Philippe Henri Gunet (1956-2019)

Silhouette élancée, sourire un rien ironique, toujours courtois, précis dans ses analyses et fort dans ses convictions, Philippe Henri Gunet avait rejoint l’équipe d’Orient XXI en 2013, au moment du lancement du journal. C’était une aventure risquée : avec peu de moyens, sinon la détermination de l’équipe, il s’agissait d’expliquer l’actualité du monde arabe, dans sa diversité et sa complexité, sans se laisser impressionner par les modes médiatiques dominantes. Un défi que Philippe était prêt à relever.

Dans un comité de rédaction formé de journalistes, de chercheurs et d’un ancien diplomate, son profil était atypique : les militaires sont plutôt rares dans ce genre d’aréopages. Néanmoins, il s’est imposé, tant par ses qualités humaines que par ses connaissances de la vaste région que couvre Orient XXI, du Maroc à l’Afghanistan, acquises durant une longue carrière militaire. Il ne parlait jamais de manière froide ou surplombante. Il était conscient du fait que, derrière les analyses et la géopolitique, on trouve toujours des hommes et des femmes de chair et de sang, il les avait côtoyés tout au long de ses années de service.

Nous savions qu’il était général, mais nous connaissions peu son parcours. Il intègre l’école de l’air à Salon-de-Provence en 1977, puis s’oriente vers le renseignement. Promu capitaine en 1984, il étudie l’arabe à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) entre 1984 et 1987 et il perfectionne ses connaissances, aussi bien en arabe littéral que dialectal, durant une année à l’université américaine du Caire. Mais c’est la crise du Golfe, après l’invasion irakienne du Koweït le 2 août 1990, qui allait marquer un tournant dans sa carrière, faisant de lui un vrai spécialiste de la région. Pas de ceux qu’on voit défiler sur les plateaux de télévision, mais un homme qui allie analyse et connaissance du terrain. Il y acquiert une compréhension concrète de la guerre, avec son cortège de victimes et de destructions. Est-ce pour cela que, parmi les films de guerre qu’il aimait tant, figuraient La 317e section, de Pierre Schoendoerffer (1965) et Le Bateau, de Wolfgang Petersen (1981) — des histoire à hauteur d’homme, la guerre « vue d’en bas » ?

D’abord attaché de défense à Amman entre 1996 et 2000, il devient, après un séjour à Paris, attaché militaire au Yémen entre 2003 et 2006. Il gardera de nombreuses relations dans la région. Et l’on comprend que l’intervention saoudienne au Yémen en 2015 et la dévastation de ce pays l’aient profondément affecté. Il réalisera un entretien avec Jean Lambert, spécialiste de la musique traditionnelle de ce pays, « menacée par les bombardements ». Il intègre alors l’état-major des armées, dont il deviendra le chef de la division « régions », avant de prendre sa retraite en 2012 avec le grade de général de division aérienne.

C’est à ce moment qu’il rejoint Orient XXI, écrivant sous le pseudonyme de Marc Cher-Leparrain son premier article le 17 décembre 2013, « L’Arabie saoudite ébranlée par l’accord sur le nucléaire iranien ». Il en publiera une vingtaine d’autres, et donnera deux entretiens sur notre chaîne YouTube. Si le Golfe était sa région première d’expertise, ses connaissances dépassaient largement ce cadre.

Contrairement à tous ceux qui tendent à minimiser le problème palestinien, il avait conscience de sa centralité. Il regrettait l’ambiguïté de la position française qui, d’un côté autorise ses citoyens à combattre au sein de l’armée israélienne, et de l’autre dénonce régulièrement une occupation vieille de plus de cinquante ans.

Mais c’est sans doute sur la question du « terrorisme » qu’il apportera sa contribution la plus originale. Il mesurait l’impasse de « la guerre contre le terrorisme », lancée par les États-Unis et à laquelle la France s’était ralliée, réduite à à la seule action militaire — souvent des bombardements indiscriminés. Il expliquait que l’on ne pouvait combattre ce fléau sans s’attaquer à ses causes fondamentales. « Tant que l’Occident fabriquera des terroristes, il y aura des attentats », son article au titre provocateur aura un grand retentissement.

Déjà affaibli par la maladie, il écrira un dernier texte portant sur l’islam politique, objet de touts les fantasmes en France, « La démocratie, première victime de la guerre contre l’islam politique » : « En France, se focaliser sur la dimension religieuse de l’islam politique, c’est se tromper d’entrée pour le comprendre et y apporter des solutions pertinentes. Celles-ci exigeraient, il est vrai, un examen de la politique menée jusqu’à ce jour — remise en cause qu’il serait cependant faux de qualifier de renoncement aux fondements de la République et de recul de ses valeurs », ces valeurs qu’il a défendues jusqu’au bout.

Même durant ces derniers mois, alors qu’ils endurait de lourds traitements , Philippe n’a jamais cessé de maintenir le contact avec l’équipe d’Orient XXI, de donner son point de vue, comme il le faisait régulièrement sur sa page Facebook. Il appréciait nos réunions hebdomadaires, un lieu pour débattre et réfléchir. Il avait même trouvé dans Orient XXI une famille improbable avec laquelle il aimait échanger, voire se disputer, toujours avec courtoisie, élégance et humour. Notre journal était devenu pour lui une sorte de refuge (presque) aussi important que sa maison dans les Landes, pas très loin de sa ville natale de Pau, où il s’adonnait à sa passion pour l’équitation.

Orient XXI s’associe à la douleur de sa famille ; nous lui adressons nos plus sincères condoléances. Nous n’oublierons pas Philippe. Il restera parmi nous, et son exemple nous encouragera dans notre travail, auquel il a apporté une contribution inestimable.

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