En avril 1951, le Majliss d’Iran — le Parlement — décida la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company (AIOC). Deux ans plus tard, en août 1953, le premier ministre Mohamed Mossadegh parvint à mettre en fuite le chah, mais il fut très rapidement arrêté grâce à l’intervention des services secrets américains qui organisèrent un coup d’État en faveur de ce dernier, favorable aux intérêts occidentaux. En 1954, la British Petroleum Company, avatar de l’AIOC, était de retour en Iran et intégrait une holding composée de plusieurs compagnies pétrolières occidentales, l’Iranian Oil Participants Ltd. Les profits seraient désormais partagés pour moitié entre l’Iran et les compagnies étrangères.
En 1956, un scénario tout à fait semblable aurait pu se reproduire en Égypte. Depuis juillet 1952, la monarchie avait été renversée au profit d’une République contrôlée par les « Officiers libres » à l’origine du putsch, ou de la révolution (al-thawra), selon les points de vue. Un de ces officiers, Gamal Abdel Nasser, s’imposa peu à peu à la tête du pays. En novembre 1954, il devint le président du Conseil de commandement révolutionnaire égyptien, et en juin 1956, il fut nommé président de la République arabe d’Égypte. Entre-temps, en avril 1955, il avait participé à la conférence de Bandung et acquis une nouvelle dimension internationale. Nasser était désormais une figure du panarabisme et du « neutralisme » défendu par Josip Broz Tito et Motilal Nehru. Il défiait l’Occident.
En janvier 1955, il s’était déjà opposé au « pacte de Bagdad », le traité d’organisation du Moyen-Orient, cosigné, le mois suivant, par la Turquie, le Pakistan, l’Iran, l’Irak et le Royaume-Uni, à l’initiative des États-Unis dans le cadre de la politique d’« endiguement » menée contre l’URSS. En septembre de la même année, il avait signé un contrat d’armement avec la Tchécoslovaquie. Mais c’est la reconnaissance de la Chine populaire en mai 1956 qui précipita la cassure avec les États-Unis.
Après l’annonce de leur retrait du projet de financement du nouveau barrage d’Assouan, Nasser décida de nationaliser le canal de Suez, principale source d’enrichissement potentiel pour le pays. La décision fut annoncée lors d’un discours prononcé à Alexandrie le 26 juillet 1956, jour anniversaire de l’abdication du roi Farouk 1er. Nasser le fit en arabe dialectal, ce qui renforçait l’affirmation du sentiment national égyptien. La réaction de la France et du Royaume-Uni, mais aussi d’Israël, fut immédiate. En effet, le canal nouait plusieurs problématiques : les intérêts financiers liés à la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, la libre circulation dans ledit canal, la protection du territoire israélien et la guerre en Algérie, Nasser soutenant le Front de libération nationale (FLN).
Parallèlement aux discussions diplomatiques, notamment à l’ONU, les trois gouvernements français, britannique et israélien s’entendirent secrètement, en octobre 1956, pour mener une opération militaire conjointe contre l’Égypte, qu’on appelle parfois les « protocoles de Sèvres ». C’est ce qui fut déclenché le 29 octobre 1956, lorsque l’armée israélienne envahit la bande de Gaza et le Sinaï. La surprise vint de la réaction des États-Unis. Dwight D. Eisenhower, en pleine campagne de réélection présidentielle, défendait un certain pacifisme, après la guerre de Corée, et ne soutint pas ses alliés européens, tandis que l’URSS menaçait d’utiliser l’arme nucléaire. L’acteur majeur de la résolution du conflit fut donc l’Assemblée générale de l’ONU, réunie en session extraordinaire au début du mois de novembre. Plusieurs résolutions furent adoptées, jusqu’à la décision de l’envoi d’une force d’intervention, la Force d’urgence des Nations unies (Funu). La France et le Royaume-Uni furent contraints d’accepter le cessez-le-feu et finirent par retirer leurs troupes en décembre. L’armée israélienne, quant à elle, ne se retira du Sinaï qu’en mars 1957.
Ce fut l’acte de naissance des Casques bleus, et l’année suivante, le prix Nobel de la paix fut accordé au premier ministre canadien, pour son rôle dans l’apaisement de ce que nous nommons traditionnellement « la crise de Suez », mais qu’en arabe, on appelle « l’agression tripartite » (al-oudwan al-thalathi).
En avril 1957, le canal fut rouvert à la circulation. Beaucoup de pays européens avaient dû prendre des mesures de rationnement de carburant depuis novembre 1956. Ces restrictions ne furent levées que progressivement.
L’ensemble des documents proposés ici vise à donner différents points de vue sur cet événement qui a noué des problématiques locales, régionales et globales, et fait intervenir de multiples acteurs. En voici la liste :
➞ Discours de Gamal Abdel Nasser, 26 juillet 1956
➞ Caricature soviétique « Changement de drapeau au canal de Suez »
➞ Christian Pineau, extrait de Le temps des révélations
➞ Caricature de Pol Ferjac, dans Le Canard enchaîné
➞ Carte « La conquête du Sinaï »
➞ Suez : des opérations de déblaiement ont commencé(photo)
➞ La résolution 997 de l’Assemblée générale de l’ONU, 2 novembre 1956
➞ Débat à la Chambre des communes, Londres, 1er novembre 1956
➞ Déclaration radiodiffusée de David Ben Gourion, 8 novembre 1956
➞ Hymne militaire égyptien
➞ Article du Monde sur le rationnement de l’essence en Europe, 19 novembre 1956
➞ Photo : une caravane quitte le camp suédois de la FUNU à El Arish, 1er mars 1957
➞ Extrait de F. Bertier, « L’Égypte et le pacte de Bagdad »
Discours de Gamal Abdel Nasser (Alexandrie, 26 juillet 1956)
in : Écrits et Discours du colonel Nasser, 20 août 1956, Paris, La Documentation française, Notes et études documentaires n ° 2 206 ; p. 16-21.
Citoyens, En ce jour, nous accueillons la cinquième année de la Révolution. Nous avons passé quatre ans dans la lutte. Nous avons lutté pour nous débarrasser des traces du passé, de l’impérialisme et du despotisme ; des traces de l’occupation étrangère et du despotisme intérieur.
Aujourd’hui, en accueillant la cinquième année de la Révolution, nous sommes plus forts que jamais et notre volonté est toujours plus forte. Nous avons lutté et nous avons triomphé. Nous ne comptons que sur nous-mêmes et nous le faisons avec volonté, force et puissance pour la réalisation des objectifs proclamés par la Révolution et pour la réalisation desquels nos ancêtres ont lutté et nos enfants se sont sacrifiés. Nous luttons et nous sentons que nous triompherons toujours pour consolider nos principes de dignité, de liberté et de grandeur, pour l’établissement d’un État indépendant d’une indépendance véritable, d’une indépendance politique et économique.
En regardant l’avenir, nous sentons très bien que notre lutte n’a pas pris fin. Il n’est pas facile, en effet, d’édifier notre puissance au milieu des visées impérialistes et des complots internationaux. Il n’est pas facile de réaliser notre indépendance politique et économique sans que la lutte se poursuive. Nous avons devant nous toute une série de luttes pour que nous puissions vivre dignement. Aujourd’hui, nous avons l’occasion de poser les bases de la dignité et de la liberté et nous viserons toujours à l’avenir de consolider ces bases et de les rendre encore plus fortes et plus solides.
L’impérialisme a essayé par tous les moyens possibles de porter atteinte à notre nationalisme arabe. Il a essayé de nous disperser et de nous séparer et, pour cela, il a créé Israël, œuvre de l’impérialisme. […]
L’histoire se répète ; et il n’est pas possible, pour nous, que nous laissions cette histoire se répéter pour l’Égypte. Nous sommes tous là, aujourd’hui, pour mettre une fin absolue à ce sinistre passé et si nous nous tournons vers ce passé, c’est uniquement dans le but de le détruire. Nous ne permettrons pas que le canal de Suez soit un État dans l’État. Aujourd’hui, le canal de Suez est une société égyptienne, des fonds desquels l’Angleterre a pris 44 % de ses actions.
L’Angleterre profite jusqu’à présent des bénéfices de ces actions ; le revenu de ce Canal en 1955 a été évalué à 35 millions de livres, soit 140 millions de dollars, desquels il nous revient un million de livres, soit 3 millions de dollars. La voici donc la société égyptienne qui a été créée pour l’intérêt de l’Égypte, tel que l’a déclaré le firman.
La pauvreté n’est pas une honte, mais c’est l’exploitation des peuples qui l’est. Nous reprendrons tous nos droits, car tous ces fonds sont les nôtres, et ce canal est la propriété de l’Égypte. La Compagnie est une société anonyme égyptienne, et le canal a été creusé par 120 000 Égyptiens, qui ont trouvé la mort durant l’exécution des travaux. La Société du Canal de Suez à Paris ne cache qu’une pure exploitation. Eugène Black est venu en Égypte dans le même but que de Lesseps. Nous construirons le Haut-Barrage et nous obtiendrons tous les droits que nous avons perdus. Nous maintenons nos aspirations et nos désirs. Les 35 millions de livres que la Compagnie encaisse, nous les prendrons, nous, pour l’intérêt de l’Égypte.
Je vous le dis donc aujourd’hui, mes chers citoyens, qu’en construisant le Haut-Barrage, nous construirons une forteresse d’honneur et de gloire et nous démolissons l’humilité. Nous déclarons que l’Égypte en entier est un seul front, uni, et un bloc national inséparable. L’Égypte en entier luttera jusqu’à la dernière goutte de son sang, pour la construction du pays. Nous ne donnerons pas l’occasion aux pays d’occupation de pouvoir exécuter leurs plans, et nous construirons avec nos propres bras, nous construirons une Égypte forte, et c’est pourquoi j’assigne aujourd’hui l’accord du gouvernement sur l’étatisation de la Compagnie du Canal.
« Changement de drapeau au canal de Suez »
Caricature de Boris Efimov, Krokodil n ° 24, 30 août 1956, édition moscovite de la Pravda.
Sur le drapeau : « Promotion. Société du canal de Suez »
« Le temps des révélations »
Christian Pineau, Le temps des révélations, Paris, Robert Laffont, 1976 ; p. 158-160.
Christian Pineau (1904-1995) a été ministre des affaires étrangères de février 1956 à mai 958.
Le 30 octobre, dans la matinée, Guy Mollet et moi nous rendons à Londres où nous rencontrons Eden et Selwyn Lloyd avant le déjeuner. Le cabinet britannique s’est réuni dans la matinée pour approuver la déclaration que le Premier ministre a décidé de faire aux Communes dans la journée.
Mon impression se trouve vite confirmée : Eden compte encore sinon sur l’appui du moins sur une neutralité bienveillante d’Eisenhower. Or, un message est bien arrivé de Washington, mais il se contente de souhaiter que l’on évite des malentendus, ce qui ne signifie pas grand-chose. Impossible d’attendre davantage ! Il faut se décider à aider ou à abandonner les Israéliens.
Eden est hésitant, mais loyal.
Le message aux belligérants prévu dans le protocole de Sèvres est donc envoyé aux deux parties. Il a un certain caractère d’ultimatum et conduit de ce fait à une intervention militaire franco-britannique sur le Canal. On a écrit qu’Anthony Eden d’un côté, Guy Mollet de l’autre, auraient dû réunir leurs Parlements respectifs la veille et non le jour de l’envoi du message, c’est-à-dire obtenir un vote avant l’action et non pendant l’action. C’est jouer sur les mots, car les deux hommes d’État savaient exactement, presque à une voix près, sur quels appuis ils pouvaient compter. C’est si vrai qu’Anthony Eden avait communiqué le texte de l’ultimatum à l’opposition travailliste avant de l’envoyer.
Ici se produit un événement que nous n’attendions pas : l’intervention prématurée des États-Unis à l’ONU. Dans l’après-midi du 30 [octobre], John Cabot Lodge, leur délégué, dépose une résolution enjoignant à Israël de se retirer derrière ses frontières et demandant aux États membres de l’ONU de s’abstenir de la menace ou de l’emploi de la force ; mais — c’est l’important — le délégué américain demande, soutenu par l’Union soviétique, le vote immédiat de sa résolution.
Ce point demande une explication, car il reste obscur pour ceux qui ignorent le fonctionnement des organismes onusiens.
Rappelons que le Conseil de sécurité est chargé, d’après la Charte des Nations unies, de prendre toutes mesures destinées à préserver ou à ramener la paix dans le monde. Il a même le pouvoir de faire appliquer par tous moyens ses décisions, sauf veto opposé par l’une des cinq grandes puissances, États-Unis, Union soviétique, Grande-Bretagne, France et Chine (c’était alors celle de Formose). Nous n’avions jamais douté de cette intervention. Elle était inévitable. Mais, dans notre esprit, elle devait avoir pour objet d’entraîner une négociation générale entre l’Égypte et Israël d’un côté, l’Égypte et les usagers du Canal de l’autre. En échange de ces deux négociations, nous étions prêts à renoncer à toute opération de débarquement, la sécurité d’Israël et la libre circulation sur le Canal étant assurées. Or, le vote par l’Union soviétique et les États-Unis, le 30 octobre, avant même que Nasser eût répondu à notre ultimatum, d’une même résolution condamnant l’action d’Israël et, à l’avance, la nôtre, sans la moindre allusion à l’éventualité d’une négociation sur les points en litige, pouvait avoir un seul résultat : renforcer l’intransigeance de Nasser et nous obliger à aller jusqu’au bout de notre action. Bien sûr, la Grande-Bretagne et la France opposèrent leur veto à la résolution américaine, enlevant à celle-ci toute valeur exécutoire, mais le mal était fait : pour l’opinion mondiale, alors hésitante (plusieurs pays arabes nous avaient fait savoir discrètement leur approbation), les États-Unis et l’Union soviétique s’étaient mis d’accord contre la Grande-Bretagne et la France.
On ne pouvait souhaiter plus mauvais départ.
« Drôles de bouilles »
Caricature de Pol Ferjac, dans Le Canard enchaîné, 14 novembre 1956.
La conquête du Sinaï
Conquête du Sinaï, 1-5 novembre 1956. Source : US Military Academy, département d’histoire.
Port-Saïd
Suez : des opérations de déblaiement ont commencé. Source : Port-Saïd : Keystone, 20 novembre 1956.
La résolution 997 de l’Assemblée générale de l’ONU
Séance plénière 562, 2 novembre 1956.
L’Assemblée générale,
Considérant qu’en maintes occasions des parties aux conventions arabo-israéliennes d’armistice de 1949 ont méconnu les dispositions de ces conventions, et que les forces années d’Israël ont profondément pénétré en territoire égyptien, en violation de la Convention d’armistice général conclue entre l’Égypte et Israël le 24 février 1949,
Constatant que des forces armées de la France et du Royaume- Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord se livrent ù des opérations militaires contre le territoire égyptien,
Constatant que la circulation par le canal de Suez se trouve actuellement interrompue, au grand détriment de nombreux pays,
Exprimant la grave inquiétude que lui causent ces événements,
1. Demande instamment, et de toute urgence, que toutes les parties actuellement mêlées aux hostilités dans la région acceptent immédiatement de cesser le feu et, à ce titre, s’arrêtent d’envoyer clans la région des forces militaires ou des armes ;
2. Demande instamment aux parties aux conventions d’armistice de retirer sans tarder toutes leurs forces derrière les lignes de démarcation de l’armistice, de renoncer à toute incursion en territoire voisin à travers ces lignes et de respecter scrupuleusement les dispositions des conventions d’armistice ;
3. Recommande à tous les États Membres de s’abstenir d’introduire du matériel militaire dans la zone des hostilités et, d’une façon générale, de s’abstenir de tout acte qui retarderait ou empêcherait la mise en œuvre de la présente résolution ;
4. Demande instamment que, dès l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, des mesures soient prises pour rouvrir le canal de Suez et rétablir la liberté et la sécurité de la navigation ;
5. Charge le Secrétaire général de surveiller l’application de la présente résolution et d’en rendre compte sans délai au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale, en vue des mesures ultérieures que ces organes pourraient juger opportun de prendre conformément à la Charte ;
6. Décide de continuer à siéger en Session d’urgence jusqu’au moment où la présente résolution aura été appliquée.
À la Chambre des communes, 1er novembre 1956
Débat. Source : hansard.millbanksystems.com
Le ministre de la défense, M. Anthony Head1.
Avec votre permission, Messieurs, je vais faire une déclaration sur la situation militaire en Égypte, fondée sur les informations les plus récentes dont je puis disposer.La nuit dernière, des bombardements ont été effectués par l’aviation britannique sur quatre terrains d’aviation égyptiens, Almaza, Inchass, Abu Sueir et Kabrit [Membres : “Honte !]” Les premiers rapports montrent que les bombardements ont été précis. Il y avait une défense anti-aérienne lourde et légère, mais sans dommage pour nos avions. Un avion a été intercepté par un chasseur de nuit, mais sans dommage.
Tôt ce matin, l’aviation d’assaut, à partir du rivage ou depuis les porte-avions, a mené des attaques sur un total de neuf terrains d’aviation égyptiens.
Le HMS Newfoundland a coulé la frégate égyptienne Domiat à environ 80 miles au sud de Suez.
Nous n’avons pas d’information directe à propos des opérations israélo-égyptiennes. Des rapports indiquent que l’attaque israélienne se fait selon deux axes. Dans le Sud, des troupes aéroportées tiennent un terrain élevé à environ 20 miles à l’est de Suez, soutenues par une brigade. Une seconde brigade est signalée plus à l’est. Dans le Nord, les Israéliens affirment avoir chassé les Égyptiens de leur position de Qasseina avec une brigade blindée.
Des rapports indiquent que des unités blindées égyptiennes, déployées à l’ouest du Caire, ont commencé à se déployer vers l’est le 31 octobre. Ces forces incluent une brigade blindée composée de deux régiments blindés équipés d’unités anti-aériennes légères et lourdes, et d’infanterie dans des véhicules de transport de troupes. Ces forces se déplaçaient vers l’est le long des routes Le Caire-Suez et Le Caire-Ismaïlia.
M. Gaitskell2.
Est-ce que le Ministre est conscient que des millions de Britanniques sont profondément choqués et honteux [Un membre :“ Fascistes !”] que l’aviation britannique serait en train de bombarder l’Égypte, non pour se défendre, pour la défense collective, mais au mépris évident de la Charte des Nations unies ? Est-ce que le ministre est conscient, en outre, que l’Assemblée générale des Nations unies se réunit aujourd’hui ? Donnera-t-il une garantie, premièrement, que toute décision prise à la majorité des deux-tiers par l’Assemblée des Nations unies sera immédiatement acceptée par le gouvernement de Sa Majesté, et deuxièmement, que dans l’attente d’une telle décision, plus aucune action militaire ne sera prise par le gouvernement de Sa Majesté ? »
Déclaration de David Ben Gourion
Extrait de la déclaration radiodiffusée de Ben Gourion, le 8 novembre 1956 (traduit de l’anglais).
Je ne peux pas terminer mes remarques sans dire quelques mots à mes compagnons d’armes, à tous les soldats et officiers des Forces de défense israéliennes : vous avez, comme toujours, effectué votre mission au nom de la nation avec une très grande bravoure et, quel que soit le résultat de la lutte politique dans laquelle nous sommes engagés et qui n’est pas encore terminée, ne laissez personne imaginer que votre héroïsme et le sacrifice de vos camarades qui sont tombés au combat n’ont pas été complètement fructueux.
Nous nous sommes fixé trois objectifs principaux dans l’opération du Sinaï : la destruction des forces qui s’apprêtaient à nous détruire ; la libération du territoire de la patrie qui avait été occupée par les envahisseurs, et la sauvegarde de la liberté de navigation dans le golfe d’Eilat et dans le canal de Suez. Et bien que pour le moment seul le premier objectif, qui était le principal, a été pleinement atteint, nous sommes convaincus que les deux autres objectifs seront eux aussi pleinement atteints.
Aucun de nous ne sait ce que sera le sort du désert du Sinaï. Lors de mon examen devant la Knesset, hier, j’ai passé la grande question sous silence, sans le vouloir. Il n’y avait aucun doute dans mon esprit que nous étions pris dans deux conflits mêlés, militaire et politique, et personne ne peut encore dire si l’un d’eux est terminé ou non, et si non, comment.
Au cours de notre Guerre d’indépendance, nous avons fait aussi face à de dures épreuves et, bien qu’à ce moment-là nous n’avons pas achevé tout ce que nous souhaitions, nous n’avons jamais dans notre minorité atteint plus que ce que nous avons fait alors. Seule l’étroitesse d’esprit ne parvient pas à voir la grandeur de nos réalisations en cette occasion bien que la lutte ne soit pas encore terminée. Il n’y a aucune puissance dans le monde qui peut réduire à néant notre victoire, et Israël, après l’opération du Sinaï, ne sera plus la même qu’avant cette splendide opération. Il y a là une grande récompense pour votre travail, et je crois que tout notre peuple en sera fier.
Hymne égyptien
Hymne militaire, écrit par Mahmoud Al-Cherif et mis en musique par Adballah Chams Al-Din, 1956 (traduit de l’arabe).
Dieu est le plus grand ! Dieu est le plus grand !
Dieu est au-dessus de la perfidie des agresseurs,
Dieu, de l’opprimé, est le meilleur allié.
Moi avec la foi et avec les armes je me sacrifierai pour mon pays,
Et la lumière de la Justice brille dans ma main.
Dites avec moi ! Dites avec moi !
Dieu, Dieu, Dieu est le plus grand !
Dieu est au-dessus des agresseurs.Ô Monde, regarde et écoute !
L’armée des ennemis est venue pour m’abattre.
Par la justice et le canon je la repousserai.
Et si je péris, avec moi elle périra.
Dites avec moi ! Dites avec moi !
Dieu, Dieu, Dieu est le plus grand !
Dieu est au-dessus des agresseurs.Dieu est le plus grand ! Dieu est le plus grand !
Dites avec moi : Malheur aux colonialistes !
Et Dieu est au-dessus des perfides et es arrogants.
Dieu est le plus grand ! Ô mon pays, dis avec moi : Dieu est plus grand !
Et saisis les envahisseurs de front et écrase-les !
Dites avec moi ! Dites avec moi !
Dieu, Dieu, Dieu est le plus grand !
Dieu est au-dessus des agresseurs.
Rationnement de l’essence en Europe
Le Monde, 19 novembre 1956.
L’aide américaine en pétrole se faisant attendre, les pays étrangers prennent, comme nous, de nouvelles mesures d’austérité. L’interdiction de circuler le dimanche et l’augmentation du prix de l’essence figurent parmi les dispositions les plus courantes. Plusieurs pays envisagent dès à présent l’institution de tickets.
GRANDE-BRETAGNE. - On s’attend que le plan britannique de rationnement de l’essence soit mis en application dans trois semaines environ, date à laquelle les stocks commenceront à être sérieusement entamés. Selon les estimations officieuses, ceux-ci représentaient au début de l’intervention britannique en Égypte environ sept semaines de consommation, mais auraient sérieusement diminué depuis.
Les estimations officielles et privées sur la durée de la fermeture du canal de Suez varient entre trois mois (optimistes) et un an (pessimistes) ; quant aux pipe-lines de l’Irak Petroleum, la majorité des experts estiment qu’ils resteront inutilisables pendant neuf mois en raison de la destruction des stations de pompage en territoire syrien.
Le ministre de l’industrie a invité hier les sociétés qui avaient fait transformer leurs installations fonctionnant au charbon pour les faire marcher au mazout, à revenir si possible à la houille. M. Jones a indiqué que la production d’acier ne devrait pas être affectée par la pénurie de pétrole.
ITALIE. - Le ministre de l’industrie a pris les mesures suivantes : diminution de 5 % des fournitures d’huiles combustibles par rapport aux livraisons de l’an passé ; priorité des fournitures pour les services publics, les hôpitaux, les écoles, les œuvres de bienfaisance ; réalisation des plus grandes économies possibles par les administrations d’État et les services publics, et campagne auprès des consommateurs afin qu’ils réduisent l’emploi des produits pétroliers. Des mesures complémentaires ont été suggérées par la commission du marché pétrolier du ministère de l’industrie :
➞ interdiction de toute circulation le dimanche (à l’exclusion des taxis) et suppression éventuelle du super-carburant ;
➞ augmentation de 15 lires par litre (8 francs environ) du prix de l’essence ;
➞ réduction des heures de chauffage dans les immeubles chauffés au mazout,DANEMARK. - La commission de la production industrielle du Parlement danois a autorisé le ministre du commerce à instituer immédiatement le rationnement du fuel-oil. Les compagnies pétrolières se chargeront du rationnement et diminueront leurs livraisons de 20 %. Le ministre du commerce peut réduire dans la même proportion la consommation d’essence s’il l’estime nécessaire.
SUISSE. - Le gouvernement fédéral vient de décider que les voitures de tourisme et les motocyclettes ne pourront plus circuler le dimanche ni les jours fériés à partir de ce week-end La vente de l’essence en bidon est interdite.
ALLEMAGNE. - Plusieurs sociétés pétrolières allemandes ont contingenté leurs livraisons de carburant aux grossistes, annonce le journal économique Industrie Kurier. Les attributions de carburant sont amputées automatiquement de 20 % par rapport aux livraisons habituelles.
BELGIQUE. - Le gouvernement belge va demander aux automobilistes d’épargner l’essence en supprimant les voyages non indispensables. Les stocks permettraient, dit-on, d’éviter le rationnement. Mais leur renouvellement sera difficile si le canal de Suez reste bloqué pendant huit mois. Certains milieux pensent que la circulation sera limitée le dimanche.
« L’Égypte et le pacte de Bagdad »
Extrait de F. Bertier, « L’Égypte et le pacte de Bagdad », Politique étrangère n ° 5, 1957 ; p. 550-551.
D’autres auraient tourné le dos à l’arabisme et se seraient consacrés exclusivement aux intérêts de l’Égypte : c’eût été peut-être le plus sage. Un pareil renoncement ne correspondait toutefois ni au tempérament, ni à l’idéologie des officiers de la Junte qui firent tout juste le contraire. Arrivés au pouvoir par une révolution dirigée contre le despotisme du roi et des “féodaux” complices, croyaient-ils, de l’impérialisme, prétendant incarner les aspirations du peuple, ils étendent tout naturellement aux autres pays arabes l’interprétation qu’ils donnaient de la situation en Égypte antérieurement à leur coup d’état. Ils vont donc s’adresser directement aux “peuples” pour tenter de les soulever contre les “traîtres” qui les gouvernent. Comme il ne peut plus être question pour l’Égypte d’entrer dans le dispositif de défense américain, leur propagande peut se déchaîner sans frein à la fois contre l’Occident et contre les équipes gouvernementales qu’elle associe dans ses attaques.
Ainsi, tandis que l’Occident perdait, à cause du Pacte de Bagdad, la collaboration militaire de l’Égypte, il devenait en outre, par suite de l’échec de la Conférence du Caire, le soutien des rois et des féodaux, avec lesquels pourtant il traitait non par une sympathie particulière, mais simplement parce qu’ils étaient alors au gouvernement. C’est là, sans doute, la conséquence la plus regrettable de ce pacte.
La politique suivie depuis trois ans n’a pu que renforcer dans l’opinion cette fâcheuse impression. La jeune élite intellectuelle qui aspire à prendre la place des vieilles équipes, bien que formée en Europe et en Amérique, croit donc que nous sommes ses ennemis. Il ne sera guère aisé de la convaincre que ce n’est ni notre intérêt, ni notre désir de soutenir une classe que chacun sait condamnée à disparaître bientôt. Peut-être faudra-t-il en persuader d’abord les gouvernants du Caire. L’Égypte a payé assez cher sa brouille avec l’Occident pour qu’on y soit sans doute disposé à écouter nos arguments.
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