs langues, parce qu’il connaît les parcours d’exil, il se consacre à donner une voix à celles et ceux que les médias dominants réduisent à des chiffres, des flux et des images chocs. En 2020, à l’annonce de la pandémie, quand la plupart des rédactions rapatrient leurs correspondants et que les journalistes rentrent chez eux, il choisit de retourner sur l’île de Lesbos et d’y documenter le quotidien dans le camp de Moria confiné. Ses reportages sont alors notamment diffusés par Arte. En parallèle, il décide de faire de ses rencontres un film : Moria, par delà l’enfer, produit par Tita B.

Le prix Bayeux des correspondants de guerre

En 2021, il obtient la nationalité française. Les talibans prennent le pouvoir. Avec son passeport français, il peut désormais retourner en Afghanistan. Il y va, et devient la voix de la société civile afghane. Mediapart, Arte, Libération, La Croix, France Télévisions, Radio France et d’autres rédactions diffusent ses articles et ses reportages. En 2022, il obtient le prix Bayeux des correspondants de guerre pour ses reportages sur les filles afghanes et pour sa série d’articles pour Mediapart, « À travers l’Afghanistan, six mois après le retour des talibans ». Il l’a martelé lors de la remise du prix : il n’y a pas de reportages sans les voix locales, il n’y a pas de journalisme sans fixeur1. Tout en appelant les autorités françaises à délivrer un visa à l’une de ses consœurs bloquée au Pakistan.

La même année, il est lauréat du prix Varenne de la presse quotidienne nationale. Les honneurs ne le détournent pas de la mission qu’il s’est donnée. Il continue ses allers-retours en Afghanistan, malgré les risques qu’il encourt, lui qui est issu de la minorité hazara, continuellement persécutée dans le pays. Le 5 janvier 2023, il se rend de nouveau à Kaboul. Le 7, en route pour aller récupérer son accréditation presse, il est arrêté. Accusé d’espionnage, il est depuis emprisonné.

Un journalisme acharné et joyeux

Mortaza Behboudi n’est pas un espion, mais un journaliste, qui n’a jamais cessé de croire que son travail changera les choses, que la cause à servir est plus grande que les risques qu’il prend, que l’information est une arme efficace contre les dictatures. Que la joie aussi : à Douarnenez, sa ville d’adoption (où il a prévu de se marier), il a, avec d’autres, organisé un grand lâcher de cerfs-volants sur la plage le jour où, à Moria, s’organisait la même chose. Un hommage aux cerfs-volants de Kaboul, à la liberté et au partage.

Le comité de soutien à Mortaza, chapeauté par Reporters sans frontières (RSF) s’active, sur le plan local comme à l’international pour obtenir sa libération et soutenir sa compagne Aleksandra, et aussi pour qu’il puisse avoir connaissance de chaque petit acte de solidarité. Dans les réunions, des confrères journalistes, des bénévoles qui l’ont rencontré à Lesbos, des gens qui ont croisé sa route en Bretagne où il est notamment beaucoup intervenu en milieu scolaire, des amis syriens qui partagent leurs expériences de mobilisation pour la libération des détenus. L’un d’eux a écrit dans un billet sur Mediapart :

Mais nous n’attendrons pas Mazen les bras croisés, et nous n’accepterons pas le même sort pour Mortaza, et nous répéterons le nom de Marwan Al-Hasbani tant que nous vivrons, afin que le monde entier ne devienne pas « une langue emprisonnée »2.

Benoist de Sinety, un prêtre de Lille, dit de lui :

Il est le visage de cette humanité. Une humanité qui expérimente dans sa chair d’être emportée un jour par une histoire qui la dépasse et qui refuse de s’y soumettre en cherchant par tous les moyens à se redresser pour parler, montrer et nous rendre témoins d’un mal dont nous ne sommes pas responsables, mais dont nous pourrions, sans eux, facilement devenir complices. Voilà pourquoi il faut se mobiliser pour obtenir la libération de cet homme, non parce qu’il est un symbole, mais parce qu’il est un visage.

En 2017, Mortaza Behboudi disait :

C’est impossible pour les gens de comprendre ce qui se passe vraiment dans des pays comme la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan sans des voix et des journalistes locaux. Je suis fier d’être afghan et je continuerai à me battre pour que ces histoires soient écoutées.

À nous, aujourd’hui, de nous battre pour lui. Parce que quand il sortira, il reprendra le combat : pour cette journaliste afghane à qui les autorités françaises ont refusé un visa, pour son confrère Olivier Dubois, otage depuis deux ans au Mali3, pour que « le monde ne devienne pas une langue emprisonnée ».

1À la remise du prix, alors qu’on le présente comme traducteur du reportage réalisé pour France 2, Mortaza Behboudi revendique le rôle essentiel des fixeurs qui accompagnent, mettent en contact, traduisent, filment… et rendent l’information possible.

2Omar Alkhatib rend, dans ce texte, hommage à ceux qui témoignent : Mazen [Al-Hamada] est un journaliste et témoin de la torture dans les prisons syriennes. Il a disparu en février 2020. Marwan Al-Hasbani est un activiste mort en détention.

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