Armement

Qui paiera les Rafale livrés à l’Égypte ?

L’annonce publique de la vente de 30 avions Rafale à l’Égypte a suscité un certain embarras. Il s’explique par le bilan désastreux de ce pays en matière de droits humains, mais aussi par les questions que pose une livraison dont on peut se demander si ce n’est pas le contribuable français qui la règlera.

A. Pecchi/Dassault Aviation

Disclose, un média d’investigation, a révélé le 3 mai dernier la vente de 30 avions Rafale supplémentaires à l’Égypte par la société française Dassault Aviation. Le lendemain, la ministre des armées Florence Parly s’est à peine félicitée de ce « succès à l’export […] crucial pour notre souveraineté et le maintien de 7 000 emplois industriels en France pendant trois ans ». Le surlendemain, son porte-parole l’a justifié sur France Culture au nom de la lutte contre le terrorisme et par l’absence de « conditions aux échanges civils et militaires » posée par le président Emmanuel Macron en décembre 2020, lors d’une visite à Paris du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi. Côté égyptien, un communiqué laconique du ministère des armées a confirmé l’information.

Cette retenue gênée de part et d’autre s’explique. Le régime égyptien — qui ne vaccine toujours pas ses 100 millions d’habitants — préfère faire oublier qu’il s’endette lourdement pour acheter des armements dont l’utilité n’est pas évidente. La France, si prompte à dénoncer les atteintes aux droits humains en Chine, en Russie, en Turquie ou en Syrie, est sourde et aveugle sur ce qui se passe sur les rives du Nil où plusieurs de dizaines de milliers de prisonniers politiques sont détenus, alors que l’Assemblée nationale examine un projet de loi sur la solidarité internationale et la contribution de la France à la résorption des inégalités sociales dans le monde.

Le montage financier de la vente témoigne de cet embarras. La totalité des 3,950 milliards d’euros est empruntée aux quatre plus grandes banques françaises (Crédit Agricole, BNP, Société Générale et CIC) sur dix ans. Quoiqu’il arrive, Dassault Aviation est assuré d’être payé. On ne connait pas le taux d’intérêt pratiqué, mais il n’est sans doute pas inférieur au taux des prêts garantis par l’État (PGE) qui est de 3 % l’an, et porte sur un encours de 131 milliards d’euros. Les banquiers français ont obtenu que 85 % des 3,950 milliards d’euros soient couverts par une assurance, soit 3,357 milliards d’euros.

En cas d’impayés, la France assurera

C’est BPI France-Assurance-export, petite filiale de la BPI, dernière banque publique française qui a monté le dossier de ce qui est en réalité une garantie de l’État français. À quel prix ? On n’en sait rien. Signe de son importance dans le dispositif militaro-financier, malgré sa modestie : une société anonyme par actions simplifiée au capital de 30 000 euros, elle est présidée par le patron de la BPI en personne, Nicolas Dufourcq. Lors de la vente en 2015 des 24 Rafale précédents, 60 % de la vente seulement était assurée. Pourtant à l’époque, à la veille d’un programme drastique avec le Fonds monétaire international (FMI), la situation financière de l’Égypte était plus dégradée qu’aujourd’hui. Sans doute les banquiers sont-ils plus frileux qu’il y a six ans. En cas d’impayés, ils se tourneraient vers une autre société d’État, la Société de financement local (SFIL) détenue à 75 % par l’État et à 20 % par la Banque postale, qui est responsable, entre autres, du refinancement des grands contrats à l’exportation. C’est le premier émetteur d’obligations après l’État français : 7 milliards d’euros par exemple en 2017, dernière année connue. Si un « accident » survient sur le contrat égyptien, la SFIL allongera discrètement la durée des remboursements d’une ou plusieurs années sans que personne n’en sache rien, en dehors des parties concernées. Compte tenu de la situation des marchés financiers, inondés par l’argent injecté chaque mois par la Banque centrale européenne, la SFIL s’endette à très bon compte et le refinancement ne poserait pas de problème.

L’opacité du financement des contrats militaires a donné lieu à un rapport de Jacques Maire et Michèle Tabarot, deux députés qui préconisent d’instaurer un contrôle parlementaire sur les ventes d’armes comme cela se fait dans d’autres pays européens voisins, dont l’Allemagne. Malgré la proximité politique de Maire avec Emmanuel Macron — il est membre du parti présidentiel La République en marche (LREM), leur rapport a été enterré. Et pour cause. La Ve République entend depuis ses origines préserver son indépendance stratégique en fabriquant « at home » ses grands programmes d’armements terrestres, maritimes et aériens, et ceci en dehors de tout contrôle. La capacité de production de l’Hexagone est de l’ordre de 20 milliards d’euros par an. L’armée française a besoin, bon an mal an, de 10 milliards de matériels divers. Il faut donc trouver des clients étrangers pour assurer le plein emploi dans les arsenaux et les usines et maintenir en vie une industrie française de la défense. C’est ce qui se passe : la France, troisième exportateur mondial derrière les États-Unis et la Russie, vend en moyenne pour 10 milliards d’euros par an.

Les clients se font rares dans l’Union européenne où l’influence militaire américaine est dominante ; il faut les trouver ailleurs, en Afrique, au Proche-Orient et en Asie. C’est souvent périlleux : on n’oublie pas le scandale des rétrocommissions avec le Pakistan ou Taïwan, mais c’est incontournable pour les sept locataires qui se sont succédé à l’Élysée depuis 1958.

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