![L'image montre un couple âgé assis à une table. L'homme a les cheveux gris et porte un pull sombre, souriant avec bienveillance. La femme, également âgée, a des cheveux très courts et porte un pull rouge. Elle est légèrement penchée vers lui, affichant une expression tendre et affectueuse. En arrière-plan, on peut apercevoir des étagères remplies de livres, créant une atmosphère chaleureuse et intellectuelle. La décoration présente un style simple et accueillant.](IMG/logo/4f0ed9658c03af49928aaa30fb9fa6b2.jpg)
L’histoire de Gilberte Chemouilli et William Sportisse, deux militants communistes algériens et juifs, se mêle à l’histoire algérienne. Elle s’étend de la période de Vichy à celle de la lutte armée et politique pour l’indépendance de l’Algérie, puis couvre les années suivant l’indépendance de 1962 jusqu’à la décennie noire des années 1990. En 1994, se sentant menacés par les islamistes, Gilberte et William se résolvent à quitter leur pays.
L’itinéraire de Gilberte Chemouilli commence à Alger, celui de William Sportisse, à Constantine. Les deux militants se sont jetés, chacun de leur côté, en toute connaissance de cause, dans une lutte sans merci contre le régime de Vichy et contre le colonialisme. Dès 1940 le mot d’ordre d’indépendance de l’Algérie était porté haut et fort par ces militants et leur parti, le Parti communiste algérien (PCA). Pour Gilberte c’est même le moment précis où elle se découvre une patrie : l’Algérie.
Leurs routes, parallèles sous Vichy et durant la guerre d’Algérie, finissent par se croiser peu après l’indépendance. Ils décident de faire cause commune : amoureuse et militante.
Deux vies consacrées à l’Algérie de leurs espérances
Gilberte et William sont deux révolutionnaires ayant souvent agi dans la clandestinité. Ils ont eu à subir la répression, l’emprisonnement et la torture sous Vichy, pendant la guerre d’Algérie, après l’indépendance dès 1965, puis le coup d’État militaire, face à un régime qui n’admettait pas la diversité politique de ce pays. Ils sont aussi deux êtres profondément humains qui face au danger, au péril de leur vie, sont restés fidèles à leurs idéaux de justice et de liberté pour tous les damnés de la terre.
Dans leur combat, mené sans relâche dans des conditions extrêmement difficiles, au gré des succès et des engagements qui n’ont pas pu tous aboutir, ils ont toujours gardé un espoir sans failles en un monde meilleur. À tour de rôle, ils racontent les événements dramatiques qu’ils ont vécus personnellement, sur un ton enjoué. L’humour, omniprésent, pourrait en étonner plus d’un, au regard des dangers rencontrés, mais il ne surprend pas ceux qui les ont côtoyés ni leurs camarades de combat, tant ces militants ont en commun cette manière savoureuse et touchante de raconter leur histoire.
Il se dégage de Gilberte et de William un optimisme extraordinaire, une humilité incroyable, une humanité de tous les instants, que le film de Sandrine-Malika Charlemagne et de Jean Asselmeyer projette d’emblée dès les premières images, avec subtilité, dans nos têtes privilégiées, pour ne plus nous quitter tout au long de ces 70 minutes captivantes. La rémanence des images qui ont défilé demeure en nous bien après la projection. Une découverte pour certains qui ne connaissaient pas la singularité de cette histoire, un moment fort d’émotions pour ceux qui ont eu l’occasion de la côtoyer, de l’approcher de près et de très près pour certains.
« Un jour le monde sera tel que vous l’avez rêvé »
Ce film explore la portée universelle du combat de ces deux révolutionnaires : leur liberté de ton, la femme libre qu’a été Gilberte dans ses engagements et ses choix de vie, leur longévité malgré les souffrances endurées. Il montre que des Européens vivants en Algérie, des juifs berbères ou andalous, ont donné leur vie ou une grande partie de leur vie pour la lutte anticoloniale et l’indépendance de leur pays. C’est tout un pan de l’histoire de la guerre d’Algérie dont l’historiographie et l’histoire officielles des deux côtés de la Méditerranée cachent toujours la réalité. Il rappelle que l’Algérie était et demeure dans son histoire, un pays d’une grande diversité ethnique, religieuse et politique.
À titre personnel, accro face aux images qui défilent, des souvenirs refont surface, des noms cités connus résonnent dans ma tête et des émotions m’envahissent. Et je ressens la fierté d’être quelque part — et sans aucune prétention —, avec une partie de ma famille, des témoins de cette histoire.
Quelques jours après l’enterrement de mes parents, compagnons de combat de ces deux personnalités, en présence de quelques-uns de leurs amis et camarades encore vivants (Lucette Larribère-Hadj Ali, Jules Molina, Henri Alleg…), qui ont tenu à leur rendre un dernier hommage, je me souviens encore très bien de la présence de William Sportisse au moment où tous ensemble ils ont déposé sur leur tombe une plaque de marbre avec en lettres d’or : « Un jour le monde sera tel que vous l’avez rêvé. »
Difficile d’y croire, et pourtant c’est l’espoir chevillé au corps de Gilberte et William, exprimé tout au long de ce beau film, qui rend un bel hommage finalement à tous leurs camarades de combats. Deux vies pour l’Algérie et tous les damnés de la terre aurait pu s’appeler « l’Amour et la Révolution ». Mais il n’a pas usurpé son titre tant l’engagement de ces deux militants a été total pour les causes dont ils ont été porteurs.
Merci à eux deux, mais aussi à Sandrine-Malika et Jean, les réalisateurs, de nous l’avoir si bien restitué.
Pour aller plus loin
- Alain Ruscio, Les communistes et l’Algérie, éditions la Découverte, 2019
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (Le Maitron), Algérie : engagements sociaux et question nationale. De la colonisation à l’indépendance, Les éditions de l’atelier, 2006.
- Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale, Presses universitaires de Rennes, 2015
- Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Le camp des oliviers, mémoires de William Sportisse, Presses universitaires de Rennes, 2012
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