Documentaire

À Gaza, des rêves plus haut que les murs

Coproduit en 2019 avec l’Italie, le Liban et la Suisse, plusieurs fois primé, One More Jump (Encore un saut) d’Emanuele Gerosa, réalisateur et auteur de documentaires, donne une image inédite des résistances à Gaza. Le film est en salle depuis le 8 septembre.

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Des adolescents courent à perdre haleine au milieu des décombres. Gravissent des murs éventrés pour se jeter dans le vide tels des lions et des aigles, traçant des figures plus époustouflantes et plus belles les unes que les autres. On le sait, Gaza est une prison à ciel ouvert. Les images qui nous en viennent sont celles de la guerre, de l’enfermement et des destructions. Mais ici, la caméra saisit le mouvement des corps qui se propulsent vers le ciel. Leur volonté d’aller toujours plus haut, toujours plus loin.

La réception au sol, comme un coup de dés qui jamais n’abolirait le hasard. Salto arrière, flip flap, saut de chat, volté, carpé… des figures trouent le ciel, comme une métaphore pour échapper au blocus israélien qui condamne l’enfance -– quarante pour cent des Gazaouis sont des enfants de moins de quinze ans — à la séquestration et au désespoir à perpétuité.

One more jump - Bande-annonce VOST FR - YouTube

Les bombes ou le saut de l’exil

« Même si je restais à Gaza un million d’années, je ne pourrai jamais y construire un avenir ». Jehad a une trentaine d’années. Il est le fils aîné et le soutien d’une famille où le père, très handicapé, lutte contre le manque de soins et de médicaments. Il est aussi l’entraîneur de l’équipe de Parkour de Gaza. Cette discipline acrobatique urbaine, très intense et exigeante, basée sur l’impulsion, l’envol et la réception, a d’abord été popularisée en France dans les années 1990 par les Yamakasi, des adolescents des cités de l’Essonne qui se servaient des toits d’immeubles comme rampes de décollage et d’atterrissage. Les pratiquants utilisent la géographie de leur environnement et l’espace dans toutes ses dimensions, contournant ou se servant des obstacles pour rebondir et s’élancer, dans un mouvement continuel.

Dans le camp de réfugiés d’Al-Shati, à l’ouest de la ville de Gaza, c’est Mohamed et Jehad qui l’ont d’abord proposée aux jeunes comme activité de loisir, leur enseignant les valeurs d’un sport de haut niveau qui, à Gaza, « n’est pas une compétition et demande l’attention, le respect, la confiance et la modestie. » Mais le parkour est ailleurs devenu une discipline de compétition et Mohamed, qui a pu bénéficier d’une invitation à jouer en Italie, n’a pas hésité à choisir le grand saut de l’exil. Le projet devait se réaliser avec Jehad qui en reste dépité et meurtri.

On va donc accompagner au plus près, durant 82 minutes, Jehad et Mohamed dans le temps réel de leur vie, avec les secousses qui la traversent. Depuis l’arrivée au pouvoir du Hamas en 2007, le premier, retenu dans l’enclave où la pauvreté a explosé sous les sièges et les guerres israéliennes, vit sous les bombardements, « le pire bruit qu’on puisse jamais entendre », et pense qu’ « avoir vingt ans et s’imaginer en avoir quarante toujours à Gaza, c’est être déjà mort… » Le second cherche désespérément du travail depuis qu’il est arrivé à Florence, et une autonomie qui se dérobe chaque jour davantage. L’entraînement solitaire dans des tunnels et des parkings hostiles semble avoir perdu de son souffle et de sa saveur. Lorsqu’il appelle son père, qui ne manque pas de lui demander s’il fait toujours bien sa prière, il a le mal du pays et des siens. Mohamed va déployer toutes ses ressources et son énergie pour parvenir à participer en Suède à l’Air Wipp Challenge, un championnat international prestigieux qui sélectionne douze athlètes sur 650 inscrits. Mais il n’y aura pas de happy end : il en reviendra bredouille.

Un semblable courage

À Gaza, on voit Jehad se désespérer devant la fermeture des frontières avec l’Égypte, s’énerver contre les discours des politiciens. On le voit également rejoindre les « marches du retour » qui depuis mars 2018 drainent des milliers de Palestiniens à la frontière et ont fait des centaines de morts, les soldats israéliens n’hésitant pas à tirer à bout portant depuis les collines : « Ils se battent pour nous tirer dessus et savoir qui est le meilleur ». Un des moments les plus forts du film de Gerosa est celui où les images du peuple de Gaza, tenace et insoumis répondent comme en écho à celles des jeunes athlètes de l’équipe de Parkour, mettant à jour la même rébellion, le même dépassement, le même courage.

La vie s’égrène pour l’un comme pour l’autre. Ils se sont construits dans le renforcement mental que leur procure leur discipline. Maîtriser la pesanteur et la peur, c’est aussi se donner des armes pour faire face à la domination israélienne et à l’exil. Malgré l’obtention d’un passeport, pour rejoindre à son tour une compétition, Jehad ne quittera jamais Gaza dont les frontières lui restent fermées. Mohamed va se blesser sérieusement à l’entraînement. Gaza continue à avaler ses enfants, leurs espoirs et leurs rêves.

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