« N’ayez pas peur de Trump ! »

Revue de la presse du Maghreb et du Proche-Orient · « N’ayez pas peur de Trump ! » Cette injonction d’un éditorialiste saoudien résume assez bien la position de la plupart des dirigeants de la région. Sans tous se réjouir aussi ouvertement que le premier ministre israélien Benyamin Nétanayhou, ils voient sans déplaisir partir le président Barack Obama accusé par les uns de ne pas être intervenu en Syrie, par les autres d’avoir favorisé les changements en Egypte. Mais certaines inquiétudes s’expriment, notamment chez les Palestiniens.

Meeting de campagne de Donald Trump à Phoenix, Arizona.
Gage Skidmore, 29 octobre 2016.

Le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi est le premier leader à avoir félicité Donald Trump pour sa victoire. La réaction des autres chefs d’État arabes a aussi été positive, en dépit des positions politiques du candidat américain. En fonction du lien des journaux avec le pouvoir, les commentaires dans la presse arabophone reprennent le discours officiel ou se montrent plus critiques.

Pour Mohammed Abd Al-Hadi Allam, rédacteur en chef du journal égyptien officiel Al-Ahram, « la victoire de Trump et la défaite de Clinton infligent un coup destructeur au projet de tamkin ». « Tamkin » signifie la prise de pouvoir et sa consolidation, et fait référence ici aux Frères musulmans.

Cette victoire pave la route pour l’Égypte d’un retour vers une stature internationale qui lui revient de droit, celle de pivot du Moyen-Orient et du monde arabe. Si nous saisissons l’opportunité de travailler main dans la main avec Washington […], nous serons amenés à jouer un rôle plus central et pourrons faire face aux positionnements géopolitiques de certains pays de la région qui soutiennent officiellement des organisations terroristes » (11 novembre 2016).

Le 9 novembre, dans le quotidien indépendant Al-Shorouq, le rédacteur en chef Imad Al-Din Hussein, connu pour ses critiques du régime Sissi commente :

Les groupes extrémistes, l’État islamique en tête, se réjouissent de la victoire de Trump car elle leur procure un nouveau souffle.

En Arabie saoudite, l’ancien rédacteur en chef d’Asharq Al-Awsat Abd Al-Rahman Al-Rashed signe le 10 novembre un éditorial intitulé « N’ayez pas peur de Trump », dans lequel il revient sur les déclarations anti-musulmanes du candidat.

Les déclarations [de Trump] contre les musulmans proches du terrorisme et de l’extrémisme ne doivent pas être vues comme des positions racistes, islamophobes. En tant que musulmans, nous avons cette même vision. Ceux qui souhaitent confondre l’hostilité envers l’extrémisme et l’hostilité envers l’islam sont membres de groupes dont l’idéologie supporte les idées terroristes et ils ont pour but de faire pression pour mener à bien leur agenda politique.

Interviewé le 9 novembre dans Arab News, journal proche du gouvernement saoudien, le prince Abdallah Ben Faiçal Ben Turki, ambassadeur aux États-Unis explique :

Il est important de noter que nos deux pays ont fait face aux différents défis tout au long de notre Histoire avec succès, de la lutte contre l’expansion de l’Union soviétique à la libération du Koweït, mais aussi à la lutte menée contre Al Qaida et l’État islamique que nous avons menée côte à côte. Nos tactiques peuvent être différentes parfois [...], néanmoins nos objectifs généraux sont semblables, et nous espérons continuer sur cette lancée avec le prochain cabinet.

Le site internet Middle East Eye fait état de la censure de l’éditorialiste Jamal Khashoggi dont les éditoriaux sont publiés toutes les semaines depuis cinq ans dans le journal Al-Hayat News. La raison : le journaliste a exprimé des critiques envers Donald Trump devant le think tank Washington Institute :

Lorsqu’il s’agit du Proche-Orient, les positions de Donald Trump sont contradictoires, particulièrement concernant l’Iran. L’Arabie saoudite, inquiète par la présence de l’organisation de l’État islamique en Syrie et en Irak, est bien plus perturbée par les actions de l’Iran chiite. Dans son discours, Trump est anti-Iran, mais il soutient également Bachar Al-Assad dans le conflit syrien, ce qui in fine revient à soutenir le contrôle iranien de la région. Donc l’Arabie saoudite est en droit d’être inquiète de cette élection. Le fait de croire que le Trump président sera différent du Trump candidat n’est pas réaliste. Le royaume doit se préparer à quelques surprises et notamment à des positions critiques à son encontre. En définitive, le royaume devrait créer une alliance de pays sunnites afin de servir de rempart.

La réaction du royaume ne s’est pas fait attendre : « Jamal Khashoggi ne représente absolument pas l’Arabie saoudite à quelque niveau que ce soit et ses opinions ne sont que les siennes et pas celle du royaume », explique un représentant à l’agence Saudi Press Agency.

La presse proche du régime syrien n’a pas caché sa joie. Pour Waddah Abd Rabo, rédacteur en chef du quotidien Al-Watan,

La victoire de Trump aux États-Unis démontre que les citoyens sont de plus en plus conscients des tromperies, mensonges et des guerres dévastatrices ainsi que du fait que leurs politiciens se reposent sur l’argent des pays du Golfe. Il [exprime aussi] le mépris des citoyens à l’égard de la propagation du wahhabisme au sein de leurs propres mosquées et quartiers populaires, mais aussi le fait que certains gouvernements occidentaux ont permis aux Saoud et aux autres d’armer et de soutenir des organisations terroristes.

En Jordanie, Faiçal Malkawi écrit le 10 novembre dans Al-Rai un article intitulé « Les relations stratégiques entre la Jordanie et les US sont stables » :

Au fil des années, les relations de la Jordanie avec les États-Unis sont passées de relations bilatérales à des relations stratégiques ainsi que des alliances fortes dans de nombreux dossiers. Et les changements de cabinet qu’ils soient démocrates ou républicains, n’ont aucunement affecté les relations, au contraire, les relations politiques, économiques et militaires ont toujours été perçues positivement. De plus, les différents cabinets américains ont toujours su apprécier le rôle de la Jordanie ainsi que le leadership de Sa Majesté le roi Abdallah II dans une région du monde difficile où les conflits sont nombreux.

Le 9 novembre, Gulf News donne la parole à un haut fonctionnaire qui commente l’élection sous couvert d’anonymat :

Nous connaissons les positions d’Hilary Clinton et nous savions quel type de politique elle allait mener, mais avec Trump c’est plus délicat, il est imprévisible, il peut faire preuve d’une certaine ardeur dans ses propos ce qui peut être mauvais, cependant cela peut également être une bonne chose sur le long terme. Les républicains sont souvent plus intéressés par le Moyen-Orient, nous verrons ce que le futur nous réserve.

Al-Quds Al-Araby, basé à Londres et financé par le Qatar, publie le 11 novembre, dans un éditorial signé par la rédaction :

L’un des points controversés lors de la campagne de Trump était sa position vis-à-vis des pays du Golfe et ses déclarations dans lesquelles il expliquait que les États-Unis n’allaient pas protéger ces pays sans demander compensation. Ce qui a tout l’air d’un chantage d’une part ; or cela confère également aux États-Unis [...] le statut d’État tout puissant qui traite avec le reste monde sur le principe du ‘prix à payer’. Il est possible que si cet argument se pose également pour les pays membres de l’OTAN, cela apporte un certain réconfort aux Arabes qui ne seront plus seuls face à cette extorsion. Mais cette mesure montre véritablement comment Trump perçoit les pays du Golfe : des [pays] faibles qui ont besoin de soudoyer quelqu’un pour assurer leur protection !

Dans le journal francophone libanais L’Orient le jour, Anthony Samrani s’interroge : « Quel Donald Trump gérera le Moyen-Orient ? ». Pour lui,

l’arrivée au pouvoir du milliardaire américain est un saut dans l’inconnu pour l’ensemble de la communauté internationale. Sa politique pourrait bouleverser l’ordre international et remettre en question les bases du leadership américain, fondé notamment sur de solides alliances aux quatre coins de la planète. Ce scénario crée une véritable hantise pour les dirigeants en Europe, en Extrême-Orient et en Amérique du Sud. Mais c’est bien au Moyen-Orient que la mise en pratique de la doctrine de celui qui a dit vouloir interdire à tous les musulmans l’accès au territoire américain pourrait faire le plus de dégâts. Dans cette région complètement déstabilisée depuis cinq ans, chaque action des États-Unis peut entraîner un changement de l’équilibre des rapports de force [...].

C’est en Israël que la réaction a été la plus enthousiaste. On connaissait la promesse faite par le candidat Trump à l’actuel premier ministre Benyamin Nétanyahou de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël durant la campagne. La réaction de Naftali Bennett, ministre israélien de l’éducation, n’est pas non plus passée inaperçue : il a fait savoir par voie de communiqué que « la victoire de Donald Trump [était] une occasion formidable pour Israël de rejeter immédiatement l’idée d’un État palestinien. » De son côté, David Friedman, conseiller de Donald Trump sur le dossier israélien, confie le 9 novembre au Jerusalem Post que cette future présidence serait celle du « jamais vu »entre les deux pays : « l’amitié entre les États-Unis et Israël va se renforcer, et elle sera plus profitable qu’elle ne l’a jamais été… »

Côté palestinien, dans un éditorial de Al Ayyam intitulé « Le tremblement de terre Trump et la cause palestinienne », Hani Almasri prédit :

Le sentiment d’inquiétude chez les Palestiniens est important concernant la victoire de Trump […], sa partialité vis-à-vis d’Israël pouvant aller jusqu’à permettre au gouvernement israélien de se comporter comme il le désire sans craindre de représailles. Et ceci ouvre la porte à l’annexion de la Cisjordanie. Le veto américain bloquera n’importe quelle tentative internationale ayant pour but de condamner Israël en réponse. Néanmoins, il reste l’espoir que d’ici le 20 janvier, date officielle de la prise de pouvoir de Trump, Barack Obama marquera au fer rouge son mandat en encourageant l’adoption par le Conseil de sécurité du projet de résolution du processus de paix, avec les objectifs et les modalités de références se basant sur la nécessité d’un État palestinien.

Au Maroc, dans Al Huffington Post Maghreb, Salma Khouja s’interroge :

Les aides américaines que reçoit le Maroc risquent-elles d’être revues à la baisse ? Là est la grande question pour le Maroc. Le royaume est en effet bénéficiaire de l’assistance financière des États-Unis au niveau militaire, mais également, entre autres, d’aides sociales. […] Le candidat Trump avait promis de réduire les aides américaines à l’étranger, jugées trop coûteuses.

Dans La presse de Tunisie, pour Jawhar Chatty,

Ce résultat aura été un cinglant rappel que dans une démocratie la décision finale revient toujours au peuple et qu’une telle démocratie sera toujours et en toute circonstance fidèle à ses valeurs fondatrices, soucieuse de la liberté, de la paix et des droits de l’Homme. C’est sans doute à cette lumière qu’il sied d’apprécier les perspectives d’évolution des relations tuniso-américaines. Entre la jeune démocratie en devenir qu’est la Tunisie et la grande démocratie que sont les États-Unis d’Amérique, il y a, au-delà du partenariat stratégique, un réel et mutuel attachement à cette communauté de valeurs démocratiques. Il nous appartient toutefois de savoir positivement et intelligemment interagir avec la nouvelle réalité américaine, de rester lucides et pragmatiques en nous souvenant que bien plus que l’amitié, ce sont les intérêts qui régissent les relations.

Enfin, le journal de gauche algérien El Watan propose un bilan global sous la plume de Reda Bekkat, le 10 novembre : "Les électeurs américains ont donc choisi un homme sans expérience politique qui a affiché un ton sexiste, xénophobe et misogyne. » Il revient sur les

inquiétudes à peine dissimulées derrière des messages protocolaires des dirigeants des pays arabes et musulmans face à celui qui n’a jamais caché, tout au long de sa campagne électorale, ses intentions face aux musulmans indésirables d’entrée aux États-Unis, son hostilité à l’Iran et son intention de transférer l’ambassade US de Tel-Aviv à Al Qods (Jérusalem).

avant de conclure : « On peut penser […] que toutes ces tonitruantes sorties de Trump depuis juin 2015 ne sont en fait que surenchères électorales, efficaces certes, mais vite enterrées."

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