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Maroc. Le portefeuille du roi à bonne école

Création en 2010 d’une holding pour gérer une université privée à Casablanca, rachat en 2019 du principal groupe scolaire privé : Mohamed VI met la main sur le marché de l’éducation des élites au Maroc. En dépit de ses discours sur l’égalité des chances grâce à l’enseignement public...

L'image montre l'Université Internationale de Casablanca. On peut voir des bâtiments modernes, avec des façades blanches et colorées. L'environnement est entouré de verdure, incluant des arbres et des espaces verts bien entretenus. Le ciel est bleu avec quelques nuages, et le sol semble humide, suggérant qu'il a peut-être récemment plu. L'ensemble dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég dég deg d'une atmosphère accueillante et dynamique.
Campus de l’université internationale de Casablanca

Sur les hauteurs de Casablanca, à quelques mètres des rivages de l’océan Atlantique, le quartier Anfa est l’un des plus cossus de la capitale économique du Maroc. Avec ses villas coloniales, ses rues larges et verdoyantes, ce coin du paradis au calme enchanteur dans la ville la plus polluée du pays est le lieu de résidence privilégié de l’élite économique et financière du pays.

La première école de ce qui deviendra le groupe scolaire Elbilia s’est installée dans ce cadre paradisiaque dès les années 1950. D’abord petite structure assurant des cours intensifs à une poignée de gosses de riches, Elbilia est devenu le principal groupe scolaire privé du Maroc, avec plus de douze établissements d’enseignement, principalement à Casablanca et Rabat, la capitale politique du royaume.

Ce qui n’était qu’une rumeur relayée du bout des lèvres par quelques sites d’information sera confirmé en septembre 2019 : la Société Maroc Émirats arabes unis de développement (Somed), un fonds détenu conjointement par le groupe Al Mada, ex-Société nationale d’investissement (SNI, (contrôlée par le roi Mohamed VI), et des capitaux émiratis (notamment de la famille régnante d’Abou Dhabi) s’est offert le contrôle intégral du groupe Elbilia. Le contrat, d’un montant équivalent à 90 millions d’euros, aurait été signé en mai 2019. « Cette somme devrait être payée en trois tranches, précise une de nos sources, et le fondateur et actuel directeur général d’Elbilia, Mustapha Rabie Andaloussi, restera dans le management du groupe scolaire pendant au moins deux ans. »

Le groupe Elbilia a pris une nouvelle dimension « internationale » en obtenant le label très convoité de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), un « sésame » hypersélectif accordé par le ministère français des affaires étrangères à des établissements privés marocains triés sur le volet, qui leur permet de dispenser les programmes scolaires officiels de la métropole. Ce « label » aux relents diplomatiques permet à la langue de Molière de préserver son rang de « langue des puissants » face à un arabe de plus en plus déprécié, et valorise indéniablement l’établissement privé qui le détient.

La reproduction des élites

Animés par une philosophie hypersélective afin d’assurer la reproduction de l’élite du royaume, ultra-minoritaire, francophone et basée essentiellement sur l’axe Casablanca-Rabat, ces établissements privés labellisés AEFE sont devenus le nouveau butin des entreprises du roi et, plus largement, de certains membres de sa famille. Ainsi, dans le quartier huppé de Souissi, le Neuilly de Rabat, un autre grand projet d’enseignement privé a vu le jour cette année : le groupe scolaire Jacques Chirac (GSJC ). Il est porté par la princesse Soukaïna, 33 ans, la nièce de Mohamed VI.

Le choix du nom n’est pas le fruit du hasard : l’ancien président français a été l’une des personnalités politiques les plus proches de la famille royale marocaine. Il va sans dire que le GSJC n’a eu aucun mal à obtenir le précieux label AEFE, pour le primaire comme pour le secondaire. Les frais de scolarité de ce groupe princier sont parmi les plus élevés du secteur : de 42 000 dirhams (4 200 euros) par an pour la maternelle à 54 000 dirhams (5 400 euros) par an pour le lycée, sans compter les frais de première inscription (3 500 euros).

Un secteur très lucratif

Par ailleurs, l’avidité des entreprises du roi pour les « nouveaux trésors » de l’enseignement privé ne se limite pas aux établissements du primaire et du secondaire. Elle touche également le secteur universitaire et s’étend à toutes les branches académiques qui « portent »… et rapportent.

Construite en 2010 par la Somed, l’université internationale de Casablanca (UIC) est un pôle académique qui s’étend sur une superficie de 10 hectares au cœur du quartier d’affaires Sidi Maarouf. Le coût global du projet ? Quelque 625 millions de dirhams (environ 62 millions d’euros). L’UIC est composée de quatre facultés privées : sciences de l’ingénieur, commerce et gestion, tourisme et management sportif, et enfin la plus controversée : sciences de la santé. Un « décret de reconnaissance par l’État », adopté dans la foulée par le gouvernement et publié au Bulletin officiel le 17 juillet 2017 le précise en des termes explicites : « Cette reconnaissance permet aux lauréats de l’UIC d’obtenir une équivalence automatique aux diplômes étatiques nationaux et d’intégrer aussi bien le secteur privé que la fonction publique. »

Quant aux frais de scolarité,, ils varient entre 66 000 dirhams (6 500 euros) par an pour les classes préparatoires (en deux ans) et 115 500 dirhams (11 000 euros) par an pour les masters en « business management et ingénierie financière ».

La prolifération de ces mégaprojets d’établissements privés portés par des holdings royales met à mal les discours du roi Mohamed VI pour un enseignement public assurant égalité des chances et qualité : « Il faut faire preuve de sérieux et de réalisme, disait-il dans son discours du 30 juillet 2015, et s’adresser aux Marocains en toute franchise en leur demandant : pourquoi sont-ils si nombreux à inscrire leurs enfants dans les établissements des missions étrangères et les écoles privées, malgré leurs coûts exorbitants ? La réponse est claire : c’est parce qu’ils cherchent un enseignement ouvert et de qualité, fondé sur l’esprit critique et l’apprentissage des langues, un enseignement qui permette à leurs enfants d’accéder au marché du travail et de s’inscrire dans la vie active ».

Quel crédit accorder à ces mots quand celui qui les prononce se lance via ses holdings dans des projets visant à privatiser l’enseignement, qui met à mal l’égalité des chances et la qualité des établissements de l’éducation nationale ? Dans un document accablant datant de mars 2015, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels du Conseil économique et social de l’ONU pointait dans ses articles 13 et 14 sur le droit à l’éducation la nécessité pour le Maroc de « fournir des renseignements sur la mise en place d’écoles privées et l’impact que la privatisation aurait sur le système éducatif, en particulier pour prévenir la déperdition scolaire, lutter contre les inégalités dans l’accès à l’éducation et assurer la pleine application du principe de l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous […] et améliorer la qualité de l’enseignement public. »

Fuite des cerveaux

La création d’universités privées de sciences de la santé, beaucoup plus accessibles que celles du public dès lors qu’on dispose des moyens financiers suscite le plus de controverses, notamment parmi les jeunes médecins issus du secteur public. Ces derniers sont engagés depuis plus d’un an dans un bras de fer contre le ministère de la santé qui a ouvert les examens d’internat et de résidanat aux étudiants des universités privées. Pourtant le secteur, déjà rongé par de profonds malaises manque cruellement de moyens structurels.

Conséquence : la fuite des cerveaux prend de l’ampleur et ne se limite plus aux ingénieurs et aux cadres supérieurs. Lors d’une intervention devant le Parlement marocain en juin 2019, un député du parti de l’Istiqlal (à l’époque au gouvernement) a indiqué que plus de 630 médecins avaient quitté le Maroc en 2018.

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