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Journal de bord de Gaza 96

Ce qu’ils ont vécu pendant 12 jours, nous le vivons depuis près de deux ans

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre 2023 son appartement de Gaza-ville avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, trois ans, sous la menace de l’armée israélienne. Réfugiée depuis à Rafah, la famille a dû ensuite se déplacer vers Deir El-Balah et plus tard à Nusseirat, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Un mois et demi après l’annonce du cessez-le-feu, Rami est enfin de retour chez lui avec sa femme, Walid et le nouveau-né Ramzi. Pour ce journal de bord, Rami a reçu le prix de la presse écrite et le prix Ouest-France au Prix Bayeux pour les correspondants de guerre. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024.

Une salle d'hôpital chaotique avec des blessés et des soignants.
Nuseirat, le 24 juin 2025. Une femme palestinienne regarde des personnes blessées par des tirs israéliens dans un point de distribution d’aide alimentaire mis en place par la Fondation humanitaire de Gaza (GHF) sur la route de Salaheddin, recevoir des soins à l’hôpital Al-Awda.
Eyad BABA / AFP

Et à la fin, Nétanyahou a frappé l’Iran. Une frappe « préventive ». L’enfant gâté des États-Unis et de l’Occident a décidé que personne ne devait avoir la bombe atomique dans la région, à part Israël. Comme d’habitude, la fameuse phrase a été sortie : « Israël a le droit de se défendre. » Parce que Nétanyahou nous répète depuis plus de 20 ans que l’Iran va avoir la bombe dans deux semaines. En réalité, c’est Israël qui a attaqué l’Iran, mais l’Iran, lui, n’a pas le droit de se défendre.

Israël a mobilisé ses propagandistes partout dans le monde. On a entendu, répété en boucle, le vocabulaire qui signe l’absence de compassion avec le peuple iranien. L’Iran est réduit au « pays des mollahs », à un « régime qui impose le voile aux femmes », alors qu’il faut au contraire accepter la norme occidentale et refuser aux femmes la liberté de porter le voile ou non et leur imposer l’obligation du maillot de bain et de la minijupe...

Les hommes et les femmes du monde entier doivent se comporter comme des Européens. Sinon, il est légitime de les bombarder « préventivement ». De toute façon, le « régime » iranien n’est pas démocratique, donc ce n’est pas grave de bombarder le pays. On l’a vu en Irak et en Afghanistan, avec pour résultat le chaos.

Quelques jours avant son intronisation, Donald Trump a publié une vidéo montrant un économiste célèbre, Jeffrey Sachs, traitant Nétanyahou de « sombre fils de pute » et l’accusant d’entraîner les États-Unis « dans des guerres sans fin » au Proche-Orient. Mais, aujourd’hui, Trump fait la même chose.

Israël frappe là où il a encouragé les Gazaouis à se réfugier

Ce qui m’intéresse, dans cette « guerre des douze jours », c’est la couverture médiatique de la riposte iranienne à l’agression israélienne. Pendant ces douze jours, on nous a entretenus avec minutie des quelques missiles qui ont atteint Israël, dont on savait où ils allaient tomber, et comment les Israéliens disposaient de nombreux abris pour se protéger. De nombreux journalistes nous ont raconté leurs nuits sans sommeil, à cause des sirènes et des explosions.

Je les comprends, parce que, ce qu’ils ont vécu pendant douze jours, nous le vivons depuis près de deux ans, multiplié par mille. Nous sommes visés 24 heures sur 24, et 7 jours sur 7. Nous ne savons pas où vont tomber les missiles et les bombes, nous ne savons pas où les drones vont tirer. Nous n’avons comme « abris » que les écoles de l’Unrwa, qu’Israël bombarde régulièrement, et nous n’avons ni eau ni nourriture. Israël frappe aussi l’endroit où il a encouragé les Gazaouis à se réfugier, la « zone humanitaire » d’Al-Mawassi, au sud. Quant aux « centres de distribution d’aide humanitaire », ils servent eux aussi de piège mortel, les Israéliens tirant froidement sur les foules affamées qui s’y précipitent.

Pendant cette courte guerre, des reportages nous ont montré l’hôpital israélien de Soroka, légèrement endommagé par un missile iranien. Nétanyahou a traité de « barbares » ceux qui visaient un hôpital où il y avait des patients. Les Iraniens ont affirmé qu’ils n’avaient pas visé Soroka, mais ma première réaction a été d’en rire. Comme on dit chez nous, le chameau ne voit pas sa bosse. À Gaza, l’armée israélienne a bombardé presque tous les hôpitaux, délibérément et avec précision. Quatre-vingt-dix pour cent d’entre eux sont hors service. Certains ont été entièrement rasés, comme l’Hôpital turc, spécialisé dans le traitement des cancers. Mais quand les destructions sont israéliennes, c’est justifié, c’est tolérable, que ce soit en Iran ou à Gaza — où il faut bien choisir ses mots et ne pas parler de génocide.

Bien sûr, c’est affreux ce que vivent les Palestiniens, mais c’est la faute du Hamas, n’est-ce pas, et non celle de Nétanyahou. De même, si l’Iran bombarde Israël, c’est par méchanceté, pas à cause de Nétanyahou qui ne veut pas arrêter les guerres, car sinon ce serait la fin de sa vie politique.

Les doubles nationaux israéliens vs les doubles nationaux palestiniens

J’ai vu aussi comment les Israéliens possédant la double nationalité, israélienne et française, étaient accueillis par la France. Comment ils ont été invités sur les plateaux de télévision, où ils racontaient combien cela avait été difficile de les faire sortir, l’aéroport étant fermé. Et où ils blâmaient l’ambassade de France en Israël, qui ne les avait pas évacués assez vite à leur goût.

Je ne veux pas généraliser, mais la majorité des médias n’ont pas été aussi attentifs, au début de la guerre israélienne contre Gaza, au sort de doubles nationaux palestiniens de Gaza, dont les Israéliens retardaient le départ, ni à celui d’Ahmed Abou Chamla, cet employé de l’Institut français de Gaza qui était sur une liste d’évacuation, mais pour qui Israël reportait sans cesse son feu vert. Il a fini par être tué le jour où il était enfin autorisé à partir. On n’invite pas non plus, aux heures de grande écoute, des Palestiniens sortis de Gaza à décrire leur enfer, réel celui-là.

Personnellement, je suis d’accord pour que les populations civiles soient protégées, et pour que l’on parle de toutes les souffrances humaines. Mais trop souvent, quand il s’agit des Palestiniens, l’humanité disparaît. On félicite l’enfant gâté qui est en train de se disputer avec tout le monde dans le quartier. On a l’impression que c’est un orphelin menacé, alors le monde entier doit lui servir de parent. Cet enfant-là est venu du monde entier occuper un territoire qui n’était pas à lui, mais dont il affirmait être le propriétaire. Dès le début, il a utilisé la violence, les massacres, les boucheries. Cela continue, de 1948 à nos jours. Mais « il a le droit de se défendre ».

Je sais que, malgré cette vision médiatique biaisée en Occident, des membres des sociétés civiles, des intellectuels, des journalistes relaient la vérité, et je les remercie. Un jour, ils auront raison. L’enfant gâté perdra le soutien des Occidentaux, évacuera les territoires occupés. Les Palestiniens vivront alors sur leurs terres, dans leur propre État, un État palestinien reconnu par le monde entier. Nous reconstruirons tout ce que l’enfant a détruit. Et Gaza sera une Riviera, mais construite et gouvernée par les Palestiniens.

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