Menaces sur le dernier bastion rebelle de Damas

La Ghouta orientale divisée et encerclée · Aux portes de la capitale syrienne, la Ghouta orientale est soumise à un siège depuis 2013. Elle risque de tomber dans l’escarcelle du régime, après la chute de plusieurs quartiers rebelles adjacents au cours des semaines passées. Une offensive similaire à celle menée à Alep semble toutefois peu probable pour l’instant.

Manifestation des habitants d’Erbin (Ghouta orientale) pour demander la fin des luttes entre factions et l’unité des combattants contre le régime.
Syrian revolution network.

Pour les rebelles armés, c’est sans doute la fin du rêve de renverser le pouvoir central en Syrie à partir de la capitale. Avec la perte, en moins de quatre semaines, de trois quartiers sur les six tenus par la rébellion depuis 2012, les groupes anti-Assad ont essuyé l’un des revers les plus sévères en six ans de guerre — après celui d’Alep en décembre 2016. La chute de Barzé, Techrine et Qaboun aux mains du régime, à présent sur le point de rétablir son autorité sur la totalité de Damas est d’autant plus accablante que les trois quartiers sont à proximité de la Ghouta orientale et abritaient des tunnels permettant d’approvisionner ce dernier haut lieu de résistance à Bachar Al-Assad aux abords de la capitale.

« Désormais, le régime syrien occupe également la région de Harasta, située à l’ouest de l’autoroute qui mène vers les quartiers est de Damas reconquis. Quant aux rebelles, ils ne contrôlent plus qu’une partie de Jobar, tandis que les quartiers de Kadam, Hajar Al-Aswad et Yarmouk sont en partie aux mains d’Al-Nosra ou de l’État islamique et font l’objet de négociations en vue d’une éventuelle évacuation des civils et des combattants », précise Rami-Abdel Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).

Située à 15 kilomètres de Damas, la Ghouta orientale, d’une superficie d’environ 30 km2 et qui abrite encore quelque 400 000 habitants, est ainsi le dernier grand bastion de la rébellion dans la capitale et sa périphérie. La région est soumise à un siège depuis 2013, à l’instar de nombreuses enclaves dans le pays. C’est une politique appliquée systématiquement par Bachar Al-Assad comme arme de guerre visant à obtenir des concessions en resserrant l’étau autour la population, parfois jusqu’à la famine, comme cela a été le cas début 2016 à Madaya. La Ghouta orientale est désormais dans le collimateur du régime, qui cherche à rétablir sa suprématie militaire totale sur la capitale et ses environs.

A contrario du scénario aleppin, une éventuelle opération d’envergure des forces loyalistes ne semble néanmoins pas imminente et même peu envisageable selon certains observateurs au vu de l’évolution du contexte politique depuis décembre 2016. Le contexte est en effet marqué par l’amorce d’un processus de désescalade parrainé par Moscou, mais aussi d’une stratégie militaire visant prioritairement à conquérir l’étendue désertique, riche en pétrole, et proche de la frontière syro-irakienne par laquelle transitent les armes destinées aux milices chiites.

« Après le dernier accord à Astana le 4 mai, il y a officiellement un cessez-le-feu en place dans la Ghouta. Je ne suis pas sûr que cela puisse durer longtemps, mais il me semble peu probable que le régime veuille lancer une offensive majeure dans l’immédiat », assure Aron Lund, chercheur à la Century Foundation. « Les factions rebelles étant divisées et hostiles les unes aux autres, Assad chercherait en parallèle à profiter de cette situation ainsi que des mauvaises conditions socio-économiques au sein de l’enclave rebelle pour mener des négociations séparées avec chacun des groupes » en vue de leur retrait, ajoute-t-il.

Luttes intestines et tactique d’usure

Les combats entre rebelles constituent en effet l’un des facteurs d’affaiblissement de la capacité offensive, mais aussi défensive au sein de la Ghouta orientale. Un élément sur lequel les forces loyalistes semblent miser dans leur stratégie d’éventuelle reconquête.

Les principaux groupes présents sur le terrain — Faylaq Al-Rahman, Jaish Al-Islam et Tahrir Al-Cham — se sont déjà livré plusieurs batailles. La dernière en date a eu lieu fin avril, faisant plusieurs dizaines de tués. Des combats acharnés entre ces groupes avaient éclaté en avril 2016, provoquant la mort de plusieurs centaines de miliciens et civils, avant qu’une trêve ne soit déclarée au Qatar un mois plus tard.

Conséquence de ces hostilités, la région est désormais découpée en trois zones d’influence de plus en plus déconnectées entre elles, avec la multiplication de barrages « frontaliers » interdisant la circulation d’hommes et de marchandises, et accentuant par la même occasion la pression économique sur les habitants déjà assiégés depuis quatre ans.

La première chasse gardée, située à l’ouest de l’enclave, est contrôlée par Faylaq Al-Rahman, la plus « modérée » des trois factions. Le groupe revendique son appartenance à l’Armée syrienne libre (ASL), toutefois « certains membres et leaders sont proches des Frères musulmans », selon Aron Lund.

Quant à Jaish Al-Islam, d’obédience salafiste, son emprise militaire s’étend sur « deux tiers de la Ghouta orientale », selon Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie au Washington Institute. Il s’agit de la faction la plus puissante dans le gouvernorat du rif (la banlieue) de Damas et contrôle aujourd’hui la ville de Douma ainsi que les banlieues nord et est de l’enclave rebelle.

Ahrar Al-Cham, un troisième groupe également salafiste et allié de Jaish Al-Islam sur l’échelle syrienne, cependant dans une moindre mesure dans la Ghouta orientale, possède quant à lui une branche locale « insignifiante il y a encore un an », dont l’action croissante reste relativement marginale en raison de divisions internes, selon le chercheur de la Century Foundation.

Enfin, proche de l’ex-Front Al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaida), Tahrir Al-Cham ne contrôle qu’une partie infime de la zone. Les combats survenus il y a un mois l’avaient opposé à Jaish Al-Islam, qui se battait, par ailleurs, contre Faylaq Al-Rahman. Ces luttes fratricides ont facilité la chute des quartiers de Qaboun et de Barzé, l’armée syrienne et ses alliés profitant des batailles entre les trois groupes pour attaquer au sol et par air.

Visant à affaiblir davantage la capacité de résilience et à pousser les rebelles à signer un accord d’évacuation, cette tactique d’usure pourrait être rééditée dans les semaines et mois à venir, estiment les observateurs, sans qu’il y ait besoin de recourir à une offensive majeure.

« Échec stratégique de la rébellion »

Si le scénario d’une opération militaire à grande échelle ne semble donc pas à l’ordre du jour — du moins à court terme — une chose est sûre : l’éventuelle chute de la Ghouta orientale, à plus long terme, signerait « l’échec stratégique de la rébellion contre Assad, après la perte de l’est d’Alep », souligne Aron Lund.

Cela devrait, par ailleurs, atténuer la pression sécuritaire sur la capitale et libérer l’armée ainsi que les milices locales et les forces paramilitaires à Damas d’un état de vigilance permanent, leur permettant ainsi de se déployer dans d’autres zones conflictuelles. « Certaines structures comme la garde républicaine pourront aussi assumer leurs fonctions de forces d’élite », ajoute le chercheur.

En attendant, les forces pro-Assad ne cessent de gagner du terrain grâce aux soutiens russe et iranien, se focalisant depuis quelque temps sur des zones contrôlées par l’organisation de l’État islamique (OEI) dans les provinces de Homs, Alep et Deir Ez-zor ainsi que sur l’étendue désertique du sud du pays. Dans le même temps, une course au contrôle de la frontière irako-syrienne entre ces dernières et les groupes rebelles appuyés par les États-Unis figure actuellement au cœur de la stratégie militaire.

Au cours des deux dernières semaines seulement, le régime a réussi à reconquérir près de 6 000 km2 du territoire, selon l’OSDH, soit l’équivalent de plus de la moitié de la superficie du Liban.

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