À part La Provence qui y consacre six lignes dans l’agenda du jour1, aucun média français n’a parlé de ce que l’on appelle en France la « Toussaint rouge »2, événement qui a marqué le début de l’insurrection contre la colonisation française en Algérie. En revanche, dans la presse algérienne, les articles ont été plus nombreux.
Un cap dans l’histoire
Chaque année, ce jour devenu férié est commémoré à travers toute l’Algérie et relayé. Cérémonies d’hommage, présentation de voeux au président, défilés et émissions de télévision à la gloire des résistants rappellent le passé glorieux de ce que les Algériens nomment « la révolution » ou « la guerre d’indépendance » et que les Français désignent par « guerre d’Algérie », éludant ainsi la colonisation. Si Canal Algérie - chaîne de télévision publique — a comme à son habitude consacré des programmes spéciaux à cet anniversaire, la presse algérienne cette année l’a encore abordé, sur un ton toutefois différent.
Le quotidien algérien Al Watan lui a consacré son éditorial du 1er novembre et l’a évoqué avant le jour J. « Que savez-vous sur la Déclaration du 1er novembre ? » 3 demande le journal algérien, avant de revenir sur la conférence du Centre culturel islamique d’Alger sur les origines politiques et historiques du mouvement national, en citant l’historien Bachir Medini. « La Déclaration du 1er novembre 1954 et le déclenchement de la guerre de libération nationale étaient le couronnement de la lutte intellectuelle et politique du peuple algérien contre le colonialisme français depuis 1830 », décrit le journal, qui consacre encore cette semaine des articles au 1er novembre, avec notamment des témoignages d’anciens résistants.
Dès le 31 octobre, le quotidien El Moudjahid s’intéressait lui aussi à la déclaration, soulignant « la légitimité et la justesse de (la) lutte de libération nationale » et décrivait en des termes très élogieux « la glorieuse Révolution ». Dans un dossier « spécial 1er novembre », le quotidien Réflexion dresse un rapide portrait de Jamila Bouhired, « l’icône oubliée de la guerre » et d’autres « martyrs ». L’occasion pour le journal de parler d’Henri Alleg, auteur de La question, oeuvre majeure sur la torture pratiquée par les soldats français en Algérie4, et de Jacques Vergès, avocat puis époux de la résistante algérienne (tous les deux décédés cette année). Mais y compris dans la presse algérienne, l’intérêt pour l’événement pose question.
Devoir de mémoire
Dans le quotidien L’Expression, Zouhir Mebarki affirme que « la lassitude menace le 1er novembre 1954 » :
La méthode adoptée jusque-là pour narrer des bribes de notre histoire ne captive personne. Demain, nous aurons encore droit à des images de la guerre de Libération mille fois vues et revues. Seul effet sur notre jeunesse, la lassitude. Pourquoi ? Comment ? Bonnes questions ! (...) Rien de pédagogique n’a été entrepris chez nous (...). Il y a un vide mémoriel très dangereux que les intellectuels et même l’État ont le devoir et l’obligation de combler. L’histoire vue sous le seul angle militaro-politique devient, du coup, lassante pour le grand public.
Toujours dans L’Expression, Aissa Hirèche s’inquiète de ce que l’esprit du 1er novembre soit désormais oublié :
Aujourd’hui, soixante ans après Novembre, nous ne savons pas encore parler de Novembre. Lorsque nous entendons Novembre, nous continuons toujours à prendre le crayon pour encercler la date fériée car de Novembre nous avons, malheureusement, retenu la date et pas l’esprit. Nous ne savons pas (qu’en) novembre a été dessiné l’avenir radieux pour la jeunesse d’un pays que Dieu a doté de tous les bienfaits. Pour fêter Novembre, on n’a pas besoin de tables rondes sans intérêt, de débats stériles, et encore moins de ces appropriations illégitimes d’un pan de notre histoire. Novembre est liberté. Ne nous enchaînons pas à cette immobilité qui tue depuis l’aube des temps.
La presse française ignore donc cette date symbolique, tandis que son traitement évolue dans des médias algériens moins triomphalistes. Cinquante-neuf ans après les faits, on assiste peut-être à la normalisation d’un événement majeur de l’histoire franco-algérienne. On peut également établir un lien entre les points de discordance opposant les deux pays et la façon dont le 1er novembre 1954 est traité. Ainsi, quand les relations sont plus apaisées, cet épisode historique passe au second plan. Enfin, ce silence médiatique s’explique sans doute par un manque d’intérêt, une méconnaissance de cet événement crucial et une grande difficulté à aborder ce qui touche à un conflit encore très vif dans les mémoires de façon dépassionnée — comme c’est le cas pour les massacres du 8 mai 1945 en Algérie ou celui du 17 octobre 1961 à Paris. L’an prochain, pour le soixantième anniversaire, gageons que l’on en parlera davantage.
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1« Ça s’est passé un 1er novembre, il y a 61 ans : les États-Unis faisaient exploser la première bombe H », La Provence, 1er novembre 2013.
2Akram Belkaïd, « Algérie, la "Toussaint rouge" », Slate Afrique, 6 octobre 2012.
3Texte intégral du premier appel adressé par le Secrétariat général du Front de libération nationale au peuple algérien le 1er novembre 1954, sur le site du premier ministre.
4Alain Ruscio, « La Question, d’Henri Alleg : histoire d’un maître livre du XXe siècle », humanité.fr, 29 juillet 2013.