Plus de doute, la fécondité augmente en Algérie

En Algérie, le nombre d’habitants a dépassé les 40 millions. La fécondité augmente à nouveau depuis une quinzaine d’années, après trois décennies consécutives de baisse tout à fait comparables à celle d’autres pays en développement. Cette impressionnante et étonnante reprise est-elle durable ? Quelles en sont les causes ?

Au 1er janvier 2016, la population algérienne a atteint 40,4 millions d’habitants et, selon les estimations de l’Office national des statistiques (ONS), elle aurait augmenté encore de 800 000 personnes au premier janvier 2017, compte tenu de la reprise soutenue de la natalité observée depuis une dizaine d’années. En effet, pendant deux années consécutives (2014 et 2015), l’Algérie a enregistré plus d’un million de naissances par an.

Pourtant au début des années 2000, après trois décennies de baisse très rapide, la fécondité algérienne en était arrivée au seuil du renouvellement des générations tant attendu des promoteurs du programme de limitation des naissances. De 8,1 en 1970, le nombre moyen d’enfants par femme avait été divisé par trois, atteignant 2,2 en 2002. Par sa rapidité, cette baisse de la fécondité avait surpris nombre de spécialistes. Pendant longtemps, l’Algérie avait véhiculé l’image d’un pays surpeuplé, à fécondité très élevée et à forte croissance démographique. Dans les années 1970, personne n’imaginait qu’une baisse aussi rapide puisse se réaliser dans ce pays aux traditions natalistes prônant que la meilleure pilule était le développement.

La baisse a été d’autant plus spectaculaire qu’elle avait tardé à venir. Entamé d’abord dans les villes et dans certaines catégories sociales, en particulier parmi les plus instruites, le mouvement a très rapidement gagné l’ensemble du pays. Au tournant du siècle, tout semblait indiquer qu’une telle chute conduirait bientôt, comme en Europe, à des taux de fécondité nettement inférieurs à 2. C’était d’autant plus probable que c’était ce qui se produisait déjà dans tous les pays en développement ayant connu des chutes rapides de fécondité. Dès le milieu des années 1990 par exemple, la Thaïlande était à 1,8 enfant par femme, Cuba et Singapour à 1,6, la Corée du Sud à 1,5 tandis qu’avec 0,8 enfant par femme, Hong Kong avait même dépassé l’objectif de l’enfant unique que poursuivait la Chine communiste. Et d’ailleurs, dans tous ces pays, à l’exception du cas déjà extrême de Hong Kong, la fécondité a continué à baisser depuis, tandis que d’autres pays du sud voyaient à leur tour leur fécondité tomber à moins de 2 : Iran, Émirats arabes unis, Liban, Chili, Brésil, Vietnam et, finalement, la Chine elle-même. Alors, pourquoi pas l’Algérie ? D’autant plus que c’était déjà ce qu’on observait dans les grandes villes algériennes (1,9 en 1998 puis 1,4 en 2001 pour Alger ; 1,9 en 1998 à Annaba et Tizi-Ouzou).

Il n’en fut rien. Bien au contraire, depuis une quinzaine d’années, l’Algérie connaît une vive remontée de sa fécondité. En 2014, celle-ci a dépassé les trois enfants par femme. Tout comme ce fut le cas pour la baisse, cette hausse a d’abord touché les grandes villes avant de s’étendre au reste du pays. Les deux grands instruments de la baisse de la fécondité ayant été le report de l’âge au mariage et la diffusion de la contraception, la première chose à faire est sans doute d’examiner leur évolution récente.

Célibat jusqu’à la trentaine

À partir de 1970, la natalité a commencé à diminuer avec une accélération au milieu des années 1980. Le taux de croissance naturelle de la population est alors tombé de 3,1 % en 1985 à 1,5 % en 2001 et le nombre moyen d’enfants par femme a été divisé par deux, de 4,4 enfants par femme à 2,2 (fig. 1). Comment expliquer cette baisse ?

Figure 1. Évolution des effectifs des naissances, des mariages et du taux de fécondité totale (TFT) en Algérie depuis 1970
Source : différentes publications de l’ONS

Pendant environ quatre décennies, les femmes algériennes ont retardé leur mariage de 3 mois et demi en moyenne par an, exprimant un changement sociétal considérable. L’institution matrimoniale est passée d’un régime traditionnel mariant les femmes dès leur puberté à un régime inédit les maintenant dans le célibat jusqu’à la trentaine en moyenne. Le célibat a augmenté à tous les âges à commencer par les jeunes adultes, d’abord sous l’effet de l’amélioration du statut des femmes (par l’instruction) et celui des contraintes matérielles (crise de logement, chômage des hommes, coût des mariages, etc.). Au début des années 2000, à peine 2 % de femmes de 15-19 ans étaient mariées, contre environ une sur deux en 1966. Les proportions de célibataires étaient sept fois plus élevées qu’en 1966 chez les femmes de 20-24 ans, et 14 fois plus chez celles de 25-29 ans. Si le mariage restait une ardente obligation, la société n’encourageait plus les jeunes au mariage précoce, et les femmes de plus en plus actrices de leurs unions sont allées beaucoup plus loin que le simple rejet du mariage précoce. En revanche, la sexualité hors mariage continuait d’être sévèrement réprimée. Retarder l’entrée dans le mariage, c’était donc, mécaniquement, réduire la capacité des femmes à mettre au monde beaucoup d’enfants.

Pas assez toutefois pour abaisser à près de 2 le nombre moyen d’enfants par femme. C’est le recours à la contraception qui, dans un deuxième temps, a permis d’atteindre ce résultat. Au milieu des années 1980, le pays s’est officiellement engagé dans une politique de limitation des naissances. En dix ans, la pratique de la contraception chez les femmes mariées est passée de 25 % à 57 %. En 2002, lorsque la fécondité a atteint son minimum de 2,2 enfants, près de deux femmes sur trois déclaraient utiliser une contraception, qui le plus souvent, est une contraception moderne (pilule et stérilet), donc efficace.

Amélioration du statut des femmes

Mais retard du mariage et usage de la contraception n’ont été que les instruments de la baisse de la fécondité. Pour saisir les ressorts de leur mise en œuvre, il faut s’interroger sur les raisons qui ont poussé au retard du mariage (dont l’objectif premier n’a d’ailleurs probablement pas été la volonté de faire moins d’enfants) et sur celles de l’évolution du désir d’enfants. Quels éléments du changement économique, social, culturel ont poussé dans cette double direction ? Car, effectivement ce sont souvent les mêmes facteurs qui ont engendré la volonté de se marier plus tard et celle de faire moins d’enfants. Toutes les enquêtes sur la fécondité l’ont montré, l’usage de la contraception a progressé avec l’amélioration de différents éléments du statut des femmes, notamment l’instruction et la participation à l’activité économique.

D’une part, l’instruction agit sur les transformations de la famille en augmentant d’un côté le coût de la charge des enfants du fait de l’investissement que les parents doivent effectuer pour leur scolarisation, mais de l’autre côté, l’école permet d’accélérer le changement culturel, en créant de nouvelles valeurs en rupture avec les normes traditionnelles et en permettant leur diffusion. D’autre part, l’instruction et la découverte de possibilités de se réaliser autrement que par le mariage conduisent les jeunes femmes à retarder leur union, d’abord pour s’instruire davantage puis pour acquérir un métier, voire entamer une carrière.

Chemin faisant, les femmes deviennent plus exigeantes sur le choix de leur conjoint, qu’elles retardent pour ne pas le rater. L’accès à l’instruction et à l’emploi salarié améliore le statut des femmes et atténue l’autorité masculine sur les décisions de procréation. Ainsi, en Algérie, les générations féminines d’après la guerre de libération ont fortement contribué à amener la fécondité algérienne à son niveau le plus bas du début des années 2000. Elles sont d’abord allées à l’école grâce à la politique de scolarisation universelle au lendemain de l’indépendance. Elles ont ensuite poursuivi leurs études jusqu’au lycée et l’université, et elles ont voulu faire valoir leurs diplômes pour obtenir un emploi ; elles ont ainsi retardé d’autant le moment du mariage. Dans les années 1980, l’âge moyen au premier mariage avait atteint 27 ans. Ces femmes ont débuté leur vie féconde en bénéficiant pleinement du programme de maîtrise de la croissance démographique mis en place à partir de 1983. Mais ensuite, elles ont subi de plein fouet des bouleversements socio-économiques et politiques des décennies 1980 et 1990 (crise économique, instabilité politique, guerre civile, climat d’insécurité, passage à l’économie de marché, et baisse du niveau de vie…). Sans oublier la crise aiguë du logement. Pour ceux qui aspiraient à un logement indépendant de celui des parents, l’attente avant le mariage était encore plus longue (trois ans de plus en moyenne pour les femmes de 35-39 ans enquêtées en 1992).

Ainsi aux premiers facteurs de développement ayant d’abord favorisé la baisse de la fécondité (développement de l’instruction, l’urbanisation, l’emploi salarié) se sont ajoutés les effets de la crise qui a poussé tant au retard du mariage qu’à l’adoption de comportements procréateurs malthusiens.

Pourquoi ce retournement de tendance ?

Alors qu’il paraissait peu probable que la baisse de la fécondité algérienne s’arrête au seuil fatidique de 2,1 enfants par femme, assurant le strict renouvellement des générations1, on a assisté à un brusque retournement de tendance. Que s’est-il donc passé ?

Faute de données annuelles par âge sur les mariages, on ne mesure l’âge moyen au mariage que de manière indirecte à partir des proportions de célibataires observées à un moment donné. Cela produit des indicateurs qui rendent compte de ce qu’était l’âge au mariage une douzaine d’années avant l’observation. Difficile dans ces conditions de juger des retournements de tendance. Tout porte à croire, cependant, que l’âge au premier mariage a cessé d’augmenter dans les années 1990 et qu’il a même diminué depuis. Plusieurs faits confortent cette hypothèse : le nombre annuel de mariages a fortement augmenté, beaucoup plus que la population, avec un doublement du taux de nuptialité tous âges confondus entre 2000 et 2010. On ne peut guère imaginer que cela soit possible sans un rajeunissement de l’âge au mariage. C’est très vraisemblablement le premier moteur de la hausse récente de la fécondité. La dernière enquête démographique, réalisée en 2012-2013, confirme cette hypothèse. Les proportions de femmes célibataires de 20-24 et 25-29 ans ont baissé de 11 % et de 18 % respectivement entre 2002 et 2012. Trois femmes sur quatre sont célibataires à 20-24 ans en 2012-13 contre plus de 8 sur 10 en 2002 (fig. 2).

Figure 2. Évolution des proportions (p. 1000) de femmes célibataire par groupes d’âge en Algérie depuis le milieu des années 1960
Source : différentes publications de l’ONS et exploitation par l’auteure de l’enquête Mics4 (2012-2013)

À ces unions plus jeunes et plus nombreux s’ajoute un certain reflux de la pratique contraceptive dans le mariage. À partir de 2002, la prévalence contraceptive chez les femmes mariées diminue et malgré une légère remontée en 2006, cette tendance à la baisse a été confirmée par la dernière enquête démographique de 2012-2013. Ainsi, tout comme le fut la baisse historique de la fécondité, le retournement récent est fort probablement le résultat combiné de ces deux phénomènes : un brutal rajeunissement de l’âge au mariage et un léger recul de la pratique de la contraception dans le mariage.

Moins de chômage et plus de logements

La crise du logement a joué un très grand rôle dans les changements démographiques qu’à connus l’Algérie au cours des quarante dernières années. Elle fut l’une des principales raisons de retard de l’âge au mariage. Entassés dans des logements très étroits, les jeunes couples, vivant avec les parents et les frères et sœurs, ont souvent fait le choix de retarder leur mariage et de limiter leur descendance. À la fin des années 1990, le pays a mis en place un programme très ambitieux de construction de logements sociaux dont le nombre annuel est passé de 120 000 en 1998 à 258 000 en 2013. Dans le même temps, l’Algérie a aussi renforcé l’accès à l’emploi par la mise en place d’un programme d’aide à la création d’entreprises aux jeunes femmes et hommes par ouverture de crédits spéciaux. Le nombre de projets financés chaque année est passé d’un millier à la fin des années 1990 à près de 70 000 en 2012. Cette mesure a permis de résorber une part importante du chômage massif (touchant parfois les trois quart des jeunes adultes, en particulier les diplômés).

Le taux de chômage des deux sexes confondus a été divisé par près de 3 entre 2000 et 2011. Toutefois, les femmes, aussi instruites et diplômées soient-elles ne constituent toujours que 17 % de l’ensemble des actifs. On a constaté qu’à partir d’un certain âge, correspondant en général à l’âge au mariage ou à celui de la première naissance, le taux d’activité des femmes s’effondre. Dans les années 1980 et 1990, l’absence de structure d’accueil pour les enfants en bas âge (crèches, maternelles), avait pu expliquer en grande partie le manque de femmes sur le marché de l’emploi et avoir un effet négatif sur la fécondité. Le contexte social et culturel d’une part, et le contexte sécuritaire d’autre part, ont conduit les femmes à sacrifier leur carrière professionnelles face à leurs responsabilités et rôles familiaux. Dans les années 2000 et 2010, les infrastructures de la petite enfance se sont développées mais le taux d’activité des femmes n’a pas connu la même tendance. Elles ont vraisemblablement choisi d’investir la sphère familiale plutôt que la sphère professionnelle.

Si l’amélioration des conditions économiques des ménages a permis une reprise vigoureuse de la natalité, c’est que le terrain y était propice et les mentalités ouvertes à l’idée de familles plus nombreuses. Quel regard portent alors les femmes et les hommes sur la place de l’enfant et sur la taille de la famille ? En 2002, lorsque la fécondité était à son niveau le plus bas, le modèle à quatre enfants dominait néanmoins chez les femmes mariées âgées de 15-49 ans (3,8 enfants désirés en moyenne). Aucune enquête récente ne permet de savoir ce qu’il en est aujourd’hui.

Si le désir d’enfants reste important et que les conditions matérielles le permettent, il est possible que la tendance à la hausse de la fécondité se poursuive. Toutefois, cette tendance peut tout aussi bien s’arrêter ou même se retourner à nouveau. Il est en effet très probable que l’âge au mariage se stabilise au terme de son rajeunissement en cours et ce simple arrêt entraînerait, toutes choses égales par ailleurs, un arrêt de la hausse de la fécondité, voire un certain reflux. De plus, si les femmes algériennes, de plus en plus instruites et diplômées accèdent demain plus facilement au marché de l’emploi, leurs désirs d’avoir trois ou quatre enfants pourrait venir en concurrence avec celui de réaliser de vraies carrières professionnelles.

Enfin, avec la forte réduction de la rente pétrolière, les programmes sociaux évoqués ci-dessus risquent bien d’être moins généreux sinon de disparaître, auquel cas il deviendra plus difficile de se marier et plus coûteux de faire des enfants et la fécondité pourrait fort bien reprendre le chemin de la baisse.

1Zahia Ouadah-Bedidi, Jacques Vallin, « Maghreb : la chute irrésistible de la fécondité », Population et Société n° 359, juillet-août 2000, Ined.

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