Modi en visite en Iran

Quel rôle pour l’Inde au Proche-Orient ? · Après les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, le premier ministre indien Narendra Modi est attendu à Téhéran le 22 mai pour son troisième voyage au Proche-Orient.

Narendra Modi avec le ministre iranien des affaires étrangères Mohammed Javad Zarif lors d’une précédente visite en Iran.

Le président chinois Xi Jinping et le premier ministre pakistanais Nawaz Sharif avaient chacun choisi d’enchaîner les étapes de Riyad et Téhéran lors de leur tournée respective du Proche-Orient en janvier dernier. Narendra Modi qui, contrairement à Barack Obama a reçu un traitement royal lors de sa visite en Arabie saoudite en avril 2016 a choisi de visiter les États du Proche-Orient séparément, comme pour bien marquer qu’il n’y a pas de lien entre ces visites. On peut y voir des raisons de calendrier, mais plus vraisemblablement, il s’agit là de bien marquer que les relations que New Delhi entretient avec l’un des pays de la région ne sauraient avoir de conséquences sur celles qu’elle a avec un autre — surtout lorsque, comme c’est le cas ici, les deux pays en question nourrissent mutuellement une hostilité notoire.

Pétrole et lutte antiterroriste

Indépendamment de la configuration régionale, les sujets bilatéraux ne manquent pas entre New Delhi et Téhéran. Si l’Inde importe massivement ses hydrocarbures des États arabes de la péninsule Arabique, il est essentiel de diversifier ses approvisionnements pour d’évidentes raisons de sécurité des approvisionnements, mais aussi parce que la croissance indienne est extrêmement vorace en énergie. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), en 2040, la dépendance de l’Inde au pétrole importé atteindra 90 % de sa consommation totale1. Or, l’Iran est non seulement un producteur de pétrole, mais ses réserves en gaz naturel sont les deuxièmes au monde après la Russie. C’est avant tout ce besoin vital de sécuriser ses approvisionnements qui explique que l’Inde ait constamment résisté aux pressions américaines visant à prendre ses distances avec la République islamique d’Iran. C’est dire combien la signature de l’accord nucléaire conclu à Vienne le 14 juillet de l’année dernière a été bien accueillie à New Delhi, suscitant l’espoir d’une levée progressive des sanctions.

À l’heure où dans toute l’Asie, le maître mot est la « connectivité », l’Inde place également de grands espoirs dans le port iranien de Chabahar, sur la mer d’Arabie dans la province du Sistan Baloutchistan, comme point d’entrée d’une route lui permettant d’accéder à l’Afghanistan et à l’Asie centrale sans avoir à traverser le Pakistan. En janvier, le gouvernement indien a accordé un prêt de 150 millions de dollars au projet de développement du port. Aux termes d’un accord conclu en mai 2015, l’Inde doit équiper et avoir la responsabilité opérationnelle de deux quais de Chabahar pendant une période de dix ans au terme de laquelle la responsabilité sera rétrocédée aux Iraniens.

Enfin, l’Inde et l’Iran partagent en grande partie une même préoccupation face au terrorisme des groupes djihadistes sunnites (organisation de l’État islamique, Al-Qaida et les groupes qui évoluent dans leur mouvance). Le fait que ces groupes aient souvent des liens, pour ne pas dire davantage, avec les services secrets pakistanais rapproche encore davantage New Delhi et Téhéran. Lors de ses déplacements à Abou Dhabi en août 2015 et à Riyad en avril dernier], Modi avait obtenu le soutien des autorités de ces pays dans la lutte contre le terrorisme. S’il se confirme que les relations indo-iraniennes comprennent bien un volet antiterrorisme, ce ne sera pas un mince succès pour le chef du gouvernement indien, jusqu’alors connu pour son nationalisme hindou et peu apprécié des musulmans indiens, d’avoir gagné à sa cause les dirigeants de trois pays musulmans d’importance et qui, dans le cas de l’Iran et de l’Arabie, s’accusent mutuellement de soutenir le terrorisme !

Collaboration discrète avec Israël

Narendra Modi devrait ensuite effectuer son voyage tant attendu (et retardé) en Israël et en Palestine. Compte tenu de son admiration pour Israël et pour Benyamin Nétanyahou, ses faits et gestes seront scrutés avec attention lors de ce voyage. Lorsqu’elle s’est rendue sur place pour préparer le terrain, la ministre des affaires étrangères Sushma Swaraj a pris soin de réitérer le soutien de l’Inde à la cause palestinienne. Mais pour les Palestiniens, qui ne se font plus guère d’illusions, ce ne sont que de bonnes paroles sans effet pratique.

La discrétion avec laquelle l’Inde et Israël collaborent de très longue date dans le domaine de la défense et de la sécurité ne trompe pas davantage. L’ancrage est profond et remonte aux années 1960, lorsque le pays était fermement dirigé par le parti du Congrès. Longtemps, Israël a été pour l’Inde comme une maîtresse que l’on fréquente sans la montrer en public. Il s’agissait alors principalement de ne pas heurter les pays arabes. Cette façon de faire a perduré pratiquement jusqu’à ce jour. Pourtant, non seulement les secrets entourant cette relation n’en sont plus, mais de surcroît, il n’y a plus aucun risque de fâcher les États arabes en se rapprochant ouvertement d’Israël avec lequel certains d’entre eux — notamment les monarchies du Golfe — affichent sans complexe une convergence stratégique face à l’Iran.

Non-interventionnisme systématique

Les dirigeants indiens partagent avec leurs homologues arabes une vive méfiance à l’égard des « printemps arabes », envisagés dès le début 2011 comme une source de déstabilisation nuisible aux intérêts indiens et aux communautés indiennes expatriées au Proche-Orient. L’évacuation massive organisée par la marine indienne en 2015 de 1 783 Indiens et 1 291 étrangers de 35 pays (y compris des Pakistanais) coincés au Yémen n’a fait que renforcer ce sentiment. La préférence pour le statu quo et l’aversion du changement ressortent clairement du témoignage ultérieur de l’ambassadeur indien en poste à Damas de 2009 à 2012, V. P. Haran, qui justifie après coup son soutien au régime de Bachar Al-Assad par l’implication supposée de groupes djihadistes soutenus par les pays du Golfe dans les premières manifestations contre le pouvoir syrien2.

La marque de fabrique de la diplomatie indienne au Proche-Orient est l’amitié professée à l’égard de tous et le refus obstiné de prendre position dans les querelles pouvant opposer ses différents amis. Cette politique est ouvertement assumée par de nombreux diplomates, responsables politiques ou observateurs au motif que, même si elle est critiquée, cette « non-politique » a jusqu’à présent donné de bons résultats. C’est ce qu’illustre parfaitement ce texte écrit par un vétéran de la diplomatie indienne, l’ambassadeur Ranjit Gupta :

La réticence ou la prétendue politique de passivité dans un environnement particulièrement imprévisible et volatile dans les zones de guerre ne reflète pas une absence d’esprit de décision, un renoncement au “leadership”, ni un comportement de “pique-assiette”. C’est simplement faire preuve d’une sage prudence. L’approche discrète, profil bas pragmatique de l’Inde, non intrusif, non interventionniste, qui ne juge pas, qui n’ordonne pas, qui ne prend pas parti dans les différends régionaux, fondée sur les avantages et bénéfices mutuels a produit des résultats très satisfaisants et il n’y a absolument aucune raison de changer les orientations générales de cette politique3.

Un grand pays sans influence

Le fait est que, d’un point de vue indien, marqué par des décennies de non-alignement, non-ingérence et d’« autonomie stratégique », le réflexe interventionniste qui caractérise au Proche-Orient la politique américaine et plus récemment, celle de la France n’a pas nécessairement produit des résultats satisfaisants. En tout cas, certainement pas au point de convaincre l’Inde du caractère erroné de sa diplomatie régionale fondée sur le bilatéralisme exclusif, au risque que son influence politique soit marginalisée. Car c’est bien là que se situe la limite de la politique suivie jusqu’à présent. Pour ses partenaires du Proche-Orient, l’Inde est un grand pays, représentant un marché important (pour les producteurs d’hydrocarbures), un fournisseur de main-d’œuvre abondante (qualifiée et non qualifiée), et désormais un partenaire dans la lutte antiterroriste, tandis que sa marine joue un rôle croissant dans la sécurité des lignes maritimes dans les eaux de l’océan Indien. Mais l’Inde n’offre (pas encore) une spécificité qui la situe à leurs yeux au-delà du partenaire utile et fiable.

Absente à dessein du marché de la médiation, dans lequel il y a surtout des coups à prendre, l’Inde doit désormais trouver ce qui fera d’elle le pays non seulement utile, mais indispensable dans cette région voisine et qui soit à la mesure du rôle qu’elle entend jouer sur la scène mondiale en ce début de XXIe siècle. La préservation du statu quo à tout prix et l’absence de toute prise de position sur les questions régionales au Proche-Orient ne lui permettront pas d’y parvenir.

1India Energy Outlook, AIE, 2015.

2Alia Allana, « Gulf countries played a role in the Syrian uprising », series.fountainink.in/.

3Ranjit Gupta, India and the Middle East Crises, National Institute of Advanced Studies (NIAS), Strategic Forecast n° 2, février 2016.

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