Qatar 2022. La Coupe du monde de football sous haute surveillance

Les problèmes posés par la tenue des mondiaux d’athlétisme à Doha du 27 septembre au 6 octobre 2019 ont jeté une lumière crue sur les défis qui attendent le Qatar dans les trois années qui viennent, avant la Coupe du monde de football de 2022. Un test pour un pays qui se sait sous haute surveillance.

Chantier de construction du stade Al-Janoub (Al-Wakrah) en janvier 2018

En annonçant en 2010 l’organisation de la Coupe du monde masculine de football au Qatar, le président de la Fédération internationale de football association (FIFA) n’avait fait que peu d’heureux, parmi lesquels on comptait quelques personnalités politiques du cercle rapproché de l’émir, à l’instar de l’ancien président français Nicolas Sarkozy. Ailleurs, ce ne fut que frustration, perplexité et inquiétude. Depuis, les tensions régionales n’ont fait qu’accentuer de tels sentiments. Les conditions d’organisation des mondiaux d’athlétisme fin septembre 2019, avec des sportifs évoluant devant des tribunes vides et sous une chaleur étouffante ont ravivé la polémique, notamment en France, allant parfois jusqu’à exiger un boycott de l’événement footballistique à venir.

Eux-mêmes candidats à la direction du leadership du football dans le monde arabe, les Saoudiens et les Émiratis qui ont vu leur frère ennemi rafler la mise avec les honneurs ont rapidement pu faire part de leur frustration. Dans le football professionnel, puis chez les supporteurs, la perplexité face au choix de confier l’organisation de la première Coupe du monde dans le monde arabe à un pays sans réelle histoire ni tradition footballistique — alors que des nations comme l’Égypte, le Maroc ou encore l’Algérie apparaissaient davantage comme des candidats naturels — n’a jamais réellement disparu. Le bouleversement du calendrier de la saison du fait de l’organisation de l’événement en hiver n’a fait que renforcer une certaine hostilité. Enfin, les spéculations quant aux motivations de la FIFA ont légitimé un discours critique qui a été jusqu’à remettre en cause l’attribution. Les soupçons de collusions et de corruption se sont affirmés : plus de la moitié du comité exécutif ayant participé au scrutin d’attribution de la Coupe du monde 2018 (Russie) et 2022 (Qatar) ont été soit écartés de la FIFA, soit inculpés pour des faits de corruption.

Inquiétude écologique

L’attribution de cet événement à une monarchie absolue a rapidement favorisé l’inquiétude des organisations de défense des droits humains qui ont constaté une dégradation des conditions de travail des ouvriers étrangers au Qatar. La situation des travailleurs ne s’est en effet pas arrangée après l’attribution de cette Coupe, même si elle favorise des changements de législation dans la mesure où le Qatar est placé sous les feux de la rampe. Il reste que les chantiers d’hôtels, d’infrastructures et de stades, souvent pharaoniques, s’accompagnent de calendriers serrés et augmentent les pressions exercées sur les ouvriers, entrainant une hausse des accidents.

Enfin, la situation climatique du Qatar continue à susciter de l’inquiétude, malgré l’annonce en 2015 du déplacement de la compétition à la toute fin de l’automne. À l’heure d’une prise de conscience écologique grandissante, voir la compétition s’organiser dans un pays parmi les plus gros émetteurs de CO2 par habitant peut paraitre scandaleux1. Afin d’anticiper la polémique, le ministre de l’environnement Mohamed Ben Abdallah Al-Rumaihi avait promis en 2018 un bilan carbone neutre pour la Coupe du monde, sans que les conséquences de cette déclaration aient été précisées. Les investissements dans des technologies de pointe destinées à réduire la consommation d’énergies fossiles, l’emploi des énergies renouvelables ou encore l’utilisation de matériaux recyclés dans la construction du Ras Abou Aboud Stadium, démontable et exportable2 ont semble-t-il satisfait les standards environnementaux de la FIFA, mais la controverse ne fait sans doute que monter.

En effet, derrière l’effet d’annonce, les questions demeurent quant à l’opérationnalisation. Le climat hostile de l’émirat nécessite une climatisation des stades extrêmement énergivore, y compris sans doute en hiver. Les stades ont en tout cas été construits avec cet objectif. Tel est le cas du premier livré (en 2017) : le Khalifa Stadium, où ont eu lieu les championnats du monde d’athlétisme. Pour beaucoup, les avancées techniques dans le domaine des énergies renouvelables ne permettront pas encore pas de compenser l’usage d’énergies fossiles pour leur fonctionnement à l’horizon 20223. La livraison des stades démontables reste pour l’heure un projet flou : si les rumeurs annoncent une livraison au Maroc pour sa candidature à l’organisation de la coupe du monde 2026, reste à savoir si cela sera effectif et à quelles conditions.

« Celle de tous les Arabes »

La décision de l’émir Tamim Ben Hamad Al-Thani de présenter, le 4 mars 2015, l’organisation de sa Coupe du monde comme celle « de tous les Arabes » se voulait triomphale et unificatrice, poussant dès cette époque chacun à prendre une position dans le conflit qui opposait déjà de façon latente l’Émirat à ses voisins du Golfe.

Mais au Qatar même, ce mode de présentation de l’événement a suscité un temps l’inquiétude : ouvrait-il la voie à une co-organisation de l’événement avec les pays voisins ? Comme lors de la Coupe du monde 2002 Japon/Corée, l’opportunité d’un rapprochement politique par le sport — dit « diplomatie du ping-pong » — était séduisante pour la FIFA. Elle a pris de l’ampleur après l’annonce du boycott du Qatar en 2017 par l’Arabie saoudite, le Bahreïn et les Émirats arabes unis. La petite taille du territoire qatari, sa faible expérience des compétitions internationales, mais surtout la question d’un élargissement de la compétition à 48 nations contre 32 aujourd’hui laissait penser jusqu’en mai 2019 que certaines rencontres pourraient se dérouler chez les voisins. La volonté du président de la FIFA Gianni Infantino et les efforts déployés par l’Arabie saoudite en ce sens n’ont pourtant pas eu raison du désir qatari de garder la Coupe à la maison, en acceptant que l’élargissement du nombre d’équipe ne se fasse qu’à compter de 2026.

Mais la controverse ne concerne pas uniquement l’organisation elle-même. Elle a jeté la lumière sur la stratégie sportive du Qatar ainsi que sa mise en concurrence avec d’autres pays, comme l’Arabie saoudite. Sur les continents asiatique, sud-américain et surtout africain, comme dans la ville de Saly au Sénégal, plusieurs voix s’étonnaient de voir fleurir des académies de football qataries — Aspire Football Dreams. Celles-ci étaient destinées à recruter de jeunes talents pour compenser un réservoir de joueurs très modestes dans le micro-État et présenter au monde une équipe compétitive. Toutefois, ces pratiques ont entaché la réputation du football qatari : les documents des Football Leaks diffusés en 2018 ont révélé que des investigations avaient été menées par la FIFA sur la naturalisation abusive de joueurs encore mineurs. Si l’importation de cadres d’équipes techniques étrangères est monnaie courante dans le football moderne, la naturalisation des membres d’une équipe nationale, qui plus est recrutés dans les pays les plus pauvres suscite bien des suspicions. Une situation que la victoire du Qatar à la coupe d’Asie jouée aux Émirats arabes unis en 2018 n’a pas pu atténuer.

Au final, en amendant son règlement relatif à la naturalisation des joueurs étrangers en 2014, la FIFA a contraint le Qatar à repenser sa stratégie. Sur le modèle librement inspiré de l’organisation des Jeux olympiques de Barcelone (1992) quand la capitale catalane s’était investie dans un projet sportif de long terme et intégré dans son environnement urbain, Doha recentre le projet Aspire sur son territoire. En accompagnant ce rééquilibrage stratégique d’initiatives similaires dans d’autres disciplines (cyclisme, tennis, athlétisme, rugby…), le Qatar veut faire de sa Coupe du monde une vitrine sur son potentiel multisports.

Le poids du boycott

Sans préjuger de l’avenir, les difficultés pour le Qatar restent nombreuses malgré ces ajustements et la levée de l’hypothèque du partage de la compétition avec les voisins. D’abord, la configuration des nouveaux rapports de force à l’international inquiète l’organisation de la compétition : l’exacerbation des tensions entre les États-Unis, l’Arabie saoudite et l’Iran laisse planer le doute quant à la sécurité de la région à moyen terme.

Au niveau régional, le boycott piloté depuis l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis depuis plus de deux années atteste d’une diplomatie qatarie sous contrainte. L’organisation de la Coupe du monde s’en trouve affectée à plusieurs niveaux. Tout d’abord sur le plan logistique : si le nouveau métro a inauguré sa première ligne en mai 2019 —, la construction de nouvelles routes, de nouveaux quartiers et hôtels ne semble certes pas avoir pris de retard, mais les budgets ont augmenté. Ensuite, sur le plan pratique, le boycott complique la mobilité des visiteurs ; les effets sur la fréquentation pourraient s’en faire ressentir. Enfin, sur le plan politique et religieux, la réponse à la question épineuse de la consommation d’alcool n’est pas encore arrêtée. Ce flottement est à même d’inquiéter les sponsors. Après une augmentation des taxes de 100 % en 2019 destinée à apaiser les franges conservatrices dans la région, l’émirat tente d’assouplir sa législation en la matière afin de rassurer les supporteurs, tout en manœuvrant avec prudence sur ce dossier qui pourrait, à terme, porter préjudice à son image dans le monde musulman.

Des travailleurs migrants dans la rue

Sur le front domestique, c’est bien sûr l’organisation d’une manifestation de travailleurs migrants le 4 août 2019 qui pose question. Les risques encourus par ces hommes interdits de manifestations ou d’affiliation à des syndicats témoignent tout d’abord de leur souffrance. En second plan, c’est la réaction de l’émirat annonçant des mesures sociales pour ces travailleurs qui illustre d’une part, le rôle important des acteurs comme les ONG, les médias, ou encore la société civile sur le développement des politiques de l’émirat ; et d’autre part, la volonté impérative du Qatar d’apparaître comme un bon élève de la mondialisation.

Pour autant, ces annonces ne signifient pas un retour soudain de la confiance internationale envers le Qatar. L’organisation de cet événement sportif demeure parsemée d’embûches, et cette attribution aura confirmé le lien entre football et politique, thématique qui était au cœur d’une récente exposition à l’Institut du monde arabe à Paris.

1Données du Global Carbon Atlas.

2Finalement le seul, contrairement à ce qui avait été annoncé lors de la candidature du Qatar.

3Polytimi Sofotasiou, Benjamin Richard Hughes, John Kaiser Calautit, « Facing the FIFA World Cup climatic and legacy challenges », Sustainable Cities and Society,volume 14, février 2015.

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