Le mot ramadhān désigne à l’origine le neuvième mois du calendrier lunaire musulman que l’on appelle aussi « calendrier de l’Hégire ». Pour mémoire, le point de départ de ce calendrier, autrement dit la date fondatrice de l’ère musulmane, est l’émigration — hijra ou Hégire — du prophète Mohammed de La Mecque vers Médine, le 13 septembre 622. Le mois de ramadan qui débute cette année le 6 juin 2016, selon l’apparition visible du croissant lunaire, est celui de l’année 1437.
Par glissement sémantique, le mot en est venu à désigner autant le mois que le jeûne qui doit s’y accomplir. Ainsi peut-on entendre des expressions comme « faire (le) ramadan », qui signifie « faire le jeûne du ramadan ». Cette remarque vaut pour nombre de parlers arabes, notamment au Maghreb où ce mot désigne implicitement le jeûne. À titre anecdotique, il arrive encore que l’on dise au Maghreb « faire carême » pour dire que l’on jeûne pendant le ramadan. En effet, durant la période coloniale, les Européens d’Algérie appelaient souvent — et à tort — le jeûne du ramadan « carême des musulmans ». Un dicton arabe bien connu où le ramadan est clairement identifié comme mois dit qu’il ne faut pas « mettre le ramadan avant chaabane », ce qui équivaut à « mettre la charrue avant les bœufs. »
Durant cette période de ving-neuf à trente jours, les musulmans sont appelés, entre autres, à jeûner de l’aube jusqu’au coucher du soleil. De manière concrète, ce jeûne — sawm ou siyam — consiste à ne pas manger ni boire. Il est accompagné par une abstinence sexuelle, par l’obligation de ne pas mentir, de ne pas proférer d’injures, de chasser les pensées « impures » et de façon générale, de ne pas commettre de mauvaises actions. Le non-respect de ces obligations invalide le jeûne. Les femmes enceintes, les malades et les voyageurs sont dispensés de jeûner, à charge pour eux de rattraper, quand ils le pourront, les jours non jeûnés. Le premier jour qui suit la fin du mois de ramadan est celui de l’Aïd-el-Fitr, autrement dit « fête de la rupture du jeûne », appelée aussi « l’Aïd el-saghir », le petit Aïd, par opposition à l’autre grande fête religieuse, l’Aïd el-kebir (grand Aïd) ou encore Aïd el-Adha « fête du sacrifice ».
Le mois de ramadan, situé entre les mois de chaᶜbān et de chawwāl est le seul du calendrier hégirien à être cité dans le Coran. La sourate II, dite de « La génisse », détaille ses prescriptions sur plusieurs versets1 (elles ont aussi été complétées par al-Sunna, la Tradition). L’un d’eux, très connu, indique qu’il est permis de manger et de boire (la nuit) jusqu’à ce que l’on puisse distinguer à nouveau « un fil blanc d’un fil noir » (II-183).
Mangez et buvez jusqu’au moment où un fil blanc peut être distingué d’un fil noir, à l’aube. Observez alors une abstinence totale jusqu’à la nuit.
(trad. Hamza Boubakeur).
Sur le plan étymologique, le mot ramadhān, qui peut être donné comme nom ou prénom, vient de la racine arabe r-m-d. Si ses significations sont multiples, elles tournent autour de l’idée de chaleur, du fait d’être brûlant, des cendres nées de l’incendie ou encore des fournaises de l’été. À l’origine, ce mois se situait en été, car le calendrier lunaire comportait des périodes intercalaires de façon à le rendre fixe par rapport au calendrier solaire. Mais aujourd’hui, le calendrier hégirien suit les cycles lunaires et « recule » donc chaque année de dix à onze jours. Ainsi, le ramadan 1438 devrait commencer le 25 ou 26 mai 2017.
Quatrième pilier de l’islam et référence historique
Sur le plan religieux, l’importance du ramadan ne vient pas simplement du fait que ses prescriptions sont détaillées dans le Livre saint. C’est, en premier lieu, le quatrième pilier de l’islam avec la profession de foi, la prière, l’aumône et le pèlerinage à La Mecque pour celles et ceux qui en ont les moyens. C’est durant la deuxième année de l’installation du Prophète à Médine que le jeûne est devenu obligatoire. À l’époque, cette pratique n’était pas inconnue des habitants de la péninsule Arabique dont certains étaient de confession juive ou chrétienne.
Pour les musulmans, jeûner n’est pas un acte de pénitence, mais une forme d’auto-purification à la fois physique et spirituelle, ainsi qu’un moyen de faire acte de solidarité avec les nécessiteux. Pour de nombreux croyants, c’est aussi une ascèse qui permet l’élévation spirituelle et l’affirmation collective de la foi.
En second lieu, le ramadan est aussi important sur le plan religieux parce que, au-delà du jeûne, il est le mois durant lequel a débuté la révélation coranique. En effet, c’est durant la « nuit du Destin » ou « nuit de la Destinée », laylat al-qadr, que le Coran a commencé à être transmis au Prophète. Il est communément admis, selon la tradition, que cette nuit « meilleure que mille mois » et où « descendent [sur terre] les anges ainsi que l’Esprit » (XCVII : al-Qadr, 1-2) se situe dans les nuits impaires des dix derniers jours de ramadan. Traditionnellement, la « nuit du vingt-septième » [jour] revêt beaucoup d’importance. Elle est l’occasion de soirées spéciales, de réunions de dévotion et d’invocations dans les mosquées ou dans d’autres lieux. C’est le moment à partir duquel on peut verser l’aumône propre au ramadan, zakat al-Fitr, qui tient son nom du fait qu’elle se fait lors de ou plus exactement avant l’Aïd el-fitr (ᶜId al-Fitr, « fête de la Rupture [du jeûne]) laquelle équivalait à près de 5 euros par personne en France en 2015. Dans de nombreux pays, c’est l’aboutissement des concours de récitation du Coran, tandis qu’il est de tradition de pratiquer la circoncision des garçons. Enfin, ce vingt-septième jour est souvent celui où les jeunes enfants « s’essaient » au jeûne pour la première fois.
Le ramadan a aussi une importance à la fois religieuse et historique. C’est respectivement le mois de la prise de La Mecque par le Prophète en l’an 8 de l’Hégire (630), celui de la naissance de Hussein, le petit-fils de Mohammed ou celui de la mort de Khadija, sa première épouse. Plus important, c’est durant le mois de ramadan que les musulmans ont enregistré, durant la bataille de Badr, leur première victoire militaire contre leurs ennemis mecquois en l’an 2 de l’Hégire (624). Cela a son importance, car c’est, entre autres, ce repère historique que des groupes extrémistes musulmans rappellent quand ils entendent justifier leur regain d’activisme et la multiplication d’actions violentes pendant le ramadan.
Une pratique sociale
Au-delà de l’aspect religieux — chaque soir, les croyants sont invités à accomplir des prières surérogatoires, ou tarāwīh — le ramadan est une période très contrastée. Le soir, après la rupture du jeûne (iftār) qui correspond au moment de l’appel à la prière « du couchant » (maghrib), l’activité sociale est intense. C’est ainsi que le mot ramadan a donné naissance au terme français de « ramdam », signifiant une grande agitation, et non sans une teinte péjorative : « vacarme ». Regroupements des familles autour de repas conséquents avec de nombreux plats traditionnels, ballets incessants de voiture, cafés pris d’assaut, veillées, manifestations culturelles, diffusions de feuilletons à succès par les télévisions, émissions et causeries religieuses, programmes de divertissements, tout cela se retrouve dans la majorité des pays musulmans. Ces dernières années, une tendance nouvelle est née, venue des pays du Golfe : longtemps cantonné au domicile familial, l’iftar ainsi que le sa/uhūr, la « collation » de fin de soirée ou même de fin de nuit, se prennent de plus en plus, pour celui qui en a les moyens, dans de grands hôtels ou des restaurants qui dressent des buffets débordants de nourriture. Il arrive même que ces repas soient sponsorisés par de grandes entreprises.
Dédié à l’abstinence, ce mois est aussi celui des gaspillages, du surcroît de consommation et du ressenti exacerbé d’inégalités d’autant plus mal vécues que les prix des denrées tendent presque toujours à augmenter. Veillant à ne pas aggraver les tensions sociales, les autorités des pays concernés tentent d’éviter les pénuries et de garantir aux plus démunis un approvisionnement bon marché, toutefois, pour certains foyers, ce mois demeure synonyme de difficultés financières et d’obligation de s’endetter pour assurer des repas rompant avec l’ordinaire, comme consommer de la viande tous les soirs. À cela s’ajoute le fait que l’activité économique est à ses plus faibles niveaux durant la journée dans ces pays. L’effet conjugué du jeûne et du triple manque de caféine, de nicotine et de sommeil fait que les entreprises et les administrations des pays musulmans tournent au ralenti, au grand dam de celles et ceux qui rappellent que le ramadan ne doit pas signifier le seul fait de se préoccuper de nourriture. Durant l’été, période où la productivité n’est jamais très élevée, l’impact négatif du ramadan sur l’activité ne change guère la donne. En revanche, pour les prochaines années, le mois de jeûne va de plus en plus coïncider avec des mois plus tempérés et cela pénalisera l’économie, même si la consommation en sort toujours stimulée.
Enfin, et cela concerne surtout les pays du Maghreb, des mouvements de non jeûneurs revendiquent régulièrement le droit de pouvoir manger en plein jour sans avoir à se cacher et, plus encore, sans avoir à craindre d’être poursuivis par la police. Ces contestataires, peu nombreux, rappellent qu’il fut une époque, notamment dans le monde arabe, où ne pas jeûner (certes discrètement) ne constituait pas une offense ni un délit pour les autorités ou aux yeux de la société.
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1Le Coran indique l’objectif du jeûne de ramadan : « Ô les croyants ! On vous a prescrit le jeûne comme on l’a prescrit à ceux d’avant vous, ainsi atteindrez-vous la piété. » [Sourate II - Verset 183].