Dossier

La France et la Tunisie face au terrorisme

La partie de cartes, tableau de Fernand Léger, 1917.

D’un côté un pays d’Afrique du Nord, musulman, de l’autre, un pays européen et laïc. Ces deux États à l’histoire et au modèle politique différents sont confrontés au terrorisme : la France et la Tunisie sont à la fois des cibles du terrorisme et leurs citoyens sont parmi les plus représentés dans l’organisation de l’État islamique (OEI).

La démarche peut sembler étonnante mais au vu des similitudes, il a semblé opportun à Orient XXI, avec la contribution du CCFD Terre-Solidaire, de réaliser ce dossier comparant la guerre contre le terrorisme menée par la France et la Tunisie. La série d’articles met en évidence les ressemblances entre la situation d’un pays du Maghreb et celle d’un pays occidental sans gommer les disparités et les rapports de domination. Cette analyse transversale basée sur une approche encore inexplorée permet également de sortir d’une grille de lecture binaire et simpliste.

Si le manque de sources et de chiffres rend les analyses difficiles, elle sont plus que jamais nécessaires. Le terrorisme n’est pas un phénomène nouveau et il n’a pas un seul visage. Depuis le 11 septembre 2001, le monde a basculé dans une interminable « guerre contre le terrorisme » menée par les Occidentaux en réponse aux attentats d’organisations se revendiquant d’une certaine lecture de l’islam, qui disent riposter aux politiques et offensives occidentales... Ces attentats sont surmédiatisés et surinvestis politiquement et à ce jour, la guerre mondiale contre le terrorisme est un échec.

L’un de ses épisodes les plus significatifs est la guerre de 2003 menée par les Etats-Unis contre l’ancien allié devenu « terroriste », Saddam Hussein — comme Oussama Ben Laden fut un allié contre les Soviétiques. Cette intervention a notamment débouché sur l’installation d’Al-Qaida en Irak puis à la création de l’Organisation de l’État islamique. Depuis, les attentats ne cessent de se multiplier, forçant les populations européennes notamment à s’habituer à vivre avec la peur. Cette peur, les habitants de nombreux pays arabes et/ou musulmans la connaissaient déjà : les Afghans, Irakiens ou Yéménites pour ne citer qu’eux vivent avec depuis le 11-Septembre, ils suscitent néanmoins moins de solidarité et d’émotion puisque assimilés aux terroristes au lieu d’être vus comme des victimes.

Pourtant en 2015, un groupe de médecins lauréats du prix Nobel de la paix révélait dans un rapport que « la guerre contre le terrorisme » avait tué « un million de civils irakiens, 220 000 Afghans et 80 000 Pakistanais (sans compter les victimes des drones ou de la première guerre du Golfe) ».

La même année, la France a subi plusieurs attentats, revendiqués par des partisans ou membres de l’OEI. Contrairement à la Norvège qui, après l’attentat terroriste du suprématiste blanc Anders Breivik avait prôné l’ouverture et l’unité, les autorités françaises ont opté pour la division et une stratégie du tout sécuritaire comme les Etats-Unis.

La doxa majoritaire accusait les auteurs d’attentats d’en vouloir aux « valeurs » de la France et l’argument selon lequel les interventions françaises au Proche-Orient ou en Afrique étaient l’une des causes des attaques était disqualifié. Mais comment expliquer le fait que la majorité des attentats visent des pays musulmans, comme la Tunisie, phare des révoltes arabes qui sortait d’une période autoritaire durant laquelle les différents présidents français avaient soutenu Zine El-Abidine Ben Ali, justement parce qu’il aurait été un rempart contre le terrorisme, qu’il nourrissait en fait ?

En France comme en Tunisie, les gouvernements successifs s’obstinent à opter pour une solution qui se révèle inadaptée au lieu de penser et appliquer une politique durable et efficace. Ils vont jusqu’à instrumentaliser la lutte contre le terrorisme dans des cadres qui n’ont rien à voir, comme le dénoncent des ONG telles que Amnesty International ou Human Rights Watch, surtout pour restreindre les droits et libertés.

Dans le premier article de ce dossier, Zohra El Mokhtari revient sur le concept de terrorisme. « Terrorisme » — comme « radicalisation », « salafisme », « djihad » ou d’autres termes1 — sont utilisés sans être expliqués. Que désigne le terrorisme en France, en Tunisie et dans le monde ? Qui est « terroriste » ou « résistant » ? Pourquoi les actions de militants d’extrême droite ne sont pas qualifiées de terroristes quand celles de personnes identifiées comme musulmanes le sont quasi systématiquement ? Le terrorisme n’est pas clairement défini dans le droit international. Dès lors, comment lutter contre ? La Tunisie, relativement épargnée jusque récemment, se pose désormais la question. Les Tunisiens seraient les plus représentés dans les rangs de l’OEI et les Français ne sont pas en reste. Qu’est-ce qui pousse des Tunisiens et des Français à faire un tel choix ? Malek Lakhal et Yassine Nabli tentent de l’expliquer. Et où les militants sont-ils recrutés ? Les prisons seraient un lieu propice, Jérémy Felkowski revient donc sur la politique carcérale qui aboutit à l’incarcération dans les mêmes lieux de « petits délinquants » et de « terroristes ».

Malgré les critiques contre cette politique et les autres mesures sécuritaires, la réponse a été un durcissement des lois et une répression menaçant des libertés fondamentales. La France est allée jusqu’à notifier le 24 novembre 2015 à la Cour européenne des droits de l’homme son intention de déroger à des droits garantis par la Convention européenne (CEDH) et par l’ONU. De son côté, le quartet du dialogue national tunisien composé de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), la Ligue tunisienne des droits de l’homme et l’ordre national des avocats tunisiens obtenait le prix Nobel de la paix 2015 « pour son soutien à la transition démocratique » quatre mois après les attentats de Sousse et malgré l’intensification de la répression. Hassina Mechaï répertorie ainsi les dérives de l’état d’urgence, mis en place par la France en Algérie en 1955 durant la colonisation pour réprimer les mouvements de résistance et en Tunisie en 1978, en période de grèves, et son instrumentalisation dans les deux pays.

Dans un tel contexte, comment réagissent les populations ? Cyril Lemba détaille les initiatives portées dans ces sociétés rongées par le chômage, la précarité et d’autres inégalités, facteurs de basculement vers le terrorisme d’après les études menées et contre lesquels les gouvernements n’agissent là encore pas efficacement.

Ce dossier a été réalisé par Warda Mohamed pour Orient XXI, avec la contribution d’Alice Champseix du CCFD Terre-Solidaire, Thameur Mekki de Nawaat et Katy Stone et James Brownsell de The New Arab. Il est disponible en français sur Orient XXI, en anglais sur The New Arab et en arabe sur Nawaat. Nos remerciements à celles et ceux qui y ont contribué.

1Voir la rubrique « Mots d’islam ».

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