59 925 €Collectés
92%
65 000 €Objectif
41/47Jours

Maroc. Le roi, son or et le groupe Managem

Dans le tumulte des événements politiques qui secouent le Soudan, un mystérieux incident a propulsé la monarchie marocaine au cœur de l’actualité, avec un hélicoptère stoppé à Khartoum. Il transportait une importante quantité d’or, propriété du groupe Managem, appartenant à Mohammed VI.

L'image montre plusieurs barres en or empilées les unes sur les autres. Chaque barre a une surface brillante et métallique, affichant la couleur dorée caractéristique de l'or. Les barres semblent bien travaillées, avec des contours nets et une texture réfléchissante. En arrière-plan, on devine une surface moins définie, ce qui met en valeur le brillant des barres d'or au premier plan.

Le 9 mai 2019, un hélicoptère transportant une cargaison de 84 kilos d’or pour le compte du groupe marocain Managem (mines) contrôlé par la famille royale est intercepté par les autorités soudanaises alors qu’il se dirige vers la capitale Khartoum. Un premier communiqué officiel de ce pays indique aussitôt qu’il s’agit d’un « avion privé appartenant à une société étrangère », et qu’il a été « intercepté en train de transporter illégalement de grandes quantités d’or. » Le lendemain, une autre source officielle soudanaise nuance un peu : « L’hélicoptère a été arrêté parce qu’il ne disposait pas des autorisations nécessaires avant son décollage. » La quantité d’or saisie aurait été ensuite déposée à la Banque centrale du Soudan.

Cet incident, qui ternit un peu plus l’image de la monarchie marocaine en Afrique, a été abondamment relayé par les médias et les réseaux sociaux, et a remis sur la table la question très problématique des liens, souvent jugés « incestueux », que le roi du Maroc entretient avec l’argent et les affaires.

Avec une fortune personnelle de plus de 5 milliards de dollars (4,48 milliards d’euros) selon le magazine Forbes (2015), Mohammed VI est un homme d’affaires prospère qui contrôle le plus grand groupe financier du pays (Al-Mada, présent dans les secteurs les plus stratégiques de l’économie marocaine : banque, immobilier, télécoms, énergie, assurances, etc.). Il est à la fois « commandeur des croyants » (un statut qui le rend intouchable) et un chef de l’État disposant de pouvoirs politiques et administratifs quasi absolus, notamment en matière de nomination : les directeurs des « établissements publics stratégiques » sont désignés par lui, selon la Constitution.

La plupart de ces hauts fonctionnaires — qui doivent leur poste au monarque — sont souvent appelés à trancher dans les appels d’offres pour la conquête des marchés publics, où les entreprises du roi postulent au même titre que d’autres. Cela pose un problème de compatibilité avec les règles du marché et de la concurrence loyale, et augmente les risques de conflit d’intérêts tel qu’il est généralement défini : un conflit entre la mission d’un agent public et ses intérêts privés, susceptible d’influencer la manière dont il exerce ses fonctions.

Le groupe Managem est emblématique de cette situation, où le roi n’est pas un monarque à la scandinave, neutre, ou un arbitre transcendant les clivages politiques ou administratifs. C’est un acteur dont le statut et les prérogatives en matière de nomination peuvent facilement peser sur le processus d’octroi des permis d’extraction et d’exploitation des métaux précieux au Maroc. Résultat, Managem est depuis des décennies en situation de monopole écrasant dans ce secteur, et est devenu lui aussi intouchable.

Un « bazar franco-marocain »

La compagnie minière de Tifnout Tighanimine (CTT), première société du groupe avait été créée en 1930 par les autorités coloniales pour « l’extraction, la valorisation et la commercialisation des métaux de base, des métaux précieux, du cobalt et d’autres minerais ». Mais à partir des années 1990, une opération de grande envergure pour la privatisation des entreprises publiques est menée par le roi Hassan II (1929-1999) et André Azoulay, l’inamovible conseiller économique de la monarchie. Grâce à ce dernier, par exemple, le groupe français Accor a pu acquérir à l’époque six hôtels de la chaîne marocaine Moussafir et la gestion du palais Jamaï de Fès. Cette opération de privatisation qui avait pris la forme d’un gigantesque bazar franco-marocain a permis d’une part aux notables marocains proches du Palais de contrôler les entreprises publiques les plus en vue, et, d’autre part, aux sociétés françaises d’opérer un retour en force après la « marocanisation » de 1973, qui les avaient écartés momentanément du champ économique marocain.

C’est pendant ce partage de gâteau que la monarchie a pu acquérir ce qui deviendra Managem, aussitôt rattaché au groupe royal Omnium nord-africain (ONA), puis à la Société nationale d’investissement (SNI), devenue enfin Al-Mada. Managem se métamorphose en quelques années en un mastodonte dont le siège international est à Zoug, en Suisse, la capitale mondiale du courtage des matières premières et la ville où la politique fiscale est la plus généreuse de l’union helvète.

Aujourd’hui, Managem, c’est 500 millions d’euros de chiffre d’affaires selon les chiffres publiés par le groupe en 2018. C’est aussi et surtout une bonne dizaine de complexes miniers très riches en or et en argent :

Source : plaquette de présentation de Managem

En dehors du Maroc, Managem est présent dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne et d’Afrique noire, surtout dans l’exploitation des mines d’or. Sur les six complexes miniers exploités dans quatre pays du continent noir, seul celui de la République démocratique du Congo n’exploite pas l’or, mais le cuivre et le cobalt.

Source : plaquette de présentation de Managem

La poule aux œufs d’argent

À l’intérieur du Maroc, la majorité des complexes miniers exploités par Managem se situent dans les régions berbérophones, les plus pauvres du pays. Imider, au sud-est du royaume, à 137 km de Ouarzazate, est sans doute l’un des plus importants sites d’exploitation de l’argent. Niché au pied du Haut-Atlas marocain, cette mine produit chaque année plus de 240 tonnes d’argent destinées presque entièrement au marché européen et aux pays du Golfe. Mais à deux kilomètres du complexe, dans le village d’Imider et ses environs, les habitants, des Berbères de ce Maroc « inutile » selon Hubert Lyautey1, vivent encore à l’âge de pierre : aucune infrastructure socio-économique (pas d’hôpital ni d’écoles, des routes datant de la présence coloniale, etc.) n’a été prévue par les autorités depuis que l’exploitation a commencé en 1969.

En août 2011, dans le sillage du Printemps arabe, les villageois d’Imider organisaient un sit-in de longue haleine pour dénoncer la pollution des eaux par la mine d’argent exploitée par une filiale de Manager, la Société Métallurgique d’Imider (SMI) et protester contre la marginalisation dont ils souffrent depuis des décennies, alors que la mine située dans leur village et exploitée par le groupe royal — « une poule aux œufs d’argent », disent-ils — est la plus importante d’Afrique. Près de huit ans après, malgré la répression subie par les manifestants dont certains ont été arrêtés et condamnés à des peines de prison ferme, la mobilisation n’a pas faibli : ce mouvement est considéré comme le sit-in le plus long de l’histoire du Maroc.

1NDLR. 1854-1934. Officier militaire pendant les guerres coloniales, Lyautey a été le premier résident général du protectorat français au Maroc en 1912.

Soutenez Orient XXI

Orient XXI est un média gratuit et sans publicité.
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don défiscalisé.