Lundi 16 décembre 2024.
Aujourd’hui, tous les regards se dirigent vers la Syrie, vers la chute du régime de Bachar Al-Assad et de sa Bastille, la prison de Saidnaya. Tous les médias du monde parlent de cette chute inattendue. Et ils ne parlent plus de Gaza.
On ne parle plus des massacres de Gaza, des boucheries de Gaza, on ne parle plus des israéleries qui, pourtant, ne se sont pas arrêtées. L’attitude des gouvernements occidentaux est tout aussi déplorable. Bien sûr, il y a cette théorie du complot selon laquelle il y aurait eu un deal entre la Russie et les États-Unis, pour négocier la Syrie contre l’Ukraine. Et que l’on verrait les résultats de ce deal après l’arrivée de Trump au pouvoir. Mais on constate que la Russie n’est pas intervenue pour protéger le régime, et on voit également que l’Occident estime pouvoir négocier avec ces groupes qu’il a lui-même étiquetés comme « terroristes ». Des ambassades vont rouvrir. Des envoyés spéciaux de plusieurs pays sont en route pour parler avec Ahmed Al-Charaa (nom civil d’Abou Mohamed Al-Joulani), le chef de Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) au pouvoir à Damas.
Dès qu’il s’agit de la Palestine, toutes les normes changent
Hier, Al-Charaa était un « islamiste extrémiste fanatique », aujourd’hui on peut discuter avec lui, pour voir si on peut arriver à travailler avec ces nouveaux venus. Pourquoi les Occidentaux n’ont-ils pas fait la même chose en Palestine ? Chez nous, en plus, les islamistes n’ont pas pris le pouvoir par la force, ils ont été élus ! En 2006, le Hamas avait remporté les élections législatives sur tout le territoire palestinien, la bande de Gaza et la Cisjordanie. Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne (AP) avait nommé le dirigeant du Hamas Ismaïl Haniyeh premier ministre. Son gouvernement avait aussitôt été boycotté par les gouvernements occidentaux, qui avaient annulé leurs aides. Pourquoi les pays occidentaux ont-ils refusé de reconnaitre ces élections ? Pourquoi n’ont-ils pas fait à l’époque ce qu’ils sont apparemment en train de faire en Syrie : tester le Hamas, parler avec lui, comprendre ses intentions, chercher à voir s’il avait changé ? Au lieu de cela, le refus fut immédiat. Le gouvernement formé par Ismaïl Haniyeh a été immédiatement boycotté par l’AP, les pays européens et les États-Unis.
Nous savons bien qui est le promoteur de ces doubles standards. Le berger mène les moutons. Aujourd’hui, il a décidé qu’en Syrie, l’ennemi pouvait devenir un allié, alors tout le monde est d’accord. Hier, quand il a refusé la victoire électorale du Hamas, tout le monde était pareillement d’accord. Et c’est ce qui est qui me fait de la peine. Dès qu’il s’agit de la Palestine, toutes les normes changent, le droit international change, le raisonnement change, les définitions changent. Quand il s’agit de la Palestine, c’est Israël qui décide des normes. C’est Israël qui décide qui est terroriste et qui ne l’est pas. C’est Israël qui décide avec qui on peut discuter, ou pas. Ces décisions sont évolutives. Yasser Arafat a d’abord été un terroriste avec qui on ne pouvait pas traiter, puis l’homme de la paix avec Israël, puis de nouveau le plus grand terroriste du monde, dont il fallait se débarrasser.
Pareil pour le Hamas. Israël a permis la création du Hamas, dans le but d’affaiblir l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Après, le Hamas est devenu un mouvement « qui veut détruire Israël, le rayer de la carte ». Pourtant, Nétanyahou a continué à le soutenir en facilitant les transferts de fonds à sa direction, à Gaza. Dès qu’on parle de résistance palestinienne en général, Nétanyahou sort la carte du Hamas. Résister, c’est interdit. On va vous occuper, annexer toute la Palestine et vous expulser. Et si vous voulez réagir, eh bien vous êtes des terroristes.
Toute forme de résistance est légitime normalement, qu’elle soit militaire ou populaire. Mais si nous, Palestiniens, voulons résister, nous sommes des terroristes. Y compris les journalistes. Les Israéliens n’arrêtent pas de les tuer, sous des prétextes divers. Si on travaille pour un média du Hamas, on est un terroriste, puisque le Hamas est un groupe terroriste. De toute façon, pour Israël et pour ses relais dans la presse mondiale, on ne peut pas être journaliste palestinien, on fait forcément de la propagande, donc on mérite la mort. Et c’est valable pour les Palestiniens en général.
Une force au-dessus des lois
Les Israéliens décident qui nous sommes. Notre identité à tous, c’est d’être des « terroristes ». Et le monde entier les suit. Israël dit que nous sommes des « animaux humains », et le monde se met à nous traiter comme des animaux humains. On le voit bien dans les réactions face à ce génocide, ce « gazacide » en cours. Le monde entier peut nous voir déchiquetés par les bombes, humiliés, affamés. Mais Israël dit que ce n’est pas un génocide, que ce n’est pas un nettoyage ethnique, alors qu’il déplace de force des centaines de milliers de gens du nord vers le sud, détruit leurs maisons avec des bombes d’une tonne. Du coup, l’Occident dit que ce n’est pas un génocide ni un nettoyage ethnique. Et qu’Israël « a le droit de se défendre ».
Et c’est cela qui est honteux. L’Occident n’arrête pas de nous parler de démocratie et de liberté. À l’époque des « printemps arabes », les Occidentaux ont soutenu les révolutions des peuples contre ces mêmes régimes qu’ils avaient également soutenus. Ils ont clamé les slogans de la démocratie, du droit international, du droit humanitaire. Mais quand Israël n’en veut pas, on cesse d’en parler. Au début, je croyais que c’était à cause d’un racisme latent qu’on ne s’intéressait pas à nous, parce que nous n’avons pas les yeux bleus et les cheveux blonds. Mais petit à petit, je me rends compte que la vraie raison, c’est que l’Occident a les mêmes normes qu’Israël. Bien sûr, je sais que des pays européens ont reconnu l’État de la Palestine et ont parlé de génocide, mais ce n’est pas la majorité. Alors que n’importe quel enfant à qui on expliquerait la signification du mot « génocide » dirait qu’il y en a un qui se déroule sous ses yeux. Mais nous sommes occupés par une force qui est au-dessus des lois et qui a le feu vert pour faire tout ce qu’elle veut.
Quand la Cour pénale internationale (CPI) émet des mandats d’arrêt contre Nétanyahou et son ministre de la défense, des États européens annoncent qu’ils ne vont peut-être pas les appliquer. Mais quand il s’agit de la Russie, ils en défendent l’application.
Le seul droit international, c’est la loi de la jungle
J’en suis arrivé au point de ne plus croire à tout ce que j’ai appris. On m’a enseigné les droits humains, le droit international, le droit de la guerre. Mais les plus forts ne sont pas concernés. Le seul droit international, c’est la loi de la jungle. La liberté, c’est la liberté de la jungle. L’égalité, c’est l’égalité de la jungle. C’est le plus fort qui les définit.
Nous, nous faisons partie des plus faibles. Et le plus fort, c’est-à-dire Israël, ne veut pas seulement nous détruire physiquement. Il veut implanter les nouvelles normes dans nos têtes. Il veut que nous, citoyens palestiniens qui n’avons rien à voir avec les factions, nous changions notre manière de penser, que nous acceptions les définitions israéliennes, qu’il n’y a pas de génocide, que tout Palestinien est un terroriste, et que nous n’avons pas droit à une patrie.
Et moi je leur dis que non. Je leur dis que nous sommes sous occupation et que nous allons continuer à lutter contre cette occupation. Le monde nous a abandonnés après le partage de la Palestine en 1947, puis de nouveau après l’occupation de toute la Palestine en 1967. Et une troisième fois aujourd’hui, face au génocide et au projet d’annexion de notre pays. Mais la question palestinienne va rester. L’homme palestinien va rester. La pensée, la lutte et de la résilience vont rester. Même si le monde refuse de nommer les choses. Ils peuvent se mentir à eux-mêmes, mais nous, nous ne pouvons pas nous mentir à nous-mêmes.
Nous finirons par obtenir notre liberté parce qu’à la fin, la justice va régner, même dans la jungle. À la fin, nous construirons notre patrie. À la fin, tout le monde verra à travers nos yeux. Parce que l’injustice ne dure pas. À la fin, nous, les Palestiniens, nous allons montrer au monde entier que nous sommes un peuple qui mérite de vivre, un peuple comme les autres, qui est sous occupation et qui un jour aura son propre État, pour vivre en paix avec le monde entier.
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