Mardi 8 octobre 2024
Le 7 octobre, j’ai été sollicité par de nombreux médias français et francophones, radios, télévisions, presse écrite, qui voulaient entendre une voix de Gaza. Je leur ai raconté la souffrance des Palestiniens de Gaza depuis le 7 octobre, les massacres, les boucheries, l’humiliation, la famine. Gaza, c’est l’enfer sur terre.
Dans le cadre de ces sollicitations, j’ai participé à un débat sur une chaîne de télé. Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas pu dire, ayant passé les quelques minutes qui m’étaient allouées à répondre aux mêmes injonctions : « Condamnez-vous le Hamas ? »
Une participante du débat, que je ne connais pas, militante d’une organisation juive1, qui avait pu s’exprimer longuement dans la première partie de l’émission, accusait les Palestiniens de « toujours chercher à contextualiser le 7 octobre » qui, selon elle, n’avait donc rien à voir avec les 75 années précédentes. Elle s’est dite attristée de voir que « des voix venant de Gaza », en faisant allusion à moi sans le dire directement, ne voulaient pas condamner le 7 octobre. Parce qu’à Gaza, affirmait-elle, « on ne peut pas critiquer le Hamas par crainte de représailles ».
En veux-tu à ton frère, ou au voisin qu’il a frappé ?
Je ne défends pas le Hamas. Mais je crois que quelqu’un qui n’a pas vécu une occupation ne peut pas comprendre. La question de savoir si on condamne le Hamas, Moshé Dayan, alors chef d’état-major de l’armée israélienne, y avait répondu en son temps, comme je l’ai dit dans la dernière chronique de mon journal sur Orient XXI. Le Hamas n’existait pas à l’époque, mais Dayan parlait des résistants palestiniens armés. Pour lui, il était normal que des gens à qui on avait pris leur terre cherchent à se défendre. Et ma réponse à moi, c’est de dire : si ton frère a poignardé ton voisin qui vous a tout pris, votre maison, votre jardin, et qui vous a ensuite tous enfermés dans un petit morceau de terrain, et tué ta mère, tes frères, tes sœurs… est-ce que tu en veux à ton frère, ou au voisin qu’il a frappé ? C’est grave qu’on en soit arrivé à ne pas voir la réalité.
Si la dame défend une cause politique et idéologique, je dis bravo, elle le fait très bien. Mais si elle parle en ignorant ce qu’il se passe, c’est grave. En tout cas, personne au cours de l’émission ne lui a demandé de condamner les près de 42 000 morts des massacres de l’armée israélienne. Elle vit l’occupation du côté de l’occupant. Ce côté où on a vu des personnalités diverses écrire des messages sur les bombes et les missiles qui allaient s’abattre sur nous et nous tuer. Ce côté où on a vu un général israélien souhaiter un joyeux anniversaire à sa fille en bombardant un quartier de Gaza. Et tout cela au nom de la démocratie. Israël se comporte en démocratie avec certaines nations, mais quand il s’agit des populations qui vivent tout près, c’est l’apartheid, madame. En Israël, quand quelqu’un est accusé, il est jugé par un tribunal civil. Quand c’est quelqu’un des territoires occupés, il passe par le tribunal militaire. Encore faut-il passer devant un tribunal : des milliers de Palestiniens sont emprisonnés sans procès. Vous êtes l’occupant, vous avez volé des terres, et ceux qui les revendiquent sont des « terroristes ». Voilà la réponse que je n’ai pas eu le temps de faire.
Un discours en anglais, un autre en hébreu
Sur le plateau, il y avait aussi Charles Enderlin, l’ancien correspondant de France 2 à Jérusalem. Je sais très bien qui c’est. C’est son caméraman qui avait filmé l’assassinat en direct par l’armée israélienne du petit Mohamed Al-Durrah, au début de la deuxième intifada. Et il doit se rappeler très bien qu’il avait dû se défendre devant les tribunaux contre des militants pro-israéliens, soutenus par le gouvernement de Tel-Aviv qui, comme d’habitude, inversaient les rôles. Certains disaient que le petit Mohamed avait été tué par des balles palestiniennes. D’autres accusaient carrément le caméraman d’avoir mis en scène la mort de l’enfant, dont ils affirmaient qu’il était toujours vivant. Charles Enderlin a fini par gagner contre ces propagandistes délirants.
Enderlin a dit que cheikh Ahmed Yassine, le père spirituel et le fondateur du Hamas, avait prédit la fin d’Israël en 2027, et que tout ce qu’il se passe aujourd’hui, c’est parce que des gens veulent faire advenir cette prophétie. Il a parlé du fanatisme des dirigeants du Hamas. Bien sûr, la religion joue un rôle là-dedans. Mais j’aurais aimé pouvoir lui dire que Nétanyahou tient ce même discours. Ou plutôt, il en a deux : un, en anglais, pour les Occidentaux, où il leur parle de démocratie, et un autre, en hébreu, où il utilise le langage de la Bible. Comme je vous l’ai déjà dit, il désigne les Palestiniens comme « Amalek », c’est-à-dire les Amalécites, ancienne tribu dont on ne sait pas grand-chose, si ce n’est que la Bible la désigne comme une population à exterminer.
Mes enfants, eux, n’ont pas d’armes
Cheikh Yassine, lui, n’avait pas annoncé la fin d’Israël en 2027, mais la fin de l’occupation des Territoires palestiniens, si Israël le voulait. Le fondateur du Hamas avait aussi proposé aux Israéliens une trêve de longue durée. Mais il a été assassiné par Israël. Et Nétanyahou dit que nous sommes les Amalek, ce qui veut dire qu’il faut tous nous tuer, hommes, femmes, enfants, animaux, comme le dit la Bible. Ce n’est pas du fanatisme, ça ?
Charles Enderlin a des amis palestiniens, qu’il ne considère sûrement pas comme des terroristes. Est-ce qu’il considère que tous les membres du Hamas sont des terroristes ? Que celui qui promeut la lutte armée est forcément un terroriste ? J’aurais aimé avoir le temps de ce dialogue avec lui pendant l’émission.
Il parle de la censure imposée par le Hamas, qui contrôle toutes les images pour empêcher que l’on puisse voir la présence d’hommes armés dans les hôpitaux. Je lui aurais volontiers répondu que les blessés et les morts sont bien réels. Et que la censure existe dans toutes les guerres, de tous les côtés, y compris en Israël, où la censure militaire peut contrôler à tout moment la production des journalistes, et qu’elle impose, pour sa part, non une censure partielle, mais une censure totale sur son action à Gaza, puisqu’il interdit à la presse d’y entrer et qu’il a fait fermer les bureaux d’Al-Jazira sur son territoire. J’aurais aussi voulu lui dire que je le comprends aussi parce que, comme il l’a dit, deux de ses petits-fils sont à l’armée, et il a peur pour eux. Je comprends très bien que l’on ait peur pour ses enfants, je suis bien placé pour cela. Mes enfants peuvent être tués à tout moment par un missile israélien. Mais eux, ils n’ont pas d’armes.
Voilà tout ce que j’aurais voulu dire et que je n’ai pas pu. C’était sans doute par manque de temps.
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1NDLR. Simone Rodan Benzaquen est la directrice de l’American Jewish Committee (AJC) en France depuis 2010 et d’AJC Europe depuis 2015.