« Une loi mauvaise pour Israël et mauvaise pour le peuple juif. » Qui juge aussi sévèrement le nouveau texte constitutionnel adopté cet été par la Knesset, le Parlement israélien ? Un intellectuel critique, comme l’écrivain David Grossmann, l’historien Zeev Sternhell ou le cinéaste Amos Gitai ? Tous, et bien d’autres, ont effectivement condamné le texte. Mais ce jugement émane… du président de l’État d’Israël, Reuven Rivlin ! Et pour cause : la loi officialise l’apartheid.
Un État sans Constitution
Israël n’a pas de Constitution : son père fondateur, David Ben Gourion, ne voulait pas s’opposer aux partis religieux, pour qui seule la loi religieuse juive, la Halakha, pouvait en tenir lieu. À la place, il s’est doté, au fil des décennies, de lois fondamentales régissant ses différentes institutions. Celle de 1992 l’a défini ainsi comme un « État juif et démocratique ». Cette définition s’apparentait à un oxymore (ou une contradiction) : si la majorité des citoyens était un jour arabe, l’État, pour rester juif, devrait fouler aux pieds son caractère démocratique.
« État nation du peuple juif »
Ce flou artistique ne suffisait plus à la droite et l’extrême droite au pouvoir, qui ont donc imposé le vote d’une nouvelle loi fondamentale, intitulée « Israël en tant qu’État-nation du peuple juif ». Pour dissiper toute ambiguïté sur cette expression, l’article 1 précise notamment : « L’exercice du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est spécifique au peuple juif. » Donc refusé aux autres, Palestiniens en tête. Symboliquement, abolissant le statut officiel que l’arabe partageait avec l’hébreu depuis 1948, l’article 4 écrit que « le langage de l’État est l’hébreu », tout en prévoyant pour l’arabe un « statut spécial ». Enfin l’article 7 stipule que « l’État considère le développement de l’implantation juive comme un objectif national et agira en vue d’encourager et de promouvoir ses initiatives et son renforcement ».
De vives réactions
Si les Arabes et les Druzes israéliens ont manifesté massivement contre cette loi, nombre de juifs l’ont également contestée. Car elle foule aux pieds les principes que, malgré tout, la Déclaration d’indépendance proclamait : le texte lu par David Ben Gourion le 14 mai 1948 promet que le nouvel État « développera le pays au bénéfice de tous ses habitants ; il sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d’Israël ; il assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ; il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture ; il assurera la sauvegarde et l’inviolabilité des Lieux saints et des sanctuaires de toutes les religions et respectera les principes de la Charte des Nations unies. »
Un état de fait transformé en loi
Pour Shlomo Sand, « cette nouvelle loi a été adoptée pour institutionnaliser la différence de fait qui existe entre Palestiniens et Israéliens ». L’historien a raison : ce texte ne fait apparemment qu’officialiser l’apartheid découlant de l’attribution de droits différents aux Juifs et aux Arabes, dans les territoires occupés mais aussi, du fait d’une multitude de lois et de règlements, en Israël même dont les Palestiniens sont pourtant des citoyens.
Alors, rien de nouveau ? Pas du tout : quand un état de fait se transforme en loi, il acquiert une légitimité qui le renforce considérablement.
Un prélude à l’annexion de toute la Palestine ?
L’adoption de cette loi ne doit évidemment rien au hasard. Elle est votée au moment même où la coalition de droite et d’extrême droite fait prendre au conflit israélo-palestinien un tournant historique : le passage de la colonisation à l’annexion, comme Naftali Bennett l’a affirmé en toutes lettres dans un discours aux responsables de colonies. Adieu, les deux États : le cap est mis sur un État unique, à majorité arabe mais à direction juive. C’est exactement cette perspective que prépare la loi sur « l’État-nation du peuple juif ». Si la communauté internationale l’accepte…
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