Au fur et à mesure que les violences antipalestiniennes en Israël continuent, les questions acides et indignées fusent sur les réseaux sociaux, seuls moyens pour les Marocains de s’exprimer avec une certaine marge de liberté. Où est le président du comité Al-Qods ? Que fait-il ? s’interrogent les internautes marocains avec un brin d’ironie.
Le président du comité Al-Qods ? Nul autre que le roi Mohamed VI. Ce titre, il l’a hérité de son père Hassan II (1929-1999) qui a créé en 1975 cette instance, dont le siège est à Rabat, pour dénoncer « la volonté d’Israël d’occuper, de judaïser et d’altérer les monuments de civilisation musulmans et chrétiens de la ville d’Al-Qods, partie intégrante des territoires palestiniens occupés et capitale de l’État palestinien ».
L’objectif d’Hassan II était double : conforter d’un côté son statut de Commandeur des croyants face à des courants islamistes de plus en plus prégnants en monopolisant le champ religieux où la « cause palestinienne », considérée comme un important vecteur de mobilisation, est aussi sacrée que l’affaire du Sahara occidental ; de l’autre, jouer au sein du monde arabo-musulman un rôle d’équilibre quasi acrobatique tant diplomatique qu’humanitaire, avec comme enjeu la préservation de « bons rapports » avec Israël.
Mais aujourd’hui, face au déferlement de la violence israélienne abondamment relayée par les médias (internationaux) et les réseaux sociaux, dans l’indifférence de la communauté internationale, le titre de président du comité Al-Qods est devenu un véritable boulet pour le fils d’Hassan II.
Les événements dramatiques que vivent depuis quelques jours les Palestiniens ne pouvaient pas tomber plus mal pour le roi, dont la popularité et l’image ne cessent de s’effilocher. Soulaimane Raissouni, un journaliste en grève de la faim depuis plus de trente jours, est entre la vie et la mort ; un autre journaliste, Omar Radi, a été hospitalisé après plus de vingt jours de grève de la faim à la prison d’Oukacha, à Casablanca.
« Le Maroc est contre ceux qui contestent l’existence d’Israël »
Les événements de Jérusalem interviennent cinq mois après l’établissement des relations diplomatiques entre le royaume chérifien et l’État d’Israël, et au lendemain d’une rencontre décomplexée de Nasser Bourita, le chef de la diplomatie marocaine, le 5 mai 2021, avec le puissant lobby sioniste basé à Washington, l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac). « Le Maroc, a déclaré Bourita par vidéoconférence lors de cette rencontre, est contre ceux qui sont en train de contester l’existence même d’Israël. Le Maroc a été contre cela depuis les années 1980, et le roi Hassan II avait été clair à ce sujet ». Il ajoutait en guise de précision tout à fait assumée : « Depuis plusieurs décennies, nos pays ont toujours eu des contacts directs qui se sont vraiment formalisés en 1994, soit au lendemain de la signature des accords de paix d’Oslo. Après, il y a eu une rupture des relations, mais en réalité, les contacts ne se sont pas interrompus. »
Face à la gravité de la situation à Jérusalem, un communiqué du ministère des affaires étrangères aussi laconique que bref (trois petits paragraphes) et datant du 9 mai annonça tout de même que « le Maroc, dont le souverain Sa Majesté le Roi Mohamed VI, que Dieu L’assiste, préside le comité Al-Qods, considère ces violations comme un acte inadmissible et susceptible d’attiser les tensions. » De quelles violences s’agit-il ? Aucune allusion, dans le communiqué, à l’État d’Israël comme auteur et responsable direct desdites « violences ».
« Le Royaume, poursuit le communiqué, considère que les mesures unilatérales ne sont guère la solution, de même qu’il appelle à favoriser le dialogue et le respect des droits. » Là aussi, même interrogation : de quelles « mesures unilatérales » s’agit-il ? Aucune allusion à Israël, pourtant décrit quelques jours auparavant par l’ONG Human Rights Watch comme un État commettant des crimes contre les Palestiniens : « Les autorités israéliennes commettent les crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution. Cette conclusion se fonde sur une politique globale du gouvernement israélien qui vise à maintenir la domination des Israéliens juifs sur les Palestiniens, et sur de graves abus commis contre les Palestiniens vivant dans le territoire occupé, y compris Jérusalem-Est. »
L’insoutenable légèreté de la presse
Humilié en décembre 2020 par le président du comité Al-Qods, qui l’avait contraint à signer devant les caméras du monde entier l’acte officiel établissant des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, le chef du gouvernement Saad Dine Elotmani (islamiste) n’a pas trouvé meilleure occasion pour tenter d’effacer, aujourd’hui, ce que même les sympathisants de son Parti de la justice et du développement (PJD) avaient, à l’époque, qualifié de « véritable honte ». Sur son compte Facebook, Elotmani s’est empressé, le 10 mai 2021, d’exprimer « vivement sa colère face aux violations des forces d’occupation contre Al-Qods et les habitants d’Al-Qods, et les attaques contre ceux qui prient à la mosquée bénie d’Al-Aqsa, d’où notre Prophète s’est élevé dans le ciel. » De vecteur de mobilisation, la « cause palestinienne » est devenue, pour ce parti de plus en plus contesté, un facteur de récupération électoraliste. À quelques mois des prochaines législatives (prévues pour septembre 2021), il était temps, en effet…
Tout aussi marquante est la manière dont les événements de Jérusalem sont « couverts » par la majorité de la presse marocaine. À l’instar du président du comité Al-Qods, c’est la discrétion et une légèreté parfois insoutenable qui l’emportent sur l’analyse, l’indépendance éditoriale et l’exhaustivité. À la prolifération démesurée des « sites d’information » (plus de 4 000 selon des chiffres non officiels) correspond une uniformité éditoriale et un traitement quasi moutonnier des faits et des événements. Après avoir été pendant longtemps un sujet sans tabou, un thème où journalistes et analystes donnaient libre cours à leurs plumes, « la question palestinienne » est en passe de devenir, après l’établissement des relations diplomatiques avec Israël, une ligne rouge s’ajoutant à d’autres thèmes « intouchables » comme la monarchie, l’affaire du Sahara occidental et la religion musulmane.
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