Islam

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Al-Azhar

La très célèbre Al-Azhar Al-Sharif vient de lancer un appel au boycott des produits suédois et néerlandais à la suite des gestes islamophobes de militants d’extrême droite qui s’en sont pris au Coran. Cette consigne, qui devrait avoir un impact limité au vu des habitudes de consommation dans les pays arabo-musulmans, rappelle néanmoins le souci de l’institution égyptienne de se placer en pôle de référence du monde sunnite. Mais qu’est-ce effectivement qu’Al-Azhar ?

Al-Azhar — La mosquée
Moody Man/Flickr

Beaucoup de personnes s’imaginent Al-Azhar uniquement comme une sorte de gigantesque séminaire théologique musulman dont le Grand Imam publierait des fatwas, mais la réalité est tout autre.

Al-Azhar, c’est avant tout un réseau de plus de 10 000 écoles maternelles, primaires et secondaires, où sont aujourd’hui scolarisés près de deux millions d’élèves. Ils y suivent le cursus égyptien national dans toutes les matières, mais les cours de catéchisme du gouvernement sont renforcés par un cursus propre. Ils doivent en particulier connaître le Coran par cœur pour décrocher la thanawiyya azhariyya, le baccalauréat azhari (ce qui techniquement fait de ces bacheliers et de ces bachelières des shuyukh et des shaykhat. Ces écoles sont pompeusement appelées «  instituts  ». Par ailleurs, ce réseau d’écoles ne se limite pas à l’Égypte. En effet, de nombreux instituts ont été fondés à l’étranger (Indonésie, Sénégal, etc.) À l’instar des écoles publiques égyptiennes, ils ne sont pas mixtes.

Une fois ce baccalauréat azhari décroché, par opposition au baccalauréat national général (al-thanawiyya al-ʿamma), les élèves peuvent s’inscrire à l’université d’Al-Azhar s’ils le souhaitent. Il existe quelques exceptions, mais globalement seuls les titulaires de la thanawiyya azhariyya peuvent entrer à l’université d’Al-Azhar. Le contraire n’est pas vrai  : les élèves des instituts peuvent très bien choisir d’entrer à l’université publique égyptienne. L’université d’Al-Azhar est composée de 83 facultés et 16 instituts universitaires. Ces facultés sont situées soit au Caire soit en province. Elles accueillent soit des garçons soit des filles. Elles enseignent des matières religieuses et des matières profanes.

Un réseau universitaire religieux et profane

Les facultés d’Al-Azhar sont organisées comme suit :

➞ Au Caire  :

  • 7 facultés de sciences religieuses (6 de garçons et une de filles)
  • 22 facultés de sciences profanes (13 de garçons et 9 de filles)

➞ En province :

  • 35 facultés de sciences religieuses (21 de garçons et 14 de filles)
  • 19 facultés des sciences profanes (10 de garçons et 9 de filles)

Les facultés présentes en province sont majoritairement des facultés religieuses (35 facultés sur 54) où on enseigne la langue arabe, la théologie fondamentale, le droit et la jurisprudence, la prédication… ; alors que celles présentes au Caire sont majoritairement profanes (22 facultés sur 29), et on y enseigne la médecine, l’ingénierie, les langues… entre autres. Il y a aujourd’hui près de 350 000 étudiants à l’université d’Al-Azhar en Égypte, dont près de 20 000 étrangers. Les anciens élèves de l’université aiment à rappeler que la première leçon y a été donnée en 972.

L’Organisation mondiale des diplômés d’Al-Azhar — longtemps appelée « Ligue mondiale des diplômés d’Al-Azhar » — n’est pas dans l’organigramme de la loi de 1961 (présenté ci-dessous) mais elle regroupe des centaines de milliers d’anciens étudiants. Très active, elle a ses propres activités et publications.

Cependant, à l’international et surtout pour les milieux non musulmans, la face la plus visible d’Al-Azhar n’est ni l’université, ni bien sûr les «  instituts  » primaires et secondaires, ni même l’Organisation mondiale des anciens diplômés, mais la Mashyakha (parfois traduit «  Grand imamat  »), qui est le siège du Grand Imam. La Mashyakha a ses propres activités, pour lesquelles elle fait volontiers appel à des donateurs dans le Golfe  : diplomatie internationale, politique de l’Académie, dialogue interreligieux national et international, Observatoire de l’extrémisme sur Internet, centres d’enseignement de l’anglais, du français et de l’allemand…

Plusieurs années de fréquentation assidue de l’université et de la Mashyakha m’ont appris que le Grand Imam a une influence très indirecte sur ce qui se passe à l’université, où les doyens sont tout-puissants. En général, on peut dire qu’il y a une assez grande différence entre les organigrammes officiels et la réalité du terrain. Chacune des institutions regroupées sous le terme générique «  Al-Azhar  » est tellement pléthorique qu’elles ont une grande autonomie et des activités parfois concurrentes.

Une organisation complexe

Le cheikh Aḥmad Al-Ṭayyib a été nommé Grand Imam d’Al-Azhar en 2010 par Ḥosni Moubarak. Mais il a obtenu que son successeur soit élu par le Conseil des grands oulémas, instance qu’il a remise sur pieds en 2012 pour tenter de soustraire Al-Azhar à une trop grande emprise de la présidence de la République.

Deux organismes dépendent directement du Grand Imam :

➞ Al-Mashyakha (voir ci-dessus).

➞ la Mosquée d’Al-Azhar. Des cours y sont organisés pour auditeurs libres, sanctionnés par des certificats d’audition. Cette mosquée ne dépend pas du ministère des cultes (wizarat al-awqaf) mais directement du Grand Imam.

La loi de 19611 prévoit ensuite deux instances  :

➞ Le Conseil suprême des affaires islamiques. Présidé par le Grand imam, il est composé du vice-Grand imam (wakil al-Azhar), du président de l’Université, des 83 doyens, de 4 membres de l’Académie nommés pour deux ans par le président de la République sur proposition du Grand Imam. Dans la pratique, ce Conseil n’a qu’un rôle honorifique. Pléthorique et très divisé, il ne mène pas d’actions en son nom propre ;

➞ L’Académie de la recherche islamique (parfois aussi appelée « Complexe des recherches islamiques »). Elle est composée de 50 membres dont 20 étrangers, nommés pour deux ans par le président de la République sur proposition du Grand Imam. D’après l’organigramme de la loi de 1961, c’est l’Académie qui organise toutes les activités d’enseignement et de recherche à Al-Azhar. Dans la pratique, les institutions suivantes sont très autonomes, certaines étant beaucoup plus actives que d’autres :

  • la Direction générale des étudiants étrangers ;
  • la Cité des délégations islamiques, c’est-à-dire le campus d’al-Darrasa pour les étudiants étrangers, car ils ne sont pas logés avec les Égyptiens   ;
  • Les instituts d’Al-Azhar à l’étranger, c’est-à-dire les écoles primaires et secondaires  ;
  • La Direction générale des délégations islamiques qui gère les Égyptiens envoyés en mission d’enseignement à l’étranger  ;
  • La Direction générale de la recherche, de la publication et de la traduction qui publie des ouvrages et des revues   ;
  • le Comité des fatwas, à ne pas confondre avec la Maison égyptienne de la fatwa (Dar al-Iftaʾ, voir plus bas). Il publie des fatwas et enregistre les conversions à l’islam   ;
  • la bibliothèque d’Al-Azhar qui regroupe surtout des manuscrits de cours des XVIIIe et XIXe siècles. Le nouveau bâtiment sur la rue Ṣalaḥ Salim est achevé mais il n’a pas encore été inauguré  ;
  • la Direction pour la revivification du patrimoine islamique qui publie des éditions de textes classiques   ;
  • la Revue d’Al-Azhar (Magallat al-Azhar), bimensuelle   ;
  • le Comité suprême de la prédication islamique ;
  • le Secteur des instituts d’Al-Azhar présenté plus haut   ;
  • l’Université d’Al-Azhar également présentée plus haut.

Al-Azhar est loin d’avoir le monopole des activités religieuses en Égypte. Quatre autres institutions existent à côté d’elle :

➞ le Conseil des grands oulémas. Présidé par le Grand Imam, il regroupe 40 membres qui doivent avoir plus de 55 ans et détenir un doctorat en sciences islamiques. C’est ce Conseil qui a été remis sur pied en 2012 par Aḥmad Al-Ṭayyib et dont le rôle doit consister à nommer le Grand Imam et le mufti  ;

➞ le ministère des affaires religieuses (wizarat al-Awqaf). Il recrute les imams prédicateurs sur concours et gère les mosquées publiques (pas les mosquées privées, ni la mosquée d’Al-Azhar).

➞ la Maison égyptienne de la fatwa (Dar al-Iftaʾ al-Miṣriyya). Elle est présidée par le Grand Mutfi, qui est, depuis 2012, élu par le Conseil des grands oulémas. Son rôle consiste à garantir la légalité religieuse des lois égyptiennes et à délivrer des fatwas.

➞ le Conseil suprême des congrégations soufies dont le président est nommé par le président de la République. Il coordonne les plus de 70 congrégations soufies officiellement enregistrées.

1Loi 103 de juin 1961, modifiée par la loi 7 d’avril 2013.

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