Le district d’Afrin est une petite province du nord de la Syrie, frontalière avec la Turquie. Sa population est en majorité kurde, mais de nombreux autres groupes ethniques (Turkmènes, Tcherkesses, Syriaques…) y cohabitent pacifiquement. En mars 2016, les Kurdes de Syrie parviennent à créer la Fédération autonome du nord de la Syrie. La population d’Afrin choisit de la rejoindre, devenant le troisième canton, avec ceux de Cizre et de Kobané.
Cette région est restée à l’écart des conflits violents qui se déroulaient à quelques dizaines de kilomètres, en particulier lors des bombardements d’Idlib et à Alep par le régime syrien, et l’afflux énorme de réfugiés a pratiquement doublé sa population. Tous ces réfugiés ont été accueillis et aidés, au mieux de leurs moyens, par le gouvernement autonome et les habitants, sans aucun soutien de la « communauté internationale ».
Recep Tayyip Erdoğan poursuit plusieurs objectifs
Le 20 janvier 2018, le président turc Erdoğan lance son armée contre la province d’Afrin. Plusieurs objectifs motivent son offensive.
D’une part, il joue la carte nationaliste pour redorer une image bien abîmée par l’étouffement de toute forme de contestation, les milliers d’emprisonnements et les dizaines de milliers de licenciements qui ont suivi le coup d’État manqué de 2016.
D’autre part — et surtout —, la hantise du gouvernement turc est la constitution d’une continuité territoriale entre les trois cantons de la Fédération autonome du nord de la Syrie — qu’on appelle aussi le Rojava — et la région kurde de Turquie. Il craint la contagion des revendications autonomistes dans cette région pourtant déjà écrasée où il a même détruit au bulldozer des quartiers et des villes entières, soupçonnés de « séparatisme ». Le mur de 500 kilomètres qu’il a fait construire à sa frontière ne suffit pas à le rassurer.
Enfin, il projette aussi, à plus long terme, d’annexer une partie du territoire syrien. L’annexion a déjà commencé à Jarablous et Al-Bab, villes syriennes qui ont maintenant des postes turques et des écoles enseignant le programme turc. Mais ses ambitions ne s’arrêteront probablement pas là : Idlib et Alep faisaient autrefois partie de l’empire ottoman.
Un combat inégal
En deux mois, la Turquie a presque atteint son but.
Les Forces démocratiques syriennes (FDS), qui regroupent principalement les Unités de protection du peuple (YPG) kurdes et des résistants démocrates avaient anticipé cette attaque que le président turc annonçait.
Mais le régime turc, en dépit d’une situation économique qui se détériore et de relations plus que tendues avec l’Europe, en particulier l’Allemagne (où vivent et travaillent des centaines de milliers de Turcs) dispose d’une supériorité militaire importante. Le combat est inégal. D’un côté, la Turquie possède la deuxième armée de l’OTAN et dispose des dernières technologies (tanks dernier modèle vendus par l’Allemagne, F-16 qui pilonnent les villes et les villages tous les jours) et est épaulée par des brigades djihadistes. De l’autre des milices populaires, équipées d’armes légères, sans tanks ni aviation.
Une offensive à huis clos
Avec des journaux et télévisions fermés, des centaines de journalistes emprisonnés (certains venant même d’être condamnés à la perpétuité) Erdoğan bénéficie d’une couverture médiatique sans la moindre critique.
Les médias étrangers, eux, sont soit totalement supervisés par l’armée turque soit empêchés d’entrer sur le territoire.
Le silence de Bachar Al-Assad
Alors que le territoire syrien est ainsi envahi, le régime syrien ne proteste pas. D’une part, ses forces sont occupées à écraser le dernier bastion de la contestation de son régime, la Ghouta, où ses bombardements ont tué et blessé des milliers de civils et jeté sur les routes de l’exil des dizaines de milliers d’autres. Mais surtout, il se satisfait de l’écrasement du projet démocratique du Rojava, celle d’une Syrie sans la dictature d’une ethnie ou d’une caste, où tous, hommes, femmes, jeunes, vieux, quelle que soit leur religion, bénéficient des mêmes droits.
La population d’Afrin livrée à elle-même
Au plan international, Erdoğan a joué sur deux tableaux. D’une part, un réchauffement de ses relations avec la Russie (qui soutient le régime syrien), la région d’Afrin étant dans la « zone d’influence russe » en Syrie. La signature de gros contrats entre Ankara et Moscou, en particulier celui d’un gazoduc pour acheminer le gaz russe, y a contribué. D’autre part, les États-Unis hésitent à condamner la Turquie, leur allié de l’OTAN.
Quant à l’Europe, qui négocie avec le président turc pour qu’il retienne les réfugiés, elle n’entend pas intervenir. D’où un lâchage honteux de la population d’Afrin. Comme du reste de la population syrienne.
En ce mois de mars 2018, le bilan est lourd. L’armée turque est entrée dans la ville, le gouvernement autonome a décidé d’en évacuer les civils, peut-être aussi les combattant-e-s, rien n’est sûr. Un sursaut de la conscience internationale permettra-t-il d’éviter le massacre annoncé ?
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